Soyons honnêtes. Longtemps, nous avons été nombreux – spécialement chez les centristes – à regarder avec vigilance, voir méfiance l’autorité de l’Etat. Et il y avait de bonnes raisons historiques à cela.
En 1791, la loi révolutionnaire dite loi de le chapelier, interdit les corps intermédiaires et construit les fondements politiques d’une société construite uniquement sur des individus élevés au rang de citoyens et sur l’Etat.
La lecture de ce texte fondateur et prophétique de tous les régimes monstrueux du XXème siècle fait en effet frémir : « Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s'assembler ; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s'assembler pour leurs prétendus intérêts communs; il n'y a plus de corporation dans l'Etat ; il n'y a plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation ».
Jean Jaurès qualifiait cette loi d’ « erreur terrible ». Il avait tragiquement raison. La révolution française qui sombre dans la terreur et, plus encore, l’histoire horrible de tous les totalitarismes récents ont démontré de manière implacable que l’Etat devait être équilibré par d’autres sources de légitimité.
Depuis, la fin de la 2ème guerre mondiale, un long cheminement, parfois douloureux, a permis à notre pays de faire avancer à la fois la démocratie et l’Etat de droit. Dans une démocratie, la majorité acquiert par le suffrage universel le droit d’exercer le pouvoir et la minorité renonce notamment à la violence pour contester ce droit. Dans un Etat de droit, cet exercice du pouvoir doit se faire dans le strict cadre de la loi et en cas de conflit, les parties prenantes plaident devant les tribunaux et le dernier mot est au droit qui est mis en œuvre, exécuté, par l’Etat. Formidable avancée politique que ce mariage de la démocratie et de l’Etat de droit qu’il nous faut d’ailleurs sans cesse améliorer.
D’où vient donc notre sentiment de malaise grandissant par rapport à l’Etat accusé de perte d’autorité ?
Le diagnostic est très clair. Traumatisé par certains drames dont la mort d’un opposant à Sivens, le gouvernement actuel qui a en charge L’Etat hésite, tarde, voire même renonce à exécuter des décisions définitives de justice et qui sont donc exécutoires. Cela va de projets d’intérêt national comme celui de l’Aéroport de Notre Dame des Landes à des décisions de la vie quotidienne comme l’expulsion de locataires refusant tout paiement de loyer à leur propriétaire.
L’Aéroport de Notre Dame des Landes est emblématique de la faiblesse actuelle de l’Etat. On peut débattre de l’opportunité de ce projet et d’ailleurs on en débat depuis plus de 40 ans et sans doute aurait-il fallu mieux débattre en amont de ce projet d’intérêt national. Peut-être même qu’un référendum local sur l’opportunité de ce projet en amont de toute décision définitive aurait été souhaitable. Mais, en l’occurrence, les élus nationaux et locaux concernés légitimes se sont prononcés. Ce projet a été débattu devant les tribunaux et plus d’une centaine de décisions de justice devenues définitives ont autorisé le démarrage des travaux qui ne démarrent toujours pas. Car une minorité d’opposants ont refusé, et la démocratie, et la justice et défient depuis plus de 4 ans l’Etat en occupant illégitimement, via une de ces fameuses ZAD (Zone à défendre), les propriétés agricoles libérées pour la réalisation de ce projet. Et, au lieu d’exécuter le droit, le gouvernement ridiculise l’Etat de droit en renvoyant la décision finale à un référendum ubuesque qui se déroulera le 23 juin et qui posera la question de l’opportunité du projet, quarante après son démarrage.
Mais Notre Dame des Landes n’est pas un cas isolé. Le mouvement Zadiste s’étend sur tout le territoire national (il y en aurait une quinzaine actuellement, dont une à Agen !) avec toujours la même pratique d’occupation illégale de propriétés et de blocage de chantier. Et ce mouvement pose un défi central à l’Etat démocratique. La démocratie ne marche qu’avec le consentement de la minorité de voir la majorité exercer le pouvoir dans le respect du cadre fixé par la loi. Les « Zadistes » refusent et la démocratie et la loi face à ce défi, l’Etat de droit n’a pas d’autre choix que de se faire respecter.
L’Etat de droit doit se faire respecter si la France veut rester une terre de projets et de prospérité. Aujourd’hui, quelque soit l’aménageur – Etat, collectivité locale, entreprise privée – l’aléa de blocage de projet est majeur. Il ne faudra pas venir pleurer ensuite que la croissance française – et les emplois qui vont avec – ne sont pas au rendez-vous.
L’Etat de droit doit surtout faire respecter la démocratie et le droit, qui sont le bien commun de tous les citoyens. Pour reprendre les analyses du sociologue allemand Max Weber, il dispose pour cela du « monopole de la violence physique légitime ». Il est normal qu’il en use avec discernement et avec la volonté d’éviter le plus possible les atteintes physiques aux personnes. Mais il faut au final que l’Etat reste l’Etat et que pour ce faire, il exécute avec fermeté les décisions des élus, nationaux ou locaux, confirmées par le droit.
Cette exigence naturelle n’est pas partisane, même s‘il y aurait beaucoup à dire sur la responsabilité du gouvernement actuel dans cette faiblesse de notre Etat. Elle rassemble tous les démocrates de ce pays quelque soit leur sensibilité politique.
Elle est une des réponses de fond à la progression des extrémismes dans notre pays.