La décentralisation en discussion au Parlement :
Quel avenir pour la France en Nouvelle-Calédonie et dans l’Indo-Pacifique ?
La Nouvelle-Calédonie est la collectivité Française la plus décentralisée, elle exerce aujourd’hui quasiment toutes les compétences hormis les compétences régaliennes. Elle est souvent citée en exemple par les partisans de la décentralisation et est observée pour cela dans le monde entier.
Après une période de 30 ans de paix faisant suite aux accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998) La Nouvelle-Calédonie se prépare un nouvel avenir.
Après trois référendum d’autodétermination mettant fin à l’Accord de Nouméa remportés par trois fois entre 2018 et 2021 par les partisans de la France, les partis politiques représentés au Congrès ont entamé le 28 octobre 2022, des discussions. Une méthode, un calendrier et des thématiques ont été fixés.
Ces discussions n’ayant pas encore abouties à un nouvel accord, des élections provinciales devait intervenir au mois de mai 2024.
Selon une révision de l’Accord de Nouméa intervenu en 2007 et malgré l’approbation de celui à 72%, les électeurs arrivés ou revenus chez eux après 1994 (soit environ 20% des électeurs, 41 679 personnes en 2022) ont été privés du droit de vote aux élections provinciales. Cette disposition transitoire prenait fin avec l’accord.
Pour permettre la tenue des élections provinciales avec l’établissement de nouvelles listes électorales prenant en compte la fin de l’accord et des restrictions du droit de vote Gérald Darmanin a proposé deux projets de loi.
La première loi est constitutionnelle et prévoit d'élargir le corps électoral calédonien pour les élections provinciales aux électeurs nés ou domiciliés depuis plus de dix ans en Nouvelle-Calédonie. Cette modification rendra électeurs près de 25 000 personnes, dont 12 000 natifs. Cette révision constitutionnelle entrera en vigueur le 1er juillet 2024, après son adoption par le Parlement réuni en Congrès.
La seconde Loi est organique et vise à reporter les élections provinciales, initialement prévues en mai 2024, au plus tard au 15 décembre 2024. Si un accord était conclu et si nécessaire, ces élections pourraient être de nouveau reportées, au plus tard au 30 novembre 2025.
Les parlementaires ont définitivement voté le projet de loi organique.
Les 26 mars et 2 avril 2024, le Sénat doit examiner le projet de loi constitutionnelle.
Quels sont les enjeux posés à la représentation Nationale par l’examen ces deux projets de Loi ?
Comment permettre une juste représentation des électeurs calédoniens au Congrès de la Nouvelle-Calédonie (le Parlement local) ?
La composition du Congrès de la Nouvelle-Calédonie prévoit aujourd’hui un écart de représentation extrêmement important entre les trois provinces. La province Sud peuplée de 75% de la population calédonienne n’est représentée que par 59% des élus du congrès. Ainsi, il faut aujourd’hui 2,4 fois plus d’habitants en province sud qu’en province des îles pour un élu. En 1998, lors de l’Accord de Nouméa, ce rapport de représentativité n’était que de 1,4, tout comme lors de l’Accord Matignon en 1988. En 1985, lors de la mise en place des régions Sud, Ouest, Est et Îles de Nouvelle-Calédonie dans le cadre du statut « Fabius-Pisani » (septembre 1985) le Conseil Constitutionnel avait lui-même censuré un rapport de représentativité de 2 entre le sud et les îles.
Le sénateur Médevielle présente très justement un amendement ayant pour objet d’instaurer une révision à chaque renouvellement des assemblées des provinces et du congrès de la répartition des élus des trois provinces au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Cette modification de la répartition au Congrès se ferait selon la démographie des trois provinces.
Pour la modification de la répartition qui interviendrait lors des élections provinciales de 2024 prévues par le projet de loi organique la modification de cette répartition se ferait sur la base de l’évolution démographique depuis l’accord de Nouméa en 1998 lorsque cette répartition a été établie.
Comment faire respecter en France le droit international ?
