Tribune parue dans Les Echos
À l'occasion d'un 14 juillet un peu spécial où les forces déployées sur les Champs-Élysées pour sécuriser le défilé sont aussi nombreuses que les troupes qui y défilent.
Cette année, autant de forces de sécurité assureront la sécurité du défilé du 14 juillet qu'il n'y aura de troupes qui descendront les Champs-Élysées. Le maintien de la vigilance, après un semestre particulièrement lourd en victimes du terrorisme, sur notre sol comme sur celui de nos voisins européens et méditerranéens, s'est, en effet, imposé comme une exigence à laquelle les Français doivent s'adapter.
Aujourd'hui, 10 000 militaires sont déployés en opérations extérieures alors que 7 200 sont désormais engagés dans l'OPINT Sentinelle, sur le territoire national.
Tous sont engagés pour défendre les intérêts des Français et leur sécurité, sur nos territoires et ce 14 juillet doit comme chaque année être un moment de reconnaissance pour ces 258 000 femmes et hommes qui composent nos Forces armées.
Deux ombres majeures pèsent sur l'avenir de nos armées
Certains choix ont été faits et je les soutiens. Avec un tel niveau d'engagement, extérieur, mais aussi intérieur (c'est une première depuis des décennies), il fallait ralentir la déflation des effectifs. Il fallait aussi, autant que possible, chercher à pérenniser les crédits d'équipements même si les dotations accordées à la défense sont en grande partie des chèques en blanc puisque l'essentiel est accordé durant le prochain quinquennat. En outre, le coût des opérations extérieures, plus d'un milliard en 2015, pèsera bien entendu sur les armées puisqu'il n'est pas financé par des dotations supplémentaires.
Ce qui doit nous amener à aborder les sujets de fond avec courage et sans tabou, car deux ombres majeures pèsent sur l'avenir de nos armées :
- La première est le refus de construire un outil de défense repensé en fonction de l'indigence des moyens budgétaires. Certes, la vente des rafales va soulager les crédits d'équipement (puisque nous pourrons ne pas en commander pendant trois ans sans que cela mette en cause le maintien des chaînes de production de Dassault), mais en vérité, l'effort que la France fait pour son armée conventionnelle n'est pas supérieur à celui de l'Allemagne. Nous continuons à faire croire que nous sommes une puissance militaire globale, capable d'entrer en premier sur un théâtre d'opérations.
Nous vivons dans une fiction qu'il serait temps de lever. C'est pourquoi je plaide pour une armée repensée d'une part, autour d'un corps expéditionnaire capable d'intervenir en autonomie totale dans une opération de type Mali et d'autre part, dans la construction d'une armée reposant sur des briques capacitaires de premier plan qui seraient fournies dans le cadre d'opérations multinationales (ce qui est le cadre le plus fréquent). Au lieu de continuer à nous disperser, je préfère une armée resserrée sur un noyau dur.
- La seconde difficulté est le poids croissant du nucléaire à l'horizon des dix prochaines années. Si rien ne bouge, il représentera 40 % des crédits d'équipement en 2024 ce qui n'est, bien entendu, pas supportable, la France n'ayant pas vocation à devenir la Corée du Nord ! Donc l'heure du choix approche.
La dissuasion nucléaire s'appuie sur deux principes fondamentaux : l'incertitude et la foudroyance.
Sur ce sujet compliqué, il nous semble impératif de revenir au fondement de la théorie de la dissuasion et se demander honnêtement si le fait de n'avoir qu'une seule composante remettrait en cause notre doctrine nucléaire. Rappelons que la dissuasion nucléaire s'appuie sur deux principes fondamentaux : l'incertitude, d'une part, la foudroyance, d'autre part :
- L'incertitude, c'est l'incertitude pour un ennemi de notre appréciation de nos intérêts vitaux et du seuil de déclenchement.
- La foudroyance, c'est la certitude pour ce même agresseur d'une réaction certaine, immédiate, dévastatrice et disproportionnée par rapport à l'enjeu de nos intérêts vitaux. Quiconque franchit le rempart est aussitôt anéanti.
Ne disposer que d'une seule composante, notre composante océanique, peut-il réduire l'incertitude sur notre détermination et sur notre appréciation de nos intérêts vitaux ? Nous ne le croyons pas. Ne disposer que d'une seule composante, remet-il en cause notre capacité de foudroyer l'ennemi ? Sans doute pas davantage.
Comme sur tous les sujets, François Hollande met la poussière sous le tapis, mais en 2017, un des premiers dossiers du futur chef de l'État sera bien celui du rééquilibrage des moyens accordés à notre défense.
Les arbitrages seront d'autant plus importants que le contexte terroriste exige de consacrer davantage de moyens au renseignement. En effet, il est devenu indispensable de pouvoir anticiper notre action grâce à ce dernier. À cette fin, les deux Livres Blanc de 2008 et de 2013 consacraient déjà de longs développements aux moyens de la France d'acquérir les renseignements nécessaires à la compréhension à la fois des jeux d'acteurs et des menaces, le développement de la connaissance et des capacités d'anticipation constituant dorénavant "notre première ligne de défense".
L'ensemble des événements internationaux des dernières années n'a pourtant pas été décelé suffisamment à temps. C'est donc que nous devons faire beaucoup mieux en terme de renseignement.
Ayons donc collectivement le courage de tirer les conséquences de ces nouveaux enjeux de sécurité sur notre outil de défense et cessons de prétendre pouvoir tout faire et tout faire seuls, quand nous n'arrivons même pas à anticiper et guère mieux à décrypter ces "ruptures stratégiques". Distinguons, dès lors, quelques vraies priorités par exemple la cybersécurité. Osons nous attaquer aussi à quelques "vaches sacrées" jalousement préservées par un petit nombre d'industriels ou d'experts, et décidons enfin ce que nous voulons et pouvons faire au terme d'un débat réellement démocratique.
N'ayons pas peur de faire entrer le débat sur le rôle et le format des Armées dans l'arène publique et médiatique. Ce n'est que comme cela que l'on retrouvera le fil d'Ariane du lien Armées-Nation, distendu, depuis la suspension du Service national.