Otage d'une majorité empêtrée dans ses divisions, le premier ministre, qui proposait de déverrouiller les trente-cinq heures lors des primaires socialistes, affirme aujourd'hui que la dérogation à la durée du temps de travail n'est plus une transgression mais qu'il ne faut surtout pas remettre en cause la durée légale du travail.
Il est vrai qu'avec les aménagements décidés par les majorités successives, les trente-cinq heures sont devenues une durée théorique du temps de travail, mais je vois au moins trois raisons qui devraient nous conduire à y mettre fin.
Tout d'abord, cette réforme a contribué à présenter le travail comme une aliénation et à opposer le temps du travail aux temps personnel et collectif, en tentant de définir par la loi les frontières qui les séparent. Or, le travail peut être source d'épanouissement et d'émancipation. Il suffit d'entendre le désespoir des six millions de Français qui en sont privés pour le comprendre.
Ensuite, l'application uniforme de la réforme à des secteurs radicalement différents témoigne de la conception d'un Etat qui se méfie du dialogue entre patrons et salariés et de leur capacité à s'organiser pour le bon fonctionnement de leur entreprise. La classe politique est souvent si éloignée du monde économique qu'elle en est venue à croire que son rôle était de créer des emplois, elle qui devrait plutôt s'attacher à créer les conditions permettant aux entreprises de le faire.
Enfin, on a fait croire aux Français que travailler trente-cinq heures était un droit alors que le premier droit des chômeurs est d'avoir un travail. La gauche a toujours été persuadée qu'en partageant les emplois on rendrait possible les embauches. Elle oublie que le chômage ne peut pas se combattre par une approche comptable. Elle méconnaît le contexte international qui s'accommode mal d'un renchérissement du coût du travail. Elle méprise les compétences des salariés en découpant leur travail quotidien en une succession de tranches horaires.
Si les Français acceptent d'ores-et-déjà de travailler plus de trente-cinq heures par semaine - comme le reconnaît Manuel Valls - pourquoi s'obstiner à leur imposer une durée légale inférieure ? Pourquoi continuer à ignorer que les trente-cinq heures ont une incidence sur la compétitivité, la croissance et l'emploi ?
Fixons dans la loi une durée maximale du temps de travail et laissons la question de son organisation - et notamment celle du seuil de déclenchement des heures supplémentaires - à la négociation collective, seule à même de définir le juste équilibre entre performance économique et épanouissement personnel.
Supprimons les trente-cinq heures et rendons au travail la place qu'il mérite. Donnons un signal fort, celui d'un Etat qui fait confiance et considère enfin ses entreprises.