Monsieur le Premier ministre,
Je suis venu pour vous parler de la France.
J’aurais pu vous parler longuement des divisions du Parti Socialiste, qui donnent une nouvelle fois une triste image de l’Assemblée nationale, et vous contraignent à engager la responsabilité du gouvernement en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
J’aurais pu vous parler de l’acte de décès de la gauche plurielle, que vous venez de signez 35 ans, jour pour jour, après l’accession de François Mitterrand à l’Elysée.
Je ne le ferai pas : les Françaises et les Français savent dorénavant que les membres de cette majorité préfèrent débattre de l’avenir de la gauche entre eux plutôt que de celui de la France avec nous.
J’aurais pu vous parler de ce projet de loi, mais personne ne sait plus ce qu’il contient vraiment, tant vous avez improvisé, reculé, pour finalement renoncer.
L’absence de méthode a réduit à néant l’ambition initiale de ce projet de loi.
Car le dialogue social, ce n’est pas se contenter de demander à William Martinet, Président de l'Union Nationale des Etudiants de France, de corriger la copie de Pierre Gattaz.
La réforme, ce n’est pas céder à celles et ceux qui crient le plus fort ou à celles et ceux qui défendent des intérêts partisans.
Je ne suis pas non plus venu vous parler des frondeurs, ou du vieux monde auquel ils s’accrochent comme à leurs sièges de député, puisqu’ils ne voteront pas plus cette motion de censure que les précédentes.
S’ils avaient fait passer leurs convictions avant tout, ils auraient quitté le Parti Socialiste, ils auraient été jusqu’au bout de leur logique en votant notre motion de censure.
Votez la motion de censure puisque vous pensez que ce gouvernement a trahi ses engagements !
Faites comme le groupe communiste qui est prêt lui à prendre ses responsabilités au nom de ses convictions.
Je ne parlerai pas même de vous, le Premier ministre otage d’une majorité qui s’est construite sur un mensonge, désormais isolé, complètement réduit à l’impuissance.
Disons-le sans détours : vos velléités de réformes ont été progressivement étouffées par la cacophonie qui règne à gauche et le silence cynique de François Hollande.
Vous voir aujourd’hui engager la responsabilité du gouvernement sur un projet de loi dont la portée n’a cessé d’être amoindrie en est la démonstration implacable.
Non, l’important est, je le crois, ailleurs, puisque cette motion de censure ne sera de toute façon pas adoptée.
Je suis venu pour vous parler de la France parce que cette majorité l’a perdue de vue depuis trop longtemps.
Oui, cette majorité s’est coupée de la France, au point que notre pays est devenu pour elle l’arrière-plan de ses petites querelles, la petite scène sur laquelle se joue le grand show socialiste.
Oui, cette majorité n’a plus qu’une idée fausse et éloignée des réalités de notre pays.
Monsieur le Premier ministre,
Toute la France ne passe pas la « nuit debout ».
Toute la France ne passe pas ses nuits à rêver d’une autre gauche.
Toute la France ne passe pas non plus ses nuits à se retrouver dans le confort d’un entre soi qui brave nos lois sous votre regard complaisant.
Les Français et les Françaises ont fait depuis longtemps le deuil du discours du Bourget et ont cessé de se demander ce que ce Président de la République, qui a tant promis et si peu fait, pouvait encore faire pour eux.
En revanche, ils ont la volonté sincère, authentique de se réapproprier leur destin, de voir la politique changer radicalement, d’en finir avec un système qui ne sert plus que lui-même, ce qui dépasse largement l’ambition du mouvement « Nuit debout », devant lequel votre autorité chancelle.
En revanche, les jeunes aspirent à de vraies avancées concrètes, et vous les avez déçus avec ce projet de loi.
Monsieur le Premier ministre,
Contrairement à ce que vous avez pu penser, la France ne peut pas comprendre que cette gauche qui n’avait que partage du temps de travail, assistanat et contrats aidés à la bouche, prêche tout d’un coup pour faciliter les licenciements avec le zèle du converti.
Vous avez ainsi donné le sentiment aux Françaises et aux Français que, faute d’avoir su mettre en place une politique efficace en faveur de la création d’emplois, ce sont leurs droits auxquels vous alliez vous attaquer pour donner de l’oxygène aux entreprises.
Pourtant, ils ont pleinement conscience que le monde du travail, que l’entreprise doivent pouvoir s’adapter à un monde ouvert aux échanges et qui évolue à toute vitesse.
