Le "plan Marshall" d'Hervé Morin pour les Intercités normands
Le Premier ministre Manuel Valls a signé une convention inédite avec la région Normandie présidé par Hervé Morin (UDI). A partir du 1er janvier 2020, la Normandie gérera les trains Intercités qui la desservent. "Pour la première fois, l'Etat, en lien avec la SNCF, va transférer à une région la responsabilité des trains d'équilibre du territoire", a expliqué le chef du gouvernement. Le nouveau président de la région unifiée en avait fait une promesse de compagne alors que les trains qui relient la région à Paris souffrent de vétusté et mécontent grandement ses usagers. Il revient pour Challenges sur les enjeux en termes d'attractivité du territoire et les modalités de cet accord inédit qui pourrait faire tache d'huile.
Pourquoi vouliez-vous reprendre la gestion des trains Intercités qui desservent la Normandie?
Car la situation est calamiteuse. Nous avons des trains souvent en retard, qui n'ont pas d'eau, des toilettes parfois fermés... Nos trains ont plus de quarante ans, ce qui provoque des problèmes de maintenance. Voici le quotidien moyenâgeux de dizaines de milliers de Normands qui se rendent à Paris pour travailler.
Par ailleurs, c'est aussi une question d'attractivité du territoire. Il nous faut être connecté à Paris. Or, compte tenu de la faiblesse de notre desserte aéroportuaire et de l'horizon encore lointain de la future Ligne Nouvelle Paris-Normandie, reprendre la gestion des trains Intercités constituait déjà une réponse.
Comment se sont déroulées les négociations avec l'Etat et le ministère des Transports?
Dès que nous avons emporté la Région, nous avons indiqué que nous voulions lancer un Plan Marshall pour le train. J'ai rencontré Manuel Valls en janvier, puis par deux fois le ministre des Transports Alain Vidalies, pour définir les éléments de la négociation. Nous sommes tombés sur un accord qui prévoit que l'Etat finance à hauteur de 720 millions d'euros l'achat d'une quarantaine de nouvelles rames sur les lignes Paris-Caen-Cherbourg et Paris-Rouen-Le Havre. Nous avons également obtenu la garantie que des travaux soient entrepris sur les voies pour un montant de 500 millions d'euros. Enfin, la maintenance ne sera plus assurée à Clichy mais sur trois sites normands: Caen, Granville et Sotteville-lès-Rouen.
Une fois acté ces éléments, l'Etat nous avait demandé de reprendre totalement la gouvernance des trains Intercités au 1er janvier 2017, puis 1er janvier 2018. Nous le ferons finalement à partir du 1er janvier 2020 pour avoir le temps de reconstruire complètement le schéma de transports. En contre-partie, nous avons accepté de supporter le déficit sur les années 2018 et 2019, ce qui correspond à environ 70 millions d'euros.
Qu'entendez-vous par "reconstruire le schéma de transports"? Allez-vous augmenter les rotations, changer les horaires?
Nous devons adapter l'offre aux usages. Il faudra peut-être par exemple adapter les horaires pour permettre à un plus grand nombre de Normands travaillant à Paris de rentrer plus tard le soir. Il faut aussi nous interroger sur la desserte de Mantes-la-Jolie. Nos trains doivent-ils continuer à s'y arrêter? Enfin, il y a une rationalisation à mener autour des TER et Intercités dans la Région. Mais aucun changement de tarifs n'est prévu.
Comment comptez-vous financer le déficit des lignes Intercités en Normandie, évalué à 30-35 millions d'euros par an?
Tout d'abord, nous avons demandé une expertise sur ces chiffres. Si la SNCF nous a transmis de mauvais chiffres, la convention pourrait être remise en cause.
Sinon, notre objectif est de revenir à l'équilibre en effectuant cette réorganisation des Intercités. Nous espérons que les nouvelles rames, qui seront aussi confortables que dans un TGV, et les travaux de modernisation des voies vont permettre de regagner de la clientèle. Nous allons également lutter contre la fraude qui est très importante sur le réseau. Elle est estimée à près de 10%. Actuellement, les contrôleurs n'osent même plus verbaliser les passagers car lorsqu'il y a trop de retard, il est difficile de demander aux gens de payer. Or, cela arrive souvent.
Vous êtes une région pilote puisque c'est la première fois qu'un accord de régionalisation est passé pour les Intercités. Pensez-vous que les autres régions devraient faire de même?
Il ne suffit pas de râler. Soit on reste là à trépigner sans que rien ne bouge, soit on agit. Globalement, l'Etat ne sait pas quoi faire de ses trains Intercités et va de rapport en rapport. C'est un modèle qui va un jour ou l'autre disparaître. Donc, il s'agissait pour nous d'être moteur et de sortir par le haut de cette situation. Nous ne voulions pas que se reproduise ce qui s'est passé avec la ligne Paris-Granville. La Région a dû financer 140 millions d'euros pour l'achat de nouvelles rames car la SNCF ne voulait plus que ça reste un train Intercités. Nous avons donc repris la gestion mais sans aucun avantage puisque nous avons dû financer les nouveaux trains. Dans le cadre de la convention signée hier, l'Etat nous a débloqué 720 millions d'euros. Ce qui montre qu'il est possible de faire autrement.
La reprise en main des Intercités remet-elle en cause le projet de Ligne Nouvelle Paris Normandie (LNPN)?
Au contraire. Cette convention donne une nouvelle chance aux trains dans la région. Aujourd'hui, le trafic baisse car nos trains ont plus de 40 ans d'existence et sont souvent en retard. Nous espérons regagner de la clientèle avec les nouvelles rames et ainsi justifier encore davantage la LNPN et les investissements qui sont nécessaires. Nous en sommes actuellement à la fin des études de faisabilité pour une entrée en service vers 2030-2035.