Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, ils empruntent par dizaines de milliers les chemins d’un espoir incertain. Certains meurent en traversant la Méditerranée dans des embarcations de fortune, d’autres meurent entassés dans des camions abandonnés sur le bord de la route en fuyant la barbarie, la guerre, les persécutions. Ils sont contraints de quitter la terre qui les a vus naître et d’abandonner leurs racines, condamnés à l’exil dans l’attente, dans l’espoir sans doute, de revoir leur pays.
Dans leur immense majorité, ces hommes et ses femmes qui mettent leurs vies en péril pour rejoindre l’Europe ne sont pas des migrants économiques. Ils sont Syriens, Irakiens, Afghans, Érythréens ou Soudanais. Ils ne sont pas à la recherche d’un emploi ou avides de prestations sociales avantageuses.
Leur mort est insupportable pour la conscience humaine, leur arrivée constitue un défi immense pour les États qui doivent les accueillir.
Disons-le sans détours : leur accueil, même lorsqu’il leur permet de vivre libres et le plus dignement possible, ne constitue pas une réponse suffisante. Il est un impératif moral, un devoir éthique. Mais la crise que nous connaissons a un nom : Daech, monstre enfanté par la barbarie et par les renoncements coupables de la communauté internationale. Seule son éradication y mettra fin.
L’exigence est donc de construire une coalition internationale associant la Russie, l’Iran et les pays de la région, qui pourra intervertir sous l’égide des Nations unies et définir une solution politique concertée pour stabiliser la zone de manière durable. Il appartient à la France de mener, avec toutes celles et ceux qui placent la dignité humaine au-dessus de tout, cette lutte implacable, longue et violente, que seul un combat peut justifier, celui mené contre la barbarie.
Il y a également et surtout l’urgence humanitaire, qui doit appeler une réponse de la communauté internationale, de l’Europe et de la France à la hauteur du défi historique. Face à ces familles de migrants, charriées sur nos rivages, pouvons-nous rester passifs ? Non ! Nous ne le pouvons pas !
L’Europe et ses États se sont rendus coupables d’inaction et d’hésitations, voire de manquements, lorsque la Hongrie érige un mur de barbelés et déploie son armée face à ceux qui fuient pour sauver leurs vies. Que dire de la France, pays des droits de l’homme, qui a balbutié ses valeurs avant de suivre la voie tracée par l’Allemagne ? Nous n’ignorons rien des tensions qui traversent notre pays : l’immigration irrégulière et les échecs de notre modèle d’intégration qui nourrissent des amalgames, des peurs et des rejets.
Aussi, nous le disons clairement : nous devons lutter avec fermeté contre les clandestins, les arrêter et les renvoyer dans leur pays. Nous devons également suspendre le regroupement familial des migrants économiques pour accueillir prioritairement ceux qui en ont le plus besoin. C’est même une condition essentielle pour garantir un accueil digne aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, à qui nous devons protection.
Nous soutenons la décision tardive, mais courageuse, du Président de la République d’accueillir 24 000 réfugiés et nous saluons la volonté de Bernard Cazeneuve de combattre avec détermination l’immigration illégale. Nous soutenons cette décision parce qu’elle fait l’honneur de la France, dont l’histoire se confond avec celle de l’immigration.
Que serait la France sans les immigrés anonymes ou engagés qui, par leur travail, leur talent, leur amour de la République, leur sang versé pour défendre notre liberté, ont contribué au développement culturel et économique de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
La France est plurielle. Elle est belge et italienne quand arrive la révolution industrielle. Elle est polonaise, russe et arménienne, lorsque, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle n’est plus qu’un champ de ruines. Elle est espagnole et africaine lorsqu’elle connaît l’espoir des « Trente glorieuses ». Face à cette crise migratoire, nous devons être à la hauteur de notre histoire et de nos valeurs.
Nous le serons à trois conditions.
- La première, c’est de mettre en œuvre les mécanismes permettant de distinguer les réfugiés, auxquels nous devons l’asile, des clandestins, qui ont vocation à être renvoyés dans leur pays d’origine. Il est urgent de sécuriser les camps de réfugiés, avec des forces d’interposition placées sous mandat de l’ONU, et d’installer des centres d’accueils dans les pays d’origine ou de transit. Nous éviterons ainsi les drames, en instruisant les demandes d’asile sur place et nous pourrons également contenir la poussée de l’immigration irrégulière.
