Monsieur le Président,
Madame le Ministre,
Mes chers collègues,
La burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter dans notre pays des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité de la femme. Tels étaient, voici près d’un an, les mots du Président de la République lorsque, devant le Parlement réuni en Congrès, il avait invité notre assemblée à poursuivre la démarche dans laquelle elle s’était engagée en créant, autour de nos collègues André Gérin et Eric Raoult, une mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur notre territoire national.
C’est un fait, quand bien même il s’agirait en France d’un phénomène encore marginal, le port du voile intégral interpelle depuis de longs mois les responsables politiques de gauche comme de droite. Avec eux, c’est une large majorité de français, quelle que soit par ailleurs leur sensibilité politique, qui s’interroge sur les réponses qui doivent y être apportées.
Avec cette proposition de résolution, nous abordons aujourd’hui l’ultime étape d’un débat engagé depuis, en réalité bien plus d’un an, après que l’unanimité se soit faite au sein de notre mission, pour dire combien le port du voile intégral s’oppose à nos valeurs communes, à ces valeurs parmi les plus intangibles et les plus fondamentales de notre République.
En cet instant, il nous appartient donc avant tout de mesurer la responsabilité, qui est celle de la représentation nationale toute entière, de répondre à cette pratique, de répondre à ceux qui, dans notre pays, s’estiment en droit d’asservir des femmes en leur imposant ce qui n’est rien d’autre qu’une véritable mort sociale, pour leur adresser le message unanime d’une République rassemblée et confiante en la force de ses valeurs comme en celle de son idéal.
Pour autant, mes chers collègues, nous ne sommes pas aujourd’hui réunis dans cet hémicycle pour légiférer ou définir les contours juridiques de cette réponse, mais bien pour proclamer et faire vivre cet idéal républicain qui tous ici nous rassemble.
La révision constitutionnelle de 2008 a ouvert aux assemblées parlementaires la possibilité de voter des résolutions. Ce faisant, notre assemblée s’est ainsi vue doter d’un moyen qui lui était refusé depuis 1958, de s’exprimer solennellement sur une question en formalisant sa position par le vote d’un texte.
Ne nous y trompons pas, avec la discussion de cette résolution, nous nous trouvons donc bien aujourd’hui sur le terrain des symboles. Aujourd’hui, c’est d’abord à ces femmes que nous nous adressons, à toutes celles qui sur notre territoire subissent la loi du voile intégral mais aussi à toutes celles qui de par le monde luttent durement encore, pour la reconnaissance de leurs droits.
C’est pour elles qu’il nous faut à présent renouer avec l’extraordinaire incandescence des premières lignes du Préambule de 1946 : Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Oui, mes chers collègues, le port du voile intégral est bel et bien une pratique aux antipodes de nos valeurs républicaines.
Certes, le port du voile intégral interroge en apparence d’abord notre conception de la laïcité. Si la République reconnaît à chacun la liberté de culte, sous réserve que celle-ci ne trouble pas l’ordre public au nom du principe d’égalité, nul ne peut se prévaloir de son appartenance communautaire ou religieuse pour s’affranchir des règles communes.
Ne mélangeons cependant pas, mes chers collègues, la question du voile intégral avec celle des signes religieux portés à l’école. Il ne s’agit pas aujourd’hui de protéger la neutralité de la République, celle de ses institutions comme celle de ses agents car celle-ci n’est pas en cause. Ce dont il s’agit en réalité, c’est bien d’une pratique observée dans l’espace public par des personnes qui y sont libres de leurs opinions. Ce n’est donc pas de laïcité qu’il s’agit et c’est pourquoi toute réflexion placée dans cette perspective ne pourrait, immanquablement qu’achopper.
Dans son fondement même, le débat sur le voile intégral n’est pas un débat sur la place des religions dans notre pays. Sur cette question du reste, comment être plus clair que ne l’est déjà l’article premier de notre Constitution ? La République respecte toutes les croyances. Autrement dit, car il ne saurait y avoir aucun malentendu sur ce point, la religion musulmane a bien, comme les autres, toute sa place en France.
Oui, le débat sur le voile intégral est en réalité un débat sur la place et le rôle de la femme dans la société, sur ses droits dans la République. Le port du voile intégral nous choque en ce qu’il nous renvoie l’image d’une société où, pour survivre, la femme en serait réduite à se placer sous la protection et sous la domination d’un homme, père ou époux.
Cette conception de la société n’a pas sa place dans notre pays.
Refuser l’asservissement des femmes à qui le port du voile intégral se trouve autoritairement imposé, ce n’est pas chercher à dresser une catégorie de français contre une autre, c’est au contraire proclamer et faire vivre ce qui nous rassemble, ce qui fonde notre projet républicain et notamment ce principe d’égalité entre hommes et femmes.
