Mesdames et Messieurs,
Cher amis,
Merci d’être venus si nombreux aujourd’hui pour participer à cette première convention du projet centriste.
Merci à Jean-Marie Cavada et à Philippe Vigier qui ont l’importante responsabilité de conduire l’élaboration de notre projet politique à travers l’organisation de ces conventions thématiques.
Ce projet, nous devons le construire dans un esprit d’ouverture.
Ouverture à toutes les composantes de notre famille politique ; car chacun sait bien que le rassemblement des centristes, c’est d’abord par le projet que nous le réaliserons. Et je veux remercier tout particulièrement Jean-Louis Bourlanges qui a accepté de participer à nos travaux cet après-midi avec le talent que nous lui connaissons.
Ouverture également à la société civile, au monde associatif, aux syndicats et aux acteurs de terrain pour être au plus près des attentes de nos concitoyens. Notre projet sera d’autant plus en phase avec la société que les principaux réseaux socio-professionnels auront été associés à sa fabrication.
Ouverture, enfin et bien sûr, aux élus, aux adhérents et aux sympathisants du Nouveau Centre. C’est à vous que revient le premier rôle dans l’élaboration de notre projet.
Notre projet sera ainsi le fruit d’une réflexion collective associant chacun d’entre vous ainsi que les principaux acteurs de la société civile. Notre projet, ce sera le vôtre. Nous le présenterons à l’automne 2011, au terme d’une année d’écoute et de débats, rythmée par une douzaine de Convention thématiques.
Mesdames et Messieurs,
C’est volontairement que nous avons choisi d’organiser notre première Convention sur le thème de l’Europe. Dans la lignée des grandes figures de la démocratie chrétienne qu’étaient les Pères fondateurs, les centristes ont toujours été à l’avant-garde du projet européen. Et notre responsabilité aujourd’hui, au Nouveau Centre, c’est de le rester.
Car si nous ne portons plus le projet européen, qui d’autre le fera à notre place ? Nous avons cette responsabilité là dans le débat public français. Car si nous ne parlons pas d’Europe, personne ne le fera et les seuls qui le feront, c’est pour la combattre.
Car Mesdames, messieurs, rappelons-le, l’Europe est la plus belle aventure politique qui soit au monde et c’est le modèle qui doit inspirer le monde.
C’est le seul exemple dans l’Histoire d’une Union qui n’est pas le résultat de la force mais d’une adhésion volontaire des Etats et des peuples. C’est la suprématie du droit sur la force.
Les Européens ont su inventer un modèle unique au monde fondé sur la coopération plutôt que sur la confrontation. Et cette vision solidaire et coopérative de l’organisation du monde nous place à l’avant-garde sur de nombreux fronts : la lutte contre le changement climatique, la promotion de la diversité culturelle et linguistique, la reconnaissance de normes sociales, le dialogue des cultures et des civilisations.
Et pour traduire ces valeurs, le Parlement européen est la seule assemblée transnationale au monde à être élue directement par les citoyens au suffrage universel direct.
Nous devons être fiers de ce que l’Europe a déjà accompli, en si peu de temps à l’échelle de l’Histoire.
Mesdames et Messieurs,
Ces succès de l’Europe, ils nous engagent pour l’avenir.
J’entends bien ceux qui voudraient nous faire croire qu’il n’y a plus de spécificité centriste sur l’Europe. Que le succès de la présidence française de l’Union européenne aurait prouvé par A + B que nous partageons tous, au sein de la majorité, la même vision de l’Europe. Car l’Europe sous la présidence française ce fut un succès, mais le succès d’une Europe intergouvernementale et cette Europe intergouvernementale ce n’est pas la notre. Nous voulons nous des institutions européennes portant une vision stratégique de long terme, comme du temps de Jacques Delors, où des hommes de talent écrivaient les nouvelles pages européennes en ayant en tête la transcendance européenne.
Mes Chers amis,
Que les centristes n’aient plus le monopole de l’Europe, tant mieux ! Mais permettez-moi de continuer à penser que, nous les centristes, nous conservons une vision de l’Europe qui nous est propre. Et c’est cette vision que voudrais vous faire partager.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » : cette célèbre phase lancée par Jacques Chirac il y a bientôt dix ans en ouverture du Sommet de la Terre de Johannesburg trouve parfaitement à s’appliquer à la situation actuelle de l’Europe : oui, « Le monde bascule, et nous regardons ailleurs ».
La crise est venue seulement accélérer un phénomène qui a commencé il y a quelques décennies : le basculement du monde des rives de l’Atlantique vers celles du Pacifique et de l’Océan indien.
