Tribune dans le JDD
L'examen du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines s’achève à l’Assemblée nationale. Ce texte viendra s’ajouter au cortège de lois portant sur l’organisation de notre système judiciaire et pénal votées depuis 2007. Comme les précédents, il n’échappe malheureusement pas à la règle qui veut que la question fondamentale de la Justice ne soit abordée que sous le seul angle procédural. Il ne permettra pas d’enrayer les défaillances de notre système judiciaire et participera malheureusement, en définitive, à son essoufflement.
Car une nouvelle fois, la représentation nationale aura donné en spectacle sa passion de la querelle, abordant tour à tour suppression des peines plancher, contrainte pénale et libération sous contrainte, comme autant d’occasions de cultiver son goût de la polémique stérile. Ainsi, les seules questions qui vaillent auront été étouffées par les clivages entre ceux qui veulent remplir les prisons et ceux qui veulent les vider.
Prétendre que la prison est la seule solution, n’est-ce pas ignorer qu’elle n’a de sens que parce qu’il s’agit de l’extrémité de la chaîne pénale? Que l’emprisonnement vient sanctionner un coupable, mais témoigne également de l’échec de nos politiques de prévention? N’est-ce pas aussi fermer les yeux sur des dysfonctionnements majeurs de l’institution judiciaire dans son ensemble, en oubliant que rien ne sert de durcir les sanctions et de remplir les prisons lorsque les peines ne sont pas appliquées et les places de prison insuffisantes? N’est ce pas, enfin, omettre, qu’une politique d’aide aux victimes, que le respect des droits de la victime, ne pourront jamais se résumer à sanctionner un coupable?
De même, à ceux qui érigent en principe absolu qu’il faut vider les prisons, nous demandons quel sens ils veulent donner à la peine pénale, quelle réponse ils entendent apporter à la douleur d’une victime et comment ils entendent lutter contre la récidive? Et que veut dire réhabilitation quand rien n’est plus possible pour ceux qui ont été happés par la machine judiciaire, broyés par les prisons devenues, pour certaines d’entre elles, des lieux tant de criminalité que d’oubli social.
La Justice est une affaire d’hommes. C’est pour cela qu’elle ne pourra jamais être parfaite. Et c’est d’ailleurs aussi pour cette raison qu’elle est si précieuse. Elle doit être pensée hors du tumulte de l’actualité, des alternances et des affrontements politiques, comme un impératif humain et démocratique.
La garde des Sceaux a annoncé il y a près d’un an un vaste chantier pour réformer en profondeur l'institution judiciaire et ses modes de fonctionnement. Christiane Taubira ne nous promettait pas moins qu’une "justice du 21ème siècle". Nous avons, nous, l’intime conviction que ce n’est pas à coup de loi de circonstances, d’améliorations marginales et de réformes de procédure que nous y parviendrons.
L’urgence de penser et repenser la justice ensemble, est ainsi obérée, jusqu’à en oublier que ce qui est en jeu, c’est la capacité même de cette vieille institution à s’acquitter de son premier devoir envers le peuple, celui de le protéger. Nous refusons pour notre part de passer sous silence ce débat essentiel. Dès lors, nous devons nous interroger en conscience sur l’ensemble de l’organisation de la chaîne de compétences de l’institution judiciaire d’une part et du sens même que nous entendons donner au mot justice d’autre part.
La véritable question est donc de savoir comment on réforme l’un des plus anciens services publics de l’Etat régalien. Un service public qui s’éloigne de plus en plus du citoyen et de la victime, qui suscite aujourd’hui une méfiance, voire une défiance, nourrie par la complexité et la lenteur de la machine judiciaire.
L’enjeu consiste maintenant à repenser, tant en amont qu’en aval, à l’extérieur comme à l’intérieur du Palais de Justice, l’ensemble de la chaîne. C’est pourquoi nous croyons qu’il est devenu urgent que tous les acteurs et intervenants du monde judiciaire se mettent autour de la table pour un "Vendôme de la Justice". A nous de réformer enfin profondément cette institution qui reste la colonne vertébrale de notre démocratie, en gardant toujours à l’esprit que la Justice est avant tout le droit du plus faible.