Ayons aussi le courage de le reconnaître, la République n’a pas, au long de son histoire, toujours été exemplaire sur ce point, tardant notamment à reconnaitre aux femmes le droit de vote. Cette époque est à présent révolue depuis longtemps, et si beaucoup reste à faire, il n’en demeure pas moins que le principe d’égalité entre hommes et femmes s’est désormais bel et bien imposé comme l’un des points cardinaux de toute action publique.
Mes chers collègues, le port du voile intégral constitue tout à la fois un déni de liberté lorsqu’il a lieu sous l’effet de la contrainte, que celle-ci soit patente ou diluée dans un environnement social ; une négation de l’égalité entre citoyens qui dépouille la femme de son identité quand ce n’est pas de son humanité ; le port du voile intégral c’est le refus affiché de l’idéal de fraternité, une volonté de se soustraire au vivre-ensemble républicain.
Aussi, mes chers collègues, sur une question impliquant aussi directement les principes qui sous-tendent notre République et son projet de société, il ne saurait y avoir d’atermoiements ni de réponse partielle.
C’est pourquoi, je veux le dire sans ambigüité, les députés du Nouveau Centre apporteront leur soutien à cette résolution et c’est pourquoi nous voterons ce texte.
Mes chers collègues, notre soutien ne va cependant pas sans regrets, regrets quant à la forme, mais aussi hélas quant au fond de ce texte.
Regrets quant à la forme car le texte dont nous discutons aujourd’hui n’est pas celui qu’avaient élaboré les membres de notre mission d’information. Nous ne cherchons pas sur ce point à créer une polémique qui ne serait en tout état de cause que secondaire. Le groupe majoritaire en déposant ce texte a sans doute estimé qu’il assumait là, sa part de responsabilité dans le débat qui nous occupe. Pour notre part, nous regrettons pourtant que le processus consensuel initié par la constitution au sein de notre assemblée d’une mission d’information pluraliste, n’ait pu être mené jusqu’à son terme, tant la réponse de la République au port du voile intégral porte en elle l’exigence de l’unanimité.
Regrets quant au fond, car au gré des négociations qui ont mené à la rédaction du présent texte, c’est un élément à nos yeux essentiel, qui en a disparu. Je pense à la référence explicite faite au vivre-ensemble républicain.
Il ne s’agit pas là, mes chers collègues, d’une simple question de principe.
Passé le vote de cette résolution, il nous faudra pousser le débat à son terme et légiférer pour mettre en conformité les discours et les actes. Or nous le savons, le Conseil d’Etat l’a d’ailleurs rappelé dans son avis rendu à la demande du Premier Ministre, la voie qui mène à l’interdiction générale du voile intégral est étroite et juridiquement fragile.
En effet, si le constituant est souverain dans notre ordre juridique, le législateur pour sa part ne l’est que partiellement dans la mesure où ses travaux font l’objet d’un contrôle de la part du juge constitutionnel. Contrôle s’opérant aussi bien a priori, lorsqu’un projet de loi lui est soumis préalablement à son entrée en vigueur, qu’à posteriori, depuis l’entrée en vigueur, voici quelques semaines de la question prioritaire de constitutionnalité, qui permet à nos concitoyens de contester devant la justice, la constitutionnalité des lois qui leur sont opposées.
Les travaux de la mission d’information comme le Conseil d’État, l’ont montré : la difficulté réside dans le fait qu’une interdiction générale du voile intégral, mesure que nous soutenons, se trouve aux carrefours de plusieurs principes ayant valeur constitutionnelle, la garantie des libertés individuelles, qui selon certains peut aller jusqu’à accepter certaines formes d’asservissement volontaire, l’égalité entre hommes et femmes mais aussi la préservation de la dignité de la personne humaine, des divergences significatives existant du reste autour de cette notion entre la jurisprudence des juridictions françaises et celle de la Cour européenne des droits de l’homme.
Certains principes sont moins souvent mis en avant et ce, bien qu’ils nous semblent juridiquement plus prometteurs.
Je pense notamment à la préservation des droits des tiers, traduction juridique de cette notion de vivre-ensemble républicain qui veut que chacun soit, en République, à même d’identifier ou de reconnaitre la personne avec qui il échange, discute ou entre en contact. Ce droit des autres doit être respecté lui aussi.
C’est en ce sens, mes chers collègues que nous regrettons l’absence d’une référence claire et explicite à la notion de vivre-ensemble.
Sur un sujet d’une telle prégnance, ne négligeons pas les effets dévastateurs qui accompagneraient immanquablement une censure de la part du juge constitutionnel. Ce ne serait pas alors la défaite d’un camp contre un autre mais bien plus, un camouflet pour la République.
Mes chers collègues, c’est en cela que le débat que nous aurons ici même dans quelques semaines revêt bel et bien une importance cruciale. Passé le vote de cette résolution, il nous appartiendra de définir ensemble les contours d’un texte juridiquement viable pour que sur cette question du voile intégral, valeurs et principes républicains coïncident enfin avec le droit.
Je vous remercie.