09.02.2009

Carrefour des Centres "Face à la crise réinventons la solidarité" : Discours d'Hervé Morin

Mes Chers amis,

Le monde change et avec lui notre société.

Une société française profondément transformée par des mutations qui s’accélèrent et qui concernent tous les domaines de notre vie : notre famille, notre travail, nos modes de consommation, notre accès à la santé, notre rapport au monde.

- Une société qui vieillit mais qui continue de faire des enfants, avec le taux de fécondité le plus élevé d’Europe.

- Une société où le modèle familial unique a cédé la place aux familles à la cartes, décomposées et recomposées.

- Une société qui consacre de moins en moins de temps au travail (42% d’une vie en 1900 contre 11 % aujourd’hui) et de plus en plus de place au temps libre (11 % en 1900 contre 28% aujourd’hui).

- Une société qui s’est enrichie mais qui ne parvient pas à faire reculer la pauvreté et qui produit même des « travailleurs pauvres ».

- Une société où l’individu, porté sur les fonts baptismaux, est prêt à troquer sa liberté contre une aliénation à l’Etat, au point d’en oublier son devoir de solidarité.

Cette individualisation de la société, elle pèse sur les solidarités. Elle pèse sur les solidarités car elle aboutit à vouloir transférer l’essentiel des risques sociaux à la puissance publique pour ne conserver, dans la sphère privée, que ce qu’il y a de meilleur.

Nous vivons dans une société du bonheur privé et du malheur public qui confond trop souvent solidarité et assistance.

La solidarité, c’est l’expression d’une communauté d’intérêts qui implique une réciprocité.

L’assistance, ce n’est que la redistribution unilatérale d’une aide. Les solidarités sont actives – c’est un lien, c’est l’expression d’une communauté vivante – quand l’assistance est seulement passive.

Ce que nous devons défendre, au Nouveau Centre, ce n’est pas l’assistance, mais la solidarité car c’est elle qui respecte l’individu et qui créé du lien social.

La publicisation du risque est finalement la conséquence ultime de l’effacement des corps intermédiaires, porteurs de solidarité et sur lesquels s’est fondé notre pacte social. Je veux parler de la famille, de l’école, de l’entreprise, des syndicats et aussi d’une certaine façon, de la religion.

La famille protège aujourd’hui de moins en moins des risques sociaux. Elle évolue sur le mode d’un contrat dont le volet sentimental devient finalement l’essentiel. Les solidarités familiales ne disparaissent pas – les solidarités intergénérationnelles progressent – mais elles deviennent beaucoup plus sensibles aux aléas de l’existence.

Quant à l’école, elle essaye tant bien que mal de suppléer les défaillances de l’autorité familiale, au risque de se détourner de sa mission première qu’est la transmission du savoir. Aujourd’hui, on demande aux enseignants d’être des éducateurs mais aussi père, mère, assistante sociale, psychologue, nutritionniste…

Les entreprises également externalisent le risque social. Plutôt que de l’assumer, elles préfèrent payer des impôts et des cotisations pour s’en débarrasser. De plus en plus sélectives, elles veulent l’excellence en permanence et un niveau de formation toujours plus élevé. La vie professionnelle est de plus en plus longue et pourtant, dans l’entreprise, on devient vieux de plus en plus jeune.

 

Mes Chers amis,

L’individualisation de la société et l’affaiblissement des corps intermédiaires posent plusieurs défis.

- Premier défi, celui des tensions entre les générations, dans une société qui écrase les jeunes et qui rejette les plus vieux.

L’écrasement des jeunes, les plus touchés par le chômage, c’est la crainte que nos enfants vivront moins bien que nous. L’écrasement des jeunes, c’est la peur d’une société du déclassement dans laquelle l’ascenseur social fonctionne à l’envers. L’écrasement des jeunes, c’est aussi le poids de la dette publique abyssale que nous faisons porter sur leurs épaules. La société française vit à crédit de sa jeunesse.

Elle vit à crédit de sa jeunesse sans avoir non plus réglé la question des conditions du financement de la dépendance des plus âgés. Le coût de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) est passé de 3 milliards d’euros en 2002 à 6 milliards d’euros en 2007.

Mais penser que la question de la dépendance se résume au financement du 5e risque est une erreur. Ce n’est pas qu’une affaire de financement ; c’est aussi une question de qualité et de condition de la prise en charge. Il ne faut pas s’interdire d’inventer d’autres systèmes pour construire de nouveaux ponts entre les générations. Et il faut y intégrer le nouveau rôle de la famille.

Second défi, celui de la lutte contre l’exclusion. Comment la combattre quand d’un côté les solidarités spontanées sont désactivées et que, de l’autre, l’Etat social ne fonctionne plus ? Les trois quart de nos compatriotes vivent bien quand le quart restant est privé de l’enrichissement de la société.

Il faut pourtant bien répondre à l’urgence de la crise actuelle qui touche tout le monde mais qui frappera forcément les plus fragiles, rattrapés par la précarité.

Il faut donner un futur à ces personnes en difficulté et imaginer des mécanismes de solidarités actives pour aider à leur insertion ou à leur réinsertion.

La création du revenu de solidarité active correspond justement à l’expression de cette nouvelle vision de la solidarité, plus équitable et plus performante pour lutter contre les trappes à pauvreté. Mais il y en a d’autres. Je pense en particulier au bouclier sanitaire. Outre la simplification d’un système devenu illisible, le bouclier sanitaire est plus équitable et doit permettre de lutter contre l'effet de seuil créé par la couverture maladie universelle qui supprime le remboursement à 100 % lors de la reprise d’activité professionnelle.

