Alors que l'UDI attend de trouver un accord avec les Républicains en vue de l'élection présidentielle, la question se pose du rôle que le centre va jouer prochainement, au regard des transformations radicales qui semblent s'opérer dans le paysage politique. Assiste-t-on au retour d'un grand centre ou à l'apparition d'une coalition politique ? Avec Emmanuel Macron qui regarde à droite et Marine Le Pen qui pousse les Républicains vers leur gauche, la balle pourrait-elle être au centre ?
Atlantico : Quatre mois après les Régionales qui vous ont vu gagner la région Normandie au terme d'une campagne hautement disputée, notamment avec le FN, les leçons de ce scrutin vous paraissent elles avoir été tirées ? Qu'entendez vous aujourd'hui chez vos électeurs ? Sur quoi se jouera 2017 selon vous et les hommes politiques nationaux captent-ils selon vous la nature des préoccupations des électeurs ?
Elle se jouera sur deux thèmes, deux idées qui sont au cœur de la campagne : la liberté et l'autorité. D'une part, il s'agit de défendre la liberté d'entreprendre, la liberté d'initiative, et donc réforme de l'action publique. Les gens ont envie qu'on reconnaisse la valeur de leur travail, que l'on reconnaisse la valeur de l'effort. De l'autre, un fort besoin de renouvellement de la fonction de l'Etat ; car en vérité, nous sommes face à un Etat qui aujourd'hui est impuissant et à bout de souffle et qui n'a plus que l'apparence du pouvoir, devant lequel les préfets et recteurs mettent le petit doigt sur la couture du pantalon; mais il faut bien constater que rien ne bouge dans la société française.
Pourtant il y a un désir.
Les gens demandent clairement cepouvoir fort, qui serait capable de faire respecter le contrat social, et qui permettrait dans le même temps aux bonnes volonté d'agir et aux énergies de se déployer.
Au niveau national, vous avez appelé en mars dernier à un "rassemblement qui irait de Valls à Sarkozy, ou de Macron à Juppé". Une telle recomposition est-elle 1) souhaitable, 2) possible avant 2017 ?
Tout cela n'existera pas avant le soir du premier tour de la présidentielle, quand un candidat, que j'espère de ma famille politique, sera face à Marine Le Pen. Marine Le Pen est en train de casser la bipolarisation. Mais elle a au moins cette formidable vertu de permettre enfin l'émergence d'une volonté de bâtir un schéma politique nouveau. En vérité, on voit bien qu'il y a d'un côté une gauche que Valls lui-même considère irréconciliable avec la sienne, et de l'autre une droite poujadiste qui s'écarte de l'autre droite. Et entre les deux, pour reprendre les mots de Valéry Giscard d'Estaing, il y a "deux Français sur trois". C'est une force centrale qui aspire aux deux idées citées précédemment, liberté et sécurité. Et honnêtement, qu'est-ce qu'il y a comme différence entre Valls et Sarkozy ? Il y en a de fait moins qu'entre responsables politiques des mêmes familles partisanes.
La culture politique française est-elle compatible avec ce qui mènerait à de grandes coalitions gouvernementales ? S'agirait-il d'un véritable renouveau ou d'un simple renouvellement de l'impuissance des politiques, toujours plus coupés des électeurs ?
Ce n'est pas une coalition ! C'est la construction d'une force politique nouvelle. Il ne s'agit pas d'une coalition des contraires mais de l'union des personnalités qui pensent la même chose, et qui par force vont être obligés de se retrouver. Car une partie du PS, la gauche moderne, se rend compte qu'elle n'a plus grand-chose à faire avec ses alliés historiques, tels Mélenchon par exemple. Et nous, qui représentions parfois plus de 40% aux élections à l'époque de l'UDF et du RPR, ne sommes plus aujourd'hui qu'à 26-27% ; il y a donc un fort rétrécissement de notre force politique. Ce qui pose d'ailleurs la question de l'utilité d'un parti unique à droite et au centre quand on voit où cette dynamique d'unification nous a mené depuis des années.
Emmanuel Macron a lancé il y a dix jours son mouvement politique "En marche!", qui se réclame "ni de droite, ni de gauche", et se donne l'ambition de recomposer la vie politique française. Dans quelle mesure la démarche du ministre de l'économie représente-t-elle un danger pour vous, tant que la recomposition que vous appelez de vos vœux ne sera pas effective ? Le centre paraît particulièrement divisé en ce moment...