En 1950, les Etats-Unis et l’Europe représentaient ensemble 70 % de la richesse mondiale. Ce ne sera plus que 30 % en 2050. Et à cette date, 80 % de la croissance mondiale sera tirée par les 1 milliard 200 millions de consommateurs représentant la classe moyenne des pays émergents.
Et pour la première fois cette année, la Chine est devenue le premier exportateur de la planète, soudainement et nettement devant l’Allemagne.
A cela s’ajoute la crise du vieillissement : au 19e siècle, nous représentions plus de 20 % de la population mondiale. Ce chiffre tombera à 6 % en 2050.
La crise de l’endettement, avec des niveaux de déficits publics jamais atteints qui hypothèquent l’avenir des générations futures. Nous avons découvert que les états européens pouvaient faire faillite.
Enfin, une crise presque philosophique sur le chemin de l’Europe, qui puise ses racines dans le dogme du marché pur et parfait qui doit cesser d’être l’alpha et l’oméga de la politique européenne. La concurrence libre et non faussée, ce n’est pas le volant de la voiture européenne.
L’Europe va mal aussi car, reconnaissons le tout simplement, il y règne trop souvent une ambiance de renoncement. Et le traitement infligé aux budgets de défense, par la totalité des pays européens à l’exception notoire de la France et du Royaume Unis, l’éclaire plus que tout le reste. Car à travers la défense, c’est la capacité pour notre continent à porter une politique étrangère influente.
Il y a bien la création d’un service d’action extérieure, les coopérations structurées permanentes, des outils mais peu ou pas de volonté politique d’aborder les choses ensemble pour peser davantage ; et dans la bagarre multipolaire qui s’annonce, si l’Europe ne devient pas une puissance elle est condamnée à n’être tout simplement qu’un protectorat ou a être soumis au condominium sino-américain.
Enfin, l’Europe va mal car les tentations du repli national sont grandes.
Et je pense au cri d’alarme du grand philosophe allemand Jürgen Habermas, dénonçant la nouvelle indifférence de son pays vis-à-vis des destinées de l’Union Européenne.
Mes Chers amis,
Cette chronique d’un déclin annoncé ne doit toutefois pas nous laisser aller à un pessimisme excessif.
Alain disait « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté ».
Soyons volontaires, donc.
Et restons optimistes ; car dans la mondialisation, plus que jamais, l’Europe c’est notre force. Elle est une réponse pour la France confrontée à la globalisation.
Mais l’Europe souffre aujourd’hui de quatre insuffisances majeures auxquelles je vous propose 4 réponses :
Premièrement, une insuffisante adhésion des peuples au projet européen, pas d’institutions démocratiques mais de démocratie c'est-à-dire de combat politique.
Les citoyens se disent que quel que soit leur vote aux élections européennes, rien ne changera le cours de la construction européenne. C’est pourquoi il est urgent de remettre de la politique dans le débat européen.
Il faut qu’il y ait un vrai débat en Europe, sur ce que les Européens veulent comme politique.
La veulent-ils plus sociale, plus libérale, plus conservatrice ?
Veulent-ils consacrer plus d’argent à la défense européenne, à la protection de l’environnement ou à la recherche ?
Il faut qu’à travers le suffrage des Européens émerge une majorité ayant clairement un mandat pour infléchir la politique européenne en fonction de ce que veulent les Européens et non pas en fonction de ce que veut un ventre mou non identifié.
L’Europe est malade de son obsession du consensus.
L’Union a besoin de clivage politique, de confrontations, d’une majorité et d’une opposition. C’est indispensable pour que les électeurs puissent mesurer le sens et la portée de leur vote.
Les élections européennes ne doivent plus être la juxtaposition de 27 élections nationales. Et pour cela, je vous fais une proposition : que bientôt nous présentions aux Européens dans un scrutin qui aurait lieu le même jour, de vraies listes européennes totalement transnationales composées d’autant de candidats qu’il y a de sièges au parlement. Il appartiendra seulement aux juristes de veiller à ce que des gardes fous permettent à tous les pays d’être représentés même les plus petits.
Je ne crois pas en revanche à l’idée de l’élection d’un président de l’Europe au suffrage universel pour deux raisons :
- la première c’est qu’elle est étrangère à la tradition de la plupart de nos partenaires qui ont des régimes purement parlementaires,
- la seconde, c’est qu’un tel saut politique à 27 est impossible.