 

Mes Chers amis, le troisième défi que nous devons relever, c’est celui de la morale et de l’éthique.

Car la crise actuelle n’est pas seulement une crise économique et sociale. C’est aussi une crise de l’éthique, une crise de la morale.

Alors, comment répondre à ces différents défis ?

La priorité, c’est d’abord d’offrir un horizon aux plus fragiles.

- Aux jeunes en difficulté d’insertion, nous répondons par une proposition concrète : les « emplois chance » qui permettraient aux PME d’embaucher trois personnes supplémentaires en bénéficiant d’une exonération des charges sociales patronales, hormis les cotisations retraite, pendant trois ans. Et pour favoriser le retour à l’insertion par l’économie, nous proposons que pour les titulaires des minima sociaux et les chômeurs de longue duré, l’Etat s’engage à financer la formation proposée par l’entreprise, qui sera également exonérée de toute cotisation sociale.

- Aux victimes du surendettement, nous répondons par un changement d’approche : prévenir les risques en amont plutôt que de traiter les conséquences de ce fléau qui gangrène notre pays, qui ruine des familles pendant des décennies et qui fait basculer des vies. C’est l’objet de la proposition de loi que nous avions déposée avec Jean-Christophe Lagarde visant à créer un fichier positif. Il ne s’agirait pas d’un fichier recensant les incidents de paiement, mais d’un répertoire des crédits à usage non professionnel, obligatoirement consulté avant tout crédit. S’il y a incident de paiement et que l’organisme prêteur est fautif de n’avoir pas consulté le répertoire des crédits, la responsabilité sera alors celle de l’établissement bancaire.

Et parce que nous sommes attachés à la défense des libertés, nous proposons que pour garantir la confidentialité de ce répertoire et en interdire l’usage commercial, il soit géré par la Banque de France.

- Enfin, pour les plus démunis, nous devons travailler sur l’idée du « reste à vivre », c’est-à-dire l’argent qui reste après le paiement de toutes les charges. On ne peut appréhender la question du revenu minimum qu’à partir de cette notion de reste à vivre.

 

Mes Chers amis,

Nous ne redonnerons un horizon au plus fragiles que si nous sommes également capables de recréer du lien social, en re-mobilisant les corps intermédiaires. Car nous ne pouvons pas tout attendre de l’Etat.

Je souhaite qu’à côté des principaux risques assumés par l’Etat, on puisse faire revivre les corps intermédiaires qui sont les plus à même de prendre en charge certaines solidarités. La solidarité doit rester l’affaire de tous les Français. Et c’est là qu’à mes yeux la question des solidarités rejoint celle des libertés. Parce que les solidarités sont d’autant plus actives que les libertés sont épanouies. Il faut cesser d’opposer solidarité publique et solidarité privée, car l’une est la condition du succès de l’autre. Il ne s’agit pas d’affaiblir mais de compléter le rôle de l’Etat. Les solidarités actives se créent à la base ; elles ne sont pas décrétées d’en haut.

C’est dans la vie associative, c’est dans le syndicalisme, c’est dans le mutualisme, c’est dans le secteur coopératif, c’est dans le bénévolat que résident les ressorts des solidarités de demain. Ce sont là des dispositifs beaucoup mieux adaptés à des problématiques particulières.

C’est également à travers les libertés locales que se développeront des solidarités de proximité, entre les personnes et entre les territoires. L’échelon local, c’est aussi le niveau pertinent pour expérimenter des innovations sociales, comme cela s’est fait avec succès pour le revenu de solidarité active.

 

Mes Chers amis,

Les entreprises, aussi, doivent prendre leur part à l’œuvre de refondation sociale. Elles doivent commencer par le faire sur le terrain de la morale et de l’éthique car nos compatriotes ne supportent plus le discours qu’ils entendent.

On ne peut pas à la fois sanctionner les chômeurs qui ne respectent pas leurs obligations, et ne pas sanctionner les comportements coupables du sommet. Car alors, on créé de la violence et on fragilise notre pacte social et républicain.

Il faut aussi mettre fin à l’opacité des primes et des bonus versés même en cas d’échec.

Je souhaite que l’on rende obligatoire la transparence des rémunérations les plus élevées, et pas seulement celles des dirigeants, en les soumettant à l’Assemblée générale des actionnaires. Car la transparence et la publicité incitent à la modération. Mais il appartient aussi aux associations de consommateurs de s’emparer de ce sujet, de le mettre sur la place publique, car nous ne réglerons pas tout par la loi et par la sanction.

Ce ne sont pas seulement les réglementations qu’il faut changer, ce sont aussi les comportements car sinon, c’est l’économie de marché qui en sera déstabilisée.

 

Mes Chers amis,

Toutes ces questions, nous devons aussi nous les poser à l’aune de la construction européenne.

Le monde s’est construit sous le modèle de la concurrence, de la compétition entre les Etats. La construction européenne, c’est au contraire un système de coopération entre les communautés.

A l’image de l’Europe, le système international doit passer d’un modèle de compétition à un modèle coopératif.

Le modèle européen, il opère à mes yeux la plus belle conciliation entre l’Homme et l’économie de marché. Ce modèle européen, c’est le plus beau projet collectif qui existe sur la planète, et nous avons vocation à le promouvoir et à le proposer au reste du monde.

Mais nous savons bien que seule une Europe unie – une Europe politique – sera en mesure de peser sur la définition de nouvelles solidarités mondiales dans des domaines aussi importants que la gouvernance économique et financière, l’environnement, le commerce international, la diversité culturelle.

Voilà à mes yeux le vrai défi de la construction européenne au 21e siècle : œuvrer à l’instauration d’une mondialisation équitable, plus juste et plus humaine.

Je vous remercie.

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