Le problème d'Emmanuel Macron, c'est que dans la même phrase, il affirme n'être "ni de droite ni de gauche" et qu'ensuite il reconnait soutenir François Hollande.
Qui est quand même ce qu'on a vu de pire depuis 1958. Cela affaiblit énormément son discours. La force politique qu'il défend aurait beaucoup de chance de se construire s'il commençait par quitter son gouvernement.
Un sondage Ifop Atlantico montre que près d'un français sur 4 serait susceptible en 2017 de voter pour un candidat qui ne serait pas son candidat naturel ou "habituel", ce potentiel de vote "révolutionnaire" -un vote du pire en quelque sorte- dont l'une des motivations est de provoquer un grand chamboulement de la vie politique française vous inquiète-t-il ?
Non, il correspond à ce que j'évoque. La fracture droite-gauche n'a plus de sens quand les fractures sont désormais horizontales et au sein des partis. On voit bien que les coalitions d'hier n'ont plus de sens, en dehors de la volonté d'accéder au pouvoir. Elles assemblent des contraires qui deviennent acteurs d'impuissance, sans cap ni vision. On voit bien que les Français ont compris que notre système politique tel qu'il a été bâti en 1962 est à bout de souffle.
Vous avez déclaré au JDD ne pas vouloir revivre la période 2007-2012 pendant laquelle l'alliance du Nouveau Centre que vous présidez et l'UMP "ne marchait qu'à sens unique". Vous êtes favorable à l'idée de Nicolas Sarkozy de créer un groupe de travail entre les centristes et LR pour parvenir à un accord pour la primaire. Où en est ce projet aujourd'hui ?
Il est temps qu'on reprenne les choses en main et qu'on ouvre les portes au dialogue avec les Républicains pour aboutir à cet accord de législature tel que je l'évoquais en janvier. Je multiplierai d'ailleurs les rencontres afin de faire grandir cette idée dans les prochaines semaines.
De quelle nature sont les tensions au sein de l'UDI au sujet de la primaire actuellement ? Comment les échanges entre opposants à une participation de l'UDI et ceux qui y sont favorables s'articulent-ils concrètement ?
Il n'y a pas d'opposition car tout le monde est arrivé à la même conclusion, qui est de dire que tant qu'on n'a pas d'accord réel avec les Républicains, il est inutile de se présenter aux primaires de la droite et du centre. Et en même temps, alors que tous les leaders politiques de l'UDI ont appelé à ce vote, un tiers des membres a tout de même voté pour la participation aux primaires, ce qui est la preuve que les gens ont bien compris que l'on (ne) pourrait gagner seul dans cette histoire. Et ils ont parfaitement raison.
Essayez-vous de convaincre Jean-Louis Borloo, le candidat que vous estimez naturel pour représenter le centre, de revenir en politique ? Qu'en dit-il ? Et que feriez vous dans l'hypothèse d'une candidature de François Bayrou ?
Je pense qu'il a fait une croix sur cette idée. Évidemment, il reste un observateur très attentif de la vie politique et sociale de notre pays ; et même s'il me semble que cela doit le démanger de temps à autre, il n'a pas pour l'instant donné de signe d'une quelconque envie de revenir.
Quant à François Bayrou, c'est une hypothèse qui n'existe pas, car il soutient Alain Juppé aujourd'hui.
Cela fait un peu plus de quatre mois que vous avez pris la présidence du Conseil régional de Normandie. Parmi les promesses de campagne, comme l'agence de développement dotée d'un fond de 100 millions d'euros, lesquelles ont-elles pu être mis en place ?
L'Agence est mise en place. Elle est inaugurée mardi et sera opérationnelle en juin. Le Grenelle de l'apprentissage visant à augmenter de 50% le nombre d'apprentis en Normandie, fonctionne à plein régime. Il a un énorme écho dans la société normande, et suscite un vrai engouement et des débats un peu partout en Normandie. La tentative de trouver une issue au problème ferroviaire (qui est dans un état déplorable en Normandie) progresse. Le monde rural n'a pas été oublié ici, avec des politiques ambitieuses, déjà décidées pour une partie d'entre elles. Je trouve que nous sommes au rendez-vous de nos engagements.