« NON, CHER LA BRUYÈRE, LE GENRE MASCULIN N’EST PAS PLUS NOBLE QUE LE GENRE FÉMININ ! »
Benoît Cuturello, Président des Jeunes Centristes
Ariane Delamarre, Secrétaire-Générale des Jeunes Centristes
Et l’ensemble du Bureau National des Jeunes Centristes
« Le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif. […] On condamne celle qui fait de la tête des femmes la base d’un édifice à plusieurs étages, dont l’ordre et la structure change selon leurs caprices. », La Bruyère, Les caractères, 1688.
Léonora Miano, femme de lettre franco-camerounaise, attire l’attention dans un texte intitulé « on ne se fait pas » sur le rôle de la sémantique dans la mise en place d’une mentalité :« On ne se fait pas violer, on est violé, le viol c’est l’autre qui le fait ». Insistant sur la grammaire pour montrer comment la société française a cherché pendant des années à culpabiliser les victimes, cet auteur pointe ici du doigt le langage comme révélateur d’une manière de penser, d’un mode de vie, d’une pratique sociétale. La pensée est ainsi toujours tributaire d’une langue.
Dans une société dans laquelle 25% des femmes vivant en ville ont déclaré avoir été insultées au moins une fois dans la rue au cours des 12 derniers mois, et dans laquelle en moyenne, chaque année, on estime à 84 000 les victimes de viols ou tentatives de viols et 220 000 les victimes d'agressions sexuelles, cette réflexion sur la grammaire française prend un tout autre sens. Ces chiffres effarants montrent aujourd’hui que l’égalité hommes femmes reste un chantier fondateur à mettre en branle pour notre société et que, dans le domaine, rien n’est acquis. Ainsi en résumé dans sa vie, une femme sur dix est victime d’un viol, et quatre femmes sur dix d’agressions sexuelles (chiffres issus d’une enquête de l’ENVEFF). A une égalité théorique, doit se substituer une égalité effective : il est temps que le consentement et la réflexion féminine obtiennent les mêmes lettres de noblesse que le consentement et la réflexion masculine.
Si le lexique et les formes grammaticales ont des conséquences importantes sur la pensée des membres d’une société, il est évidemment possible de modifier et de créer des concepts, ainsi que de modifier la grammaire d’une langue pour faire correspondre la langue à une nouvelle manière de penser d’une société. Ainsi, la langue française a toujours été en permanente évolution depuis l'ancien français jusqu'à aujourd'hui. Le vocabulaire admis dans nos dictionnaires évolue, notre grammaire aussi. A une époque où les chiffres des violences faites aux femmes sont indignes d’une société civilisée, il est temps de questionner les causes de ce sexisme structurel et de chercher des solutions pour faire évoluer la pensée française vers une plus grande justice pour le sexe féminin.
S’il est possible de comprendre qu’à une époque où le pater familias dominait sa famille et notamment sa femme, l'académie française ait mis en place la domination féminine dans la langue française, aujourd'hui, la femme française est l'égale de l'homme en théorie, et aspire à l'être dans la pratique. La question se pose ainsi aujourd’hui de l’inclusif, du neutre, de la féminisation des titres honorifiques et professionnels et de l’accord de proximité. Issus pour la plupart des langues latines et grecques au fondement de notre culture, ces éléments grammaticaux n’ont rien d’absurdes et méritent toute notre attention et une réflexion pertinente sur le sens de la grammaire.
Si l’inclusif semble peu lisible, les autres propositions néanmoins semblent particulièrement pertinentes. Ainsi, la féminisation des titres semble logique, sauf à inventer un neutre en français, il semble illusoire aujourd’hui de prétendre que le masculin contrairement au féminin aurait double valeur de masculin et de neutre, comme si l’objectivité masculine serait plus forte que celle des femmes. Force est de constater que la plupart des métiers en question étaient tenus par des hommes et que leur soi-disant neutralité est en réalité un signe social de la masculinité de certains métiers à certaines époques résolues.
La fin de l’accord de proximité est un exemple particulièrement flagrant de la volonté de domination masculine qui a irrigué l’académie français au XVIIème et XVIIIème siècles. Ainsi, Racine, à qui personne n’oserait tout de même reprocher son manque de maîtrise de la langue française écrivait en 1691 dans Athalie « Armez-vous d'un courage et d'une foi nouvelle » accordant l’adjectif nouvelle au mot féminin foi proche, et non pas au masculin courage. Cela vous choque-t-il ? Nous pas. L’accord de proximité ne posait donc aucune difficulté avant d’être enterré par une décision arbitraire de l’académie française. Ainsi, le grammairien Beauzée expliquait en 1767 : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » Il ne s’agit pas de juger des mentalités d’une époque passée, mais d’admettre que des idées aussi rustres ne sauraient continuer de fonder notre grammaire.
Pour les Jeunes centristes, il n’y a pas besoin d’aller plus loin pour trancher. S’il serait illusoire de penser que la grammaire puisse toute résoudre, l’éducation des enfants est néanmoins une nécessaire condition à l’évolution des mentalités. Souhaitons-nous réellement transmettre à nos enfants par notre langage et nos règles grammaticales des valeurs du type « le masculin l’emporte toujours sur le féminin » ?
Non merci !