La deuxième insuffisance, elle concerne le manque de moyens alloués à l’Europe pour accomplir ses missions. Le budget de l’Union européenne, c’est environ 120 milliards d’euros par an. C’est 30 milliards d’euros de moins que le seul déficit budgétaire de la France en 2010…
La troisième insuffisance, c’est la solidarité européenne, mise à rude épreuve ces derniers temps. Hier la crise grecque, aujourd’hui les Roms. Or jamais une addition d’intérêts nationaux n’a fait l’intérêt général européen. Mais pour que la solidarité s’exerce et que l’intérêt général européen émerge, encore faut-il que les pays partagent une vision commune de ce qu’ils veulent construire ensemble. Cela implique des institutions fortes, capables de donner les impulsions politiques nécessaires.
Il faut retrouver une vision stratégique de la construction européenne en nommant à la tête des institutions de l’Union des femmes et des hommes qui sont de grandes figures européennes, plutôt que de s’en remettre toujours au plus petit dénominateur commun. Il nous faut des hommes forts pour une Europe forte.
La quatrième insuffisance de l’Europe, c’est un manque de vision commune flagrant sur ce que nous voulons faire ensemble de l’Europe. L’Europe est un projet vide de conscience, vide de citoyenneté politique. L’ambiguïté sur les frontières de l’Europe est l’expression emblématique de ce manque de vision commune. Certes, du point de vue de l’idéal européen, il est impossible de fixer de frontières car nous voulons porter le plus loin possible notre modèle de société, et les valeurs qui le sous-tendent. L’Europe a toujours été et doit rester un carrefour d’influences culturelles et de relations d’intérêt avec toutes les parties du monde.
Pour autant, notre union a besoin de frontières définies. Ne pas poser la question des frontières reviendrait finalement à considérer l’Union européenne comme une simple organisation internationale au même titre que l’OMC, l’OCDE ou le FMI. Or l’Union européenne n’est pas une organisation internationale de plus. C’est une communauté de destin qui porte en elle une conscience européenne.
Mes Chers amis,
Nous sommes des fédéralistes et nous devons l’assumer sans crainte. Mais notre fédéralisme n’est pas un appel à faire de l’Union européenne un super Etat, ce que les peuples européens ne veulent pas. Ce que nous voulons, c’est une Europe forte sur les sujets stratégiques tout en respectant les identités nationales et locales. Pas un transfert de souveraineté, mais une mise en commun des souverainetés.
Et cette inspiration fédérale, nous pourrions l’appliquer à un futur Gouvernement économique européen en commençant par l’instauration d’un siège unique de la zone euro au FMI et à la Banque Mondiale. Chacun reconnaît que l’Europe est puissante à l’OMC parce qu’elle y occupe un siège unique. Alors pourquoi s’obstiner à rester en ordre dispersé dans les institutions financières internationales ?
C’est aussi un pacte de convergence fiscale, notamment sur la fiscalité des entreprises.
Même Jean-Claude Trichet parle de fédéralisme budgétaire !
« Gouvernement économique européen » : grâce à la crise, le mot n’est plus tabou, mais il faut désormais lui donner un contenu. Un Gouvernement économique européen, cela ne doit pas se limiter à la seule complémentarité entre la politique monétaire et les politique économiques et budgétaires, même si c’est bien sûr très important.
Un Gouvernement économique européen doit servir à donner à l’Europe une réelle capacité de décision dans la définition et la mise en œuvre de nouvelles politiques communes.
Je pense d’abord à une politique industrielle assumée qui doit nous conduire à réviser le cadre de la politique européenne de concurrence.
L’Europe ne doit pas empêcher la consolidation de grands secteurs économiques et l’émergence de champions européens pour affronter la compétition mondiale à armes égales avec nos concurrents.
L’Europe industrielle mais pas seulement ; l’Europe doit aussi répondre au défi des super puissances émergentes, qui concurrences nos TGV et notre industrie aéronautique, en investissant dès maintenant et massivement dans les secteurs économiques stratégiques de demain. Non seulement l’éco-industrie, mais aussi les transports de demain, les biotechnologies, la chimie verte !
Mesdames et Messieurs,
Pour mener ces politiques, il nous faut doter l’Europe d’un budget digne de ce nom.
Osons parler d’un impôt européen à pression fiscale constante pour les citoyens. Voici une initiative qui participerait à l’émergence d’une citoyenneté européenne et qui nous sortirait de la logique du tiroir-caisse et des comptes d’apothicaires dont seule l’Europe a le secret.
