25.11.2022

Violences faites aux femmes : « Les législations des Etats de l’UE sont hétérogènes. Il faut harmoniser nos droits »

La députée européenne centriste Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteuse de la directive européenne sur la lutte contre les violences faites aux femmes, invite l’Union européenne, dans une tribune au « Monde », à s’inspirer du modèle espagnol, qui a fait ses preuves sur le sujet.

A l’occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, rappelons ce triste constat : en Europe, sept femmes meurent chaque jour sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire. Si plusieurs pays se mobilisent pour éradiquer ce fléau, un seul fait figure de bon élève : l’Espagne.

Pour pallier les manquements des Etats membres, le Parlement européen travaille actuellement sur le projet de directive présenté par la Commission le 8 mars. En tant que rapporteuse pour mon groupe politique (le PPE, centre droit), j’ai un objectif principal : dupliquer le modèle espagnol au niveau européen.

« Tu es une femme, il faut que tu sois soumise. » Ces mots sont ceux de la famille d’Anqa, rencontrée lors de ma visite d’un centre d’hébergement pour femmes battues, à Madrid. Pendant dix-sept ans, elle a vécu l’enfer de la violence domestique. Personne ne la croyait ni ne la soutenait. Malgré tout, grâce à son courage mais aussi aux moyens législatifs, humains et financiers mis en place par l’Espagne, Anqa est sortie d’une situation dangereuse pour elle et ses enfants, évitant le pire.

En France, un parcours du combattant pour les femmes

Avec une loi-cadre en 2004 et 290 mesures interministérielles en 2017, l’Espagne a déjà réussi à réduire le nombre de féminicides de 25 % entre 2003 et 2019. Mieux encore, la part des victimes tuées par leur conjoint et ayant précédemment porté plainte contre leur agresseur est passée de 75 % en 2009 à 20 % en 2019.

De nombreux pays tentent de s’inspirer du modèle espagnol, dont la France. Mais, si les visites ministérielles en Espagne n’ont pas manqué depuis le lancement, en 2019, du Grenelle des violences conjugales, les résultats concrets se font attendre. Sur le financement, d’abord. Quand l’Espagne dépense 16 euros par an et par habitant pour lutter contre les violences conjugales, la France en dépense… trois fois moins (soit environ 5,30 euros).

En ce qui concerne l’accueil des victimes et leur protection, le parcours du combattant reste la norme en France. De l’information au dépôt de la plainte et à la recherche d’une structure d’accompagnement ou d’accueil, les obstacles demeurent trop nombreux. Découragées, nombreuses sont les femmes qui baissent les bras.

Prévenir, accompagner, protéger et sanctionner

En moyenne, ce sont 213 000 femmes qui sont victimes, au cours d’une année, de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint… Seulement 18 % d’entre elles portent plainte. Et même lorsqu’une plainte est déposée, la réponse judiciaire reste trop souvent insuffisante : peu d’ordonnances de protection (17 fois moins qu’en Espagne), peu de téléphones « grave danger », et que dire des bracelets antirapprochement, achetés par l’Etat mais coincés dans les tiroirs des tribunaux.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 143 morts violentes au sein du couple recensées par l’Etat en 2021, contre 125 en 2020 (+ 14 %). En moyenne, un décès est enregistré tous les deux jours et demi en France. Ces chiffres sont glaçants ! Comme la France, d’autres pays sont en retard. Au sein de l’Union européenne, seuls six Etats sur 27 ont défini juridiquement ce qu’étaient les violences faites aux femmes.

Prévenir, accompagner, protéger et sanctionner sont les quatre axes essentiels qui devront figurer dans ce texte, proposé le 8 mars. Dans chaque Etat membre, il nous faut informer à grande échelle sur les situations de violence et alerter par des campagnes de sensibilisation. L’éducation des plus jeunes est aussi un point-clé, afin de ne pas laisser ces violences se banaliser.

La législation espagnole le modèle à suivre

Chaque femme, peu importe son origine géographique ou sociale, doit pouvoir s’informer par des points de contact, physiques ou numériques, et avoir accès à un guichet unique assurant une prise en charge globale, de la mise à l’abri au soutien judiciaire, social, médical, économique et administratif. Le 112 européen des violences conjugales, numéro disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans toutes les langues, doit être mis en place.

Tous les professionnels doivent être formés, des policiers aux magistrats spécialisés, et une plate-forme regroupant les données relatives aux victimes doit être créée pour faciliter l’échange d’informations entre les différents intervenants. Chaque situation de violence est différente, et la réponse doit être adaptée aux risques et besoins spécifiques des victimes. Chaque Etat membre doit être en mesure de délivrer rapidement des ordonnances de protection, de doter les victimes de téléphones « grave danger » et d’ordonner la pose de bracelets antirapprochement.

Les législations des Etats membres sont hétérogènes. Il faut donc harmoniser nos droits. Tout d’abord en créant une définition commune pour certains actes : ce qui est considéré comme un viol en France doit l’être de la même manière en Bulgarie. Ensuite, en veillant à ce que certaines violences soient sanctionnées dans chaque Etat membre, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, notamment pour les mariages forcés ou la diffusion non consentie d’images privées. Enfin, en instaurant un socle de sanctions pour l’ensemble de ces actes. Ces propositions, inspirées du modèle espagnol, devront figurer dans le texte que votera le Parlement.

En France, pour véritablement faire avancer ce combat, ne laissons ni la communication, ni l’idéologie de certaines forces politiques confisquer le débat. C’est d’ailleurs sous des présidents de droite (Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy) qu’ont été autorisées la contraception et l’IVG, qu’a été posé le principe de l’égalité salariale, créé le ministère de la condition féminine, défini le viol comme un crime, protégé le conjoint victime de violence en cas de divorce, ou encore lancé le numéro 3919.

Nathalie Colin-Oesterlé est rapporteuse pour le groupe PPE de la directive européenne sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

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