Réforme des retraites, climat social, rôle pivot du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot) dont il est membre à l'Assemblée nationale aux côtés des trois nationalistes corses, processus de Beauvau, le député Charles de Courson se livre à Corse-Matin. Entretien
Les projecteurs sont à nouveau braqués sur le groupe Liot et sa proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites. "Les Liot nous rendent fous", confie un ministre au Figaro. Jusqu'où irez-vous ?
Jusqu'à ce que nos idées percolent et triomphent. Nous avons combattu à la quasi-unanimité du groupe cette réforme, non pas que nous soyons hostiles par principe à une réforme des retraites, bien au contraire, mais parce que celle que l'on nous a soumise n'était ni faite ni à faire, et apparaissait comme fondamentalement injuste. En outre, on a forcé le Parlement avec une procédure, ce qui constitue un déni de démocratie.
Votre objectif, jouer les empêcheurs de tourner en rond ?
Bien sûr. Ce qui s'appelle improprement la majorité présidentielle devrait s'appeler la minorité présidentielle, c'est un fait à l'Assemblée nationale tandis que l'on peut parler d'une tendance ultra-minoritaire dans le pays. On ne va pas imposer des lois à notre peuple qui ne sont pas consenties par ses représentants que sont les députés.
Le groupe Liot est-il en mesure de faire basculer un vote ?
Nous l'avons démontré à plusieurs reprises comme nos collègues Les Républicains. Ce sont ces deux groupes qui peuvent faire ou défaire une majorité. Sur la motion de censure, dix-neuf députés LR l'ont votée, il y aurait d'ailleurs pu en avoir davantage. Si le 49.3 n'avait pas été dégainé, la motion de rejet serait passée, et l'on ne serait pas dans la crise politico-sociale que nous connaissons.
Être un point d'équilibre sur l'échiquier politique, grisant ?
On éprouve plutôt la sensation d'être efficace quand nombre de parlementaires ont parfois l'impression de ne pas servir à grand-chose. On ne peut demeurer dans un schéma binaire où la majorité vote en bloc, y compris quand il ne le faut pas, et les oppositions systématiquement contre tout, ce sont ceux que j'appelle "les bœufs" qui se comportent ainsi. Cela n'a jamais été mon attitude. Actuellement, il y a des pourparlers, on négocie, c'est l'essence de la vie démocratique que de trouver les bons équilibres par le dialogue entre les différents courants politiques alors que le président de la République cherche à imposer sa conception hégélienne de l'exercice du pouvoir et s'étonne de se heurter à la résistance populaire.
Depuis la motion de censure transpartisane, la température avec le gouvernement, qui vous caressait jusque-là dans le sens du poil, semble s'être rafraîchie. Vous confirmez ?
Oui. J'échange énormément avec des collègues de toutes sensibilités politiques et ces derniers n'ont pas le moral, rien n'empêche de le dire, car ils se rendent compte du mal-être de l'opinion publique lorsqu'ils rentrent dans leur circonscription. Il faut avoir à l'esprit que les députés étaient majoritairement contre le 49.3 et que les trois présidents des groupes de la minorité présidentielle avaient prédit que son utilisation risquait d'allumer un incendie.
Au sein du groupe Liot, les Corses ont-ils subi des pressions ?
Nos collègues autonomistes corses, et d'autres, ont été très fortement sollicités. On leur a fait des promesses qui ne tiennent pas au-delà du temps de vote, personne n'est dupe, tout en sous-entendant que s'ils ne votaient pas la motion de censure, on saurait s'en souvenir.
Emmanuel Macron avait proposé en octobre dernier une alliance sur certains textes. Pure stratégie de débauchage ?
Absolument. Des négociations étaient également en cours en parallèle avec certains responsables des Républicains. Nous avons fait voler en éclats cette tentative. Ceux qui ont été approchés en imaginant qu'il y avait peut-être une voie se sont fourvoyés et ont apporté de l'eau au moulin des extrêmes.
Pour autant, le président du groupe Bertrand Pancher ne ferme pas la porte à un pacte républicain. N'allez-vous pas payer cet entre-deux stratégique ?
La position de Liot ne se situe pas dans un entre-deux, mais dans une opposition constructive, ce qui est totalement différent. Nous ne sommes pas des opposants à la vie à la mort, nous plaidons pour une véritable discussion.
D'aucuns évoquent sotto voce des tensions au sein du groupe ?
Des tensions, non. La motion de censure a été votée par dix-huit des vingt membres, chacun d'entre nous ayant sa propre liberté. Le cas du co-président du groupe, Christophe Naegelen, qui n'a pas suivi, appellera une clarification.
Un processus de discussion est en cours entre la Corse et Paris. Peut-il déboucher sur du concret ?
Je l'espère. Mes collègues me disent que les négociations sont difficiles. Je pense que plus on donnera d'autonomie à l'île, avec en contrepartie une responsabilisation des élus insulaires, mieux la Corse et la France se porteront. C'est l'intérêt national, celui du territoire insulaire également, de trouver, au regard des spécificités de l'île, une large autonomie dans le cadre de la République. Je crois qu'il faut sortir d'un débat qui consisterait, en forçant le trait, à dire qu'il y a un problème en Corse et que c'est la faute de l'État central, cela ne fait pas avancer la réflexion. Étant profondément décentralisateur, je suis convaincu que chacun doit pouvoir s'occuper de ses affaires. Et qu'il faut transférer les compétences avec les moyens qui vont avec. C'est la quintessence même d'un pays décentralisé. La Corse, y compris le débat en Corse, y gagnerait.