D’ici là, si l’état d’endettement des Etats membres ne permet pas d’envisager une augmentation du budget européen, la crise des finances publiques devrait nous conduire à accélérer la mutualisation de certains budgets nationaux pour faire à l’échelle de l’Europe ce que nous n’avons plus les moyens de faire à l’échelle nationale. Que chaque Etat membre dépense moins pour que l’Europe dépense mieux : voilà quelle devrait être notre ligne de conduite budgétaire. Je pense notamment à la recherche, aux études amont, au soutien et plus globalement à l’innovation. Faire l’Europe de la recherche.
Et pour réaliser les investissements qui préparent la croissance de demain, je souhaite que nous puissions doter l’Union d’une capacité d’emprunt à travers la création d’un Trésor européen distinct de la Banque centrale. Ce Trésor devrait être utilisé, non pas pour creuser la dette courante, mais exclusivement pour financer les dépenses d’avenir.
Et dans les domaines où il s’avère impossible d’avancer à 27 et demain à 30 ou à 35, je défends l’idée d’un nouveau traité entre les quelques pays qui sont prêts à mutualiser la politique étrangère et la politique de défense.
Pourquoi quelques pays seulement ? Car les 27 n’ont pas la même ambition. Ils n’ont pas la même ambition pour eux-mêmes ; et ils n’ont pas la même ambition pour l’Europe.
Ce nouveau traité, il devra procéder d’une initiative franco-allemande car le couple franco-allemand, même s’il ne suffit plus, demeure un facteur nécessaire et structurant de la construction européenne.
La responsabilité historique et politique de la France et de l’Allemagne, deux pays fondateurs, c’est de proposer un nouveau traité aux Etats qui veulent porter l’ambition commune d’une Europe souveraine, c’est-à-dire une Europe qui se donne les moyens de peser sur les affaires du monde.
Voulons-nous revivre un nouveau Sommet de Copenhague comme l’an dernier où la Chine et les Etats-Unis ont pris les commandes pour imposer leurs vues au sein de l’accord final sur le climat, face à une Europe impuissante ?
Dans la bagarre multipolaire qui s’annonce, si l’Europe ne devient pas une puissance elle est condamnée à n’être tout-simplement que le jeu des puissances.
Le début des discussions sur le Proche-Orient aux Etats-Unis est d’ailleurs tellement significatif. Notre concours aux Territoires palestiniens est massif mais ne nous sommes pas à la table des négociations.
Sur bien des sujets, nous sommes les acteurs d’un film dont le scénario s’écrit sans nous.
Mesdames et Messieurs,
Le monde actuel est un monde d’interdépendances. Et la souveraineté des Etats n’est pas incompatible avec l’interdépendance. A l’inverse, l’impuissance de l’Europe s’accommode parfaitement de l’illusion des souverainetés nationales.
La souveraineté européenne est notre salut ; une souveraineté européenne qui se nourrit de la souveraineté des Etats. La souveraineté européenne, ce n’est pas la négation de la souveraineté des Etats mais l’organisation de ces souverainetés nationales.
Je ne prendrai qu’un seul exemple: l’énergie.
La dépendance de l’Europe ne cesse de s’accroître ; d’ici 2030, son taux de dépendance va atteindre 70 % pour le gaz et 90 % pour le pétrole. Mais la Russie est tout aussi dépendante de nous pour exporter ses matières premières. Cette relation d’interdépendance appelle à mes yeux deux réponses :
- D’une part, la constitution d’un Schengen de l’énergie, c’est-à-dire une coopération volontaire – pour reprendre l’expression utilisée par Pierre Fauchon – entre les Etats qui le souhaitent autour de trois grands axes : la sécurisation des approvisionnements, la diversification de la production et la solidarité entre les pays membres.
- D’autre part, à plus long terme, la perspective d’une véritable « Union énergétique » entre l’Union européenne et la Russie, englobant notamment le nucléaire civil, pour gérer l’interdépendance et créer ces solidarités de fait dont Robert Schuman et Jean Monnet ont eu le génie.
Mesdames et Messieurs,
Voici l’Europe que nous voulons. Pas un vieux continent en perte de vitesse, mais une espérance.
L’Europe c’est un peu l’Italie de la Renaissance. Elle porte un mouvement qui a transformé le monde mais elle n’en a pas titré les conséquences pour elle-même.
A la proclamation du Royaume d’Italie, en 1861, le député Massimo d’Azeglio déclarait : « Nous avons fait l’Italie, il nous faut faire les Italiens ».
Aujourd’hui, nous avons fait l’Europe, il nous faut faire les Européens.
Je vous remercie.