Ils ont conscience que les réformes sont nécessaires mais ils savent que ce n’est pas avec des gadgets estampillés « gratuité, égalité, universalité » comme le Compte Personnel d’Activité, que vous allez mieux les protéger, créer de l’emploi, et lutter plus efficacement contre la précarité.
Monsieur le Premier ministre,
Contrairement à ce que vous pourriez craindre, la France n’est pas non plus « en marche » comme l’appelle de ses vœux Emmanuel Macron.
Comment pourrait-elle avancer alors même que François Hollande a patiemment tout mis en œuvre pour que les énergies soient étouffées par contraintes et la réussite jugée suspicieuse ?
La France est à l’arrêt depuis que cette majorité a décidé de la suppression de la défiscalisation sur les heures supplémentaires et des allégements de charges décidés par la précédente majorité.
La France est à l’arrêt car vous n’avez pas su prendre les décisions courageuses pour réduire les dépenses publiques qui continuent d’augmenter et la dette, dont le poids est désormais écrasant.
Elle est à l’arrêt car avec 85,5 milliards d’euros de prélèvements obligatoires, cette majorité a asphyxié la France d’impôts et bloqué l’ensemble des moteurs de l’économie en s’attaquant à des secteurs vitaux pour l’emploi.
Elle est à l’arrêt car François Hollande a fragilisé durablement la confiance des entreprises et des ménages, en enterrant la promesse de pause fiscale et en échouant à inverser la courbe du chômage.
Comment voudriez-vous d’ailleurs qu’Emmanuel Macron puisse être en marche vers quoi que ce soit alors qu’il passe son temps à mettre un pied dehors avant de remettre un pied dedans ?
Enfin, monsieur le Premier ministre, contrairement à ce que François Hollande affirme, la France ne va pas mieux et d’ailleurs, vous n’utilisez pas vous-même cette expression.
Au contraire, François Hollande ne cesse d’abîmer la France.
Il assène à des Françaises et des Français écœurés que « ça va mieux » sur le front de l’emploi alors que le nombre de chômeuses et de chômeurs a explosé malgré les tentatives de diminuer artificiellement les chiffres du chômage.
Quand il dit que « ça va mieux », le Président de la République parle-t-il du Jean-Paul Huchon, qui demande à être recasé avec une retraite dorée à 148 000 euros par an ?
Car pour celles et ceux qui n’ont pas la carte du Parti Socialiste, il ne reste que la file du Pôle Emploi.
François Hollande nous explique également avec un air toujours satisfait que « ça va mieux » pour les entreprises.
Elles croulent pourtant sous les impôts, les charges, les contraintes administratives et pour améliorer leur compétitivité, vous avez trouvé une idée lumineuse à laquelle vous venez de renoncer en catastrophe : surtaxer les Contrats à Durée Déterminée !
François Hollande proclame enfin d’un air ravi que « ça va mieux » à l’école.
Il ferme ainsi honteusement les yeux sur l’immense gâchis humain que représentent les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification.
Monsieur le Premier ministre,
Vous souhaiteriez nous faire croire que vous êtes pris en tenaille par les conservatismes de toutes sortes, par une conjonction d’oppositions.
Cela est faux.
En réalité, vous êtes écartelé entre une gauche qui se sent légitimement trahie par les mensonges de François Hollande et une opposition à laquelle vous ne pouvez pas tendre la main, sous peine de faire imploser ce qu’il reste de vos soutiens.
N’est-ce pas vous qui disiez espérer une majorité de gauche pour voter ce projet de loi ?
N’est-ce pas vous qui avez ainsi considéré qu’il était impossible de transcender les clivages partisans ?
Pourtant, vous le savez, le groupe union des démocrates et indépendants était prêt à prendre ses responsabilités en s’engageant sans réserve dans ce débat.
Nous l’avons toujours fait lorsque l’intérêt supérieur de la Nation était en jeu.
Nous étions prêts à prendre nos responsabilités avec le pacte de responsabilité et de solidarité.
Nous étions prêts à les prendre avec le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Nous l’avons prouvé lorsque nous avons voté le projet de loi sur l’agriculture, les emplois d’avenir, la réforme de l’asile, la loi sur la sécurisation de l’emploi, la réforme ferroviaire, la loi sur le renseignement, la loi sur le terrorisme !
Nous l’avons prouvé en nous associant à l’unité nationale, en vous soutenant sur les opérations militaires, sur l’état d’urgence, sur la déchéance de nationalité.
Les yeux dans les yeux, je vous le dis, vous ne pouvez pas nous accuser d’être dans la posture.
Notre opposition constructive n’a jamais rencontré le moindre écho au sein de votre majorité, parce qu’elle était trop repliée sur elle-même, et vous le savez.