Selon l’ONU, c’est aux populations des territoires non autonomes qu’il appartient de déterminer librement leur statut politique futur conformément aux dispositions pertinentes de la Charte, de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale.
Selon les indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, le peuple Kanak, premier occupant, est le seul légitime à choisir librement son statut politique, ils affirment cependant avoir consenti lors de la table ronde de Nainville les Roches en 1983 à ce que l’autodétermination soit ouverte également, « pour des raisons historiques, aux autres ethnies », les « victimes de l'histoire ».
Encore faut-il que lesdites victimes de l’histoire soient justement représentées.
Les statistiques de l'Isee indiquent que les Kanak représentent 94% de la population des îles Loyauté et 70% de celle de la province Nord. La composition ethnique de la province Sud, qui regroupe 75% de la population globale, est la plus diversifiée avec 33,3% d'Européens, 26% de Kanak, 10,7% de Wallisiens et Futuniens, 2,6% de Polynésiens et la plupart des Asiatiques de l'archipel.
On peut lire à travers ces chiffres les enjeux que représentent l’adoption de la loi organique sur l’élargissement du corps électoral aux électeurs domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis plus de dix ans et l’adoption de l’amendement du Sénateur Médevielle permettant une meilleure représentation des électeurs de la province Sud.
Comment conserver à la France sa présence dans l’Indo Pacifique et son rang international ?
Alors que dans les années 80 et la période des évènements de 84-88 en Nouvelle-Calédonie, les australiens et les néo-zélandais se montraient plutôt favorables à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, particulièrement après leur opposition à la poursuite des essais nucléaires français dans le pacifique (à Mururoa) et l’attentat du Rainbow Warrior bateau de Green Peace saboté à Auckland par des militaires Français le 10 juillet 1985.
A contrario, les ambassadeurs de Nouvelle-Zélande, d’Australie, du Japon se sont dits très inquiets de l’organisation par la France de trois référendum successifs (de 2018 à 2021) sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, estimant que la France donnait alors l’impression de vouloir se débarrasser de la Nouvelle-Calédonie. Aujourd’hui encore ces pays estiment que la France n’affirme pas suffisamment sa volonté de maintenir sa présence en Nouvelle-Calédonie.
La Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Japon craignent en effet un renforcement de l’implantation militaire chinoise dans cette zone du Pacifique alors que les Chinois préparent l’installation d’une Base navale non loin de là aux Iles Salomon. La Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Japon (qui vient d’installer pour la première fois un consulat en Nouvelle-Calédonie) pensent que la présence de la France permettra de contenir la toute puissance chinoise.
De plus, la Nouvelle Calédonie est le premier archipel du Pacifique face à l’Australie et le gouvernement australien verrait d’un très mauvais œil le fait qu’après un éventuel départ de la France, une marine hostile puisse s’y installer.
Avec l’arrivée à la Présidence de la République d’Emmanuel Macron la France s’est officiellement dotée d’une doctrine sur l’Indo-Pacifique faisant désormais de cette zone une priorité pour la France.
Il faut être conscient du fait que l’économie mondiale s’est déplacé vers l’Indopacifique, que six membres du G20 (Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon) sont présents dans cette zone, que l’Indopacifique, contribuera d’ici 2030 à environ 60% du PIB mondial.
La France, si elle veut conserver son rang sur la scène internationale ne peut se dispenser d’une présence dans l’Indo-Pacifique.
Dans un contexte international marqué par l’instabilité et la montée en puissance des régimes autoritaires, la représentation Nationale serait bien avisée d’adopter les textes de loi et amendements précités qui garantiront une représentation juste et équilibrée des électeurs calédoniens, le respect du droit international qu’ont toutes les populations durablement installées en Nouvelle-Calédonie d’exprimer leur choix de demeurer Français et une présence durable de la France et de « son ambition de promouvoir dans cette région du monde une approche inclusive et stabilisatrice, fondée sur la règle de droit et le refus de toute forme d’hégémonie ».
Pascal Vittori
Maire de Boulouparis (Nouvelle-Calédonie)
Secrétaire national Les Centristes en charge de l'Outre-Mer