- La deuxième condition, c’est de créer une politique migratoire et d’asile commune. Je salue à ce propos le travail effectué par notre collègue Arnaud Richard sur le droit d’asile. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) Il n’est même plus ici question de suspendre les accords de Schengen ou de les préserver à tout prix. L’espace Schengen est mort ! Il n’existe plus ! Il vient d’exploser sous la pression migratoire. Certains se réjouissent du retour des frontières. En réalité, si nous sommes pris de vitesse et débordés, c’est parce que les Européens, qui ont choisi d’avoir des frontières communes, ont été incapables de mettre en place une politique migratoire commune et de sécuriser ces mêmes frontières. Nous n’avons pas besoin de frontières supplémentaires, mais d’une Europe plus forte et mieux sécurisée. Cette politique migratoire commune passera par le recensement de nos besoins démographiques et économiques, par l’harmonisation urgente des systèmes de traitements des demandes d’asile et par la prise en compte précise des spécificités de chaque État, afin qu’ils participent tous – je dis bien tous ! – à l’effort d’accueil en fonction de leurs capacités. La France ne peut accueillir le même nombre de réfugiés que l’Allemagne, ne serait-ce que parce que notre marché du travail est incapable d’absorber autant de main-d’œuvre que le leur. Cette politique passe aussi par un contrôle rigoureux aux frontières de l’Europe, exercé par un corps européen de garde-frontière, ainsi que par le renforcement de l’agence Frontex.
- Enfin, nous devons être les fers de lance d’une politique ambitieuse et visionnaire, en matière d’aide au développement. Il est aujourd’hui vital de favoriser les grands projets de développement pour permettre des progrès économiques, sociaux et écologiques, et d’irriguer les parties du monde dans lesquelles le fondamentalisme prospère sur la misère, dans lesquelles l’énergie et l’eau manquent ou dans lesquelles les dérèglements climatiques contraignent des milliers de familles à partir. C’est le sens de l’initiative « Énergies pour l’Afrique » que Jean-Louis Borloo porte et qui doit être soutenue.
Ce défi, vous l’avez compris, est colossal et inédit. Il nous impose de nous protéger de nouvelles menaces et de repenser totalement notre système d’intégration, d’ores et déjà soumis à rude épreuve. Bien sûr, il y a la question des places d’hébergement, des aides et de la mobilisation des collectivités territoriales. Nous faisons confiance aux élus locaux et aux associations qui, partout sur le territoire, se sont déjà engagés.
Mais il appartient à l’État de définir une ligne directrice ferme, pour que ces réfugiés s’intègrent dans de bonnes conditions, qu’ils apprennent la langue française, les droits et les devoirs de la République, en particulier les droits des femmes.
Cette crise peut être une occasion unique de nous rappeler d’où nous venons, de nous souvenir que la France nous unit au-delà de nos différences d’origine, de milieu social, de croyances religieuses ou d’opinions politiques, de nous rappeler pourquoi le respect de la dignité humaine est notre bien le plus précieux, que la démocratie doit être chérie et que nous devons être intransigeants face à l’engrenage de la haine, de l’intolérance, du racisme et de la violence.
Ce peut être également une occasion unique de remettre l’école et l’éducation au cœur de notre vivre ensemble et de ranimer ainsi l’esprit défunt de notre République, qui veut que chacun puisse s’élever au-delà de sa condition.
Ce serait aussi une occasion unique de repenser nos relations avec les pays méditerranéens, avec l’Afrique et le monde arabe, et de construire une Europe plus unie et plus forte, qui sera solide face aux mutations majeures que connaît le monde : défis écologique, sécuritaire, démographique, économique, social et culturel.
Du fond de l’adversité, mes chers collègues, notre vieux continent européen et ce vieux pays d’immigration et de liberté qu’est la France peuvent envoyer un message au monde en accueillant ces réfugiés avec bienveillance et générosité. Nous n’avons pas peur du lendemain. Ici, avec celles et ceux qui ont été arrachés à leur patrie, qui enrichiront demain notre communauté par leur intégration et leurs accomplissements, nous regardons l’avenir avec confiance et exigence.