C’est d’ailleurs de votre camp qu’est venue l’obstruction sur ce projet de loi.
Monsieur le Premier ministre,
Vous prétendez que cette motion de censure ne sera pas adoptée parce que nous serions uniquement dans la posture et qu’il n’existe pas de majorité alternative à la vôtre.
Cela est également faux.
Nous portons cette ambition.
Nous la portons quand nous défendons une France qui retrouve son autorité et dont la voix porte à nouveau en Europe.
Nous la portons en défendant une Europe différente de la vôtre : une Europe qui ne plie pas devant les Etats-Unis lorsqu’il s’agit de négocier un traité dont les conséquences sur notre mode de vie seraient désastreuses, une Europe qui ne marchande pas avec la Turquie lorsqu’il s’agit de ses valeurs et de la vie de milliers de femmes et d’hommes qui fuient la guerre.
Nous portons également cette ambition en défendant une vraie méthode de gouvernance, pour faire en sorte de sortir de l’impuissance qui caractérise l’action publique depuis tant d’années et qui est devenue insupportable.
Cette méthode privilégiera le dialogue social, la consultation en amont, l’écoute des forces vives, les consultations populaires, pour créer le rassemblement le plus large possible.
Elle passera nécessairement par une recomposition politique, permettant de bâtir une coalition des modernes et des progressistes.
Cette coalition sera capable de porter des réformes qui rassemblent au-delà des considérations partisanes, des réformes qui constitueront des mutations irréversibles s’inscrivant dans la durée, à l’image du plan de rénovation urbaine ou du grenelle de l’environnement, portés par Jean-Louis Borloo.
Enfin, nous portons cette ambition en proposant une alternative à ce projet de loi qui, à force de renoncements, est devenu nocif pour l’emploi.
Vous ne cessez de dire que notre groupe pas fait de propositions.
Laissez-moi vous dire ce que le groupe union des démocrates et indépendants aurait défendu si vous n’aviez pas muselé le Parlement, monsieur le Premier ministre.
Nous aurions défendu la sortie du carcan des 35 heures, comme vous le proposiez lors des primaires socialistes.
Nous aurions également défendu une baisse massive des charges, comme vous le proposiez encore lors des primaires socialistes, car elle est plus efficace et lisible que l’addition d’aides et de crédits d’impôts que vous avez fait voter.
Nous aurions proposé la modulation des seuils sociaux, comme François Rebsamen, votre ministre, l’avait proposé le 28 mai 2014, sans que cette réforme ne soit jamais adoptée.
Nous aurions décidé d’une baisse de l’impôt sur les sociétés, comme nous le demandons année après année, et comme vous allez sans doute finalement le faire après quatre années de matraquage fiscal et de tergiversations.
Nous aurions défendu l’instauration d’un contrat unique de travail comme vous le faisiez le 22 octobre 2014 dans un entretien dont le titre - « Il faut en finir avec la gauche passéiste » - résonne maintenant comme un formidable aveu de faiblesse.
Nous aurions proposé d’étendre les horaires des apprentis pour les calquer sur ceux de leurs tuteurs, comme vous l’aviez initialement imaginé, avant que l’éternel étudiant, William Martinet, vous contraigne à y renoncer.
Nous aurions enfin plafonné les indemnités prud’homales en cas de licenciement, mesure que vous jugiez indispensable et à laquelle vous avez également renoncé pour tenter de rallier quelques voix.
En cet instant, je mesure combien chacune de nos propositions doit résonner en vous comme un constat d’échec.
Au nom de mon groupe, je vous l’avais dit lors de votre discours de politique générale : Vous ne disposez pas aujourd’hui des moyens nécessaires pour conduire cette mission au service de la France, pour tenir vos promesses.
Monsieur le Premier ministre,
Le groupe UDI a choisi de vous parler de la France parce que vous n’en parlez plus, vous qui, ici, devant cette assemblée, en avez si bien parlé.
Nous avons choisi de vous parler de la France qui se rappellera du quinquennat de François Hollande comme d’un interminable congrès du Parti Socialiste.
Notre groupe a choisi de vous parler de la France parce qu’elle a un potentiel immense, que nous avons confiance en elle, que nous ne croyons pas à son déclin, et que vous n’avez plus que votre impuissance et vos renoncements à lui offrir.
François Hollande vous a entraîné dans sa chute.
Votre majorité vous a entraîné dans sa chute.
Nous ne nous résignons pas à ce que vous entrainiez maintenant la France dans votre chute.
Aussi, monsieur le Premier ministre, le groupe union des démocrates et indépendants votera cette motion de censure.
Je vous remercie.