Nous le sentons intuitivement : notre belle devise républicaine - Liberté, Egalité, Fraternité - sonne de plus en plus creux. En effet, depuis plus de 30 ans, la France devient chaque jour un peu plus une terre d’inégalités croissantes. Elle suit en cela - avec certaines spécificités nationales - les tendances mondiales.
En effet un peu partout dans le monde, que ce soit au niveau des revenus du travail ou des patrimoines possédés par les ménages, les inégalités s’accroissent.
Deux situations nationales pour étayer ce lent glissement vers une société toujours plus inégalitaire :
La nôtre d’abord : la France. La part du centime supérieur (le 1% des français les plus riches – environ 500 000 de nos concitoyens) dans le revenu national y est passée de 7% dans les années1980 à 9% en 2010. Les inégalités y sont encore plus fortes en matière patrimoniale. En 2010, les 10% des français les plus riches possèdent 60% du patrimoine total du pays pendant que la classe moyenne (40% de la population) en possède 35% et que la moitié la plus pauvre (50% de la population) se contente de 5% de ce même patrimoine !
Les Etats-Unis d’Amérique, ensuite où 1 % des américains captent 20 % de l'ensemble des revenus annuels US et possèdent 35 % du patrimoine américain !
Mais – me direz-vous - : « Jean, d’où te viennent ces chiffres ? Et qui te garantit leur véracité ? ».
Ces chiffres me viennent de mes lectures d’été. Je me suis en effet lancé dans la lecture du best-seller de Thomas Piketty : « Le Capital au XXIème siècle ».
Il faut du temps, beaucoup de temps pour avaler ce pavé de 950 pages (compter 40 à 50 heures de lecture). Pourtant, ce livre n’est pas best-seller (plus d’un million d’exemplaires vendus) par hasard.
C’est un livre clé pour deux raisons principales :
Le Capital (son accumulation, sa répartition...) et les inégalités qu’il génère sont finalement peu étudiés dans nos sociétés libérales fort peu disposées à le remettre en cause ne serait-ce que modérément. Piketty, lui, relit la pensée économique (Smith, Ricardo, Marx...) à travers ce filtre de l’accumulation du capital et de l’histoire des inégalités.
Les économistes tendent à travailler sur des épisodes particuliers, sur des durées et avec des séries statistiques courtes. Piketty lui va étendre son étude aussi loin que possible dans le temps et dans l'espace. D’une certaine manière, il est le premier économiste de la société « Big Data » et les découvertes faites grâce à cette approche statistique sont vraiment considérables.
Mais le plus important est ailleurs. Il est dans les questions politiques que déclenche la lecture de cet ouvrage. La France devient toujours plus inégalitaire. C’est un constat. Mais, comme le clament de très nombreuses voix, « est-ce si grave que cela ? » et après tout, quelles sont les inégalités positives et celles qui sont clairement intolérables ?
C’est une question politique centrale dans un pays dont l’égalité est depuis sa création au cœur de son projet politique. L’article 1 de notre Déclaration des Droits de l’Homme énonce le principe d’égalité selon lequel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
L’utilité commune ! Quelle belle ambition pour légitimer les inégalités devant être conservées. Un sacré ménage est à faire.
La prime de départ de Michel Combes - les fameux 13,7 millions d'euros prévus d'indemnités de départ finalement réduits à 7,9 millions - est un bel exemple de dérive inadmissible.
La famille politique à laquelle j’appartiens - la famille centriste et plus précisément au niveau idéologique les démocrates-chrétiens - se pense à la fois libérale et sociale. Elle est directement interrogée face à la montée de ces inégalités.
Que fait-on ? Rien ? Impossible, le projet républicain est touché en son cœur. La France ne sera plus la France si sa réalité est "liberté, inégalités, fraternité".
Alors, se profilent devant nous des choix douloureux.
Un exemple : tous les ténors de la droite (et certains du centre) proposent de supprimer l’ISF (l’Impôt de Solidarité sur la Fortune). Faut-il le faire ? Après la lecture de Piketty, je n’en suis plus sûr. Le changer, le rendre plus juste, sans doute. Le supprimer, certainement pas.
Bref, si l’économie et la politique vous passionnent, lisez Piketty.
Certains m’ont dit qu’ils n’avaient pas de temps à perdre avec un économiste de gauche, qui vient de se mettre au service de Podemos, en Espagne. Je crois pour ma part que ma famille politique et ses convictions ont tout à gagner à un débat contradictoire en vérité.