Vous êtes un spécialiste de la fiscalité, quelle forme doit prendre, selon vous, une possible autonomie pour l'île ?
Il s'agit de renforcer les compétences de l'Assemblée territoriale dans une série de secteurs et ne pas se contenter d'attribuer des dotations. Je suis plutôt de ceux qui sont favorables à une certaine autonomie fiscale pour la Corse. Par exemple, sur les droits de succession qui pourraient revenir à l'île. Il faut octroyer cette autonomie en matière de fiscalité ou la possibilité de fixer des tarifs pour financer les services publics. Il n'est pas sain pour la Corse, cela ne l'est pas non plus pour les départements et régions auxquels on a supprimé pratiquement tous leurs impôts, de vivre de subventions de l'État. Vivre des dotations d'un État qui est en faillite, comme le disait le Premier ministre Fillon, c'est de la folie. Moi, je préfère être autonome en prenant la responsabilité d'expliquer à mes électeurs pourquoi je décide de tel niveau d'impôts, en les augmentant ou les abaissant selon les cas de figure.
Depuis Paris, continue-t-on à redouter une tentation indépendantiste ?
Il ne me semble pas. J'ai beaucoup d'amitié et de respect pour le président Simeoni et mes collègues corses, je pense que sa ligne est la bonne et qu'il faut l'approfondir.
Reste à savoir si Gérald Darmanin a les coudées franches ou si c'est Emmanuel Macron qui est à la manœuvre ?
Quoi qu'il en soit, ce ne sont ni Macron ni Darmanin qui décideront, in fine, c'est le Parlement et l'Assemblée nationale.
Les quatre cinquièmes pourraient néanmoins être difficiles à réunir au Congrès ?
Tout dépend, d'autant qu'il n'y a pas forcément un clivage politique traditionnel sur ces questions. Il existe des décentralisateurs à gauche comme à droite et l'inverse est également vrai (il rit, NDLR) avec des centralisateurs à gauche et à droite. Des opportunités sont à saisir, surtout dans un contexte où le gouvernement n'a aucune majorité à l'Assemblée. Cela peut élargir le débat au lieu de le fermer.
Révolue, l'époque où vous vilipendiez les dérogations accordées à la Corse, à commencer par celles liées aux droits de succession ?
Vous évoquez probablement le fameux Arrêté Miot. Je rappelle que ce que l'on appelait une exonération n'était pas une exonération en droit, c'était une exonération de fait puisque les pénalités n'avaient pas été instaurées, elles avaient été supprimées dans l'île, ce qui est malsain et tout le monde le reconnaît. Même s'il a fallu dix ans pour remettre de l'ordre, on va y arriver et tant mieux. À mes yeux, la Corse est un exemple parmi d'autres de la nécessité de décentraliser davantage ce pays. C'est la raison pour laquelle je suis tout à fait sur la même longueur d'onde que Gilles Simeoni.
Votre regard sur les Corses a radicalement évolué…
Les simeonistes ont fait du bien à la Corse. Ils ont cassé un système politique fossilisé, je ne cesse de le répéter à ceux qui critiquent. Gilles Simeoni est un homme intègre, il a contribué à assainir le monde politique et à faire vaciller le clanisme qui a tenu la corde pendant des décennies. On doit l'aider à poursuivre l'œuvre de modernisation de la Corse et de responsabilisation des élus corses, c'est ce que je défends. Il faut ouvrir les yeux. L'île a changé depuis que le président de l'exécutif, qui n'est pas indépendantiste, est arrivé au pouvoir. L'autonomie la plus large qu'il prône est une voie de sagesse et il a fondamentalement raison sur cette orientation.
Vos relations avec les trois députés nationalistes ?
J'ai de solides échanges avec eux, notamment avec Michel Castellani qui siège avec moi à la commission des finances et Jean-Félix Acquaviva. S'ils avaient été indépendantistes, nous n'aurions pas pu nous retrouver au sein d'un groupe. Mais ils sont autonomistes, et l'autonomie est l'une des formes de la décentralisation que nous appelons de nos vœux.
Élu depuis 1993 député de la Marne, vous êtes le doyen de l'Assemblée en termes de longévité. Votre secret ?
J'aime les gens. On ne m'a pas parachuté conseiller municipal, maire de ma commune, conseiller général, régional, puis député. Cela fait trente-sept que je suis élu local. J'ai toujours privilégié ma circonscription, le terrain, et mes électeurs, de toutes origines, me sont fidèles.
Certains ne comprennent pas pourquoi je n'ai jamais été ministre. Pour obéir aux ordres du conseiller du roi de l'Élysée, cela ne m'intéresse pas. Si un jour on devait me solliciter, j'y mettrais des conditions.
Source article : INTERVIEW. Charles de Courson : "Plus l'île aura d'autonomie, mieux la France se portera" | Corse Matin
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