Le député centriste de la Marne, qui détient le record de longévité à l’Assemblée, est devenu la coqueluche des députés. Il bataille contre une réforme « injuste » qui laissera un « ressentiment ».
Soudain, quand il se lève, le silence. Les regards se tournent vers le siège numéro 233, à l’avant-dernier rang, tout en haut de l’hémicycle. Sec et ascétique, Charles Amédée de Courson porte son uniforme de tous les jours : un costume bleu sur un pull bleu, une cravate rouge.
Ce 6 février, premier jour d’examen de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale, le député de la Marne défend, au nom de six groupes d’opposition, une motion référendaire visant à en appeler au peuple par référendum. Sur la forme, l’élu centriste juge « intolérable » que le gouvernement ait choisi une procédure d’urgence pour faire voter une réforme aussi délicate. « Un déni démocratique », s’époumone-t-il devant la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, pincée. Sur les bancs de la gauche, il est ovationné. Ce vétéran du Palais-Bourbon – il détient le record de longévité, élu sans discontinuer depuis 1993 – est l’un des plus farouches opposants à la réforme qui fait « peser l’e!ort sur les plus modestes ». Il réclame aussi la fin du régime de retraite présidentiel (6 000 euros par mois) et la suppression des régimes spéciaux des parlementaires, au titre de « l’exemplarité ».
« Pour la justice de cette réforme, excusez-moi, vous repasserez ! », grogne-t-il en sucrant son thé, à la buvette de l’Assemblée, mardi 14 février. Curieusement, le centriste, libéral et européen, a toujours été un contempteur sévère de la Macronie, dénonçant très tôt « l’amateurisme » des députés La République en marche (LRM, aujourd’hui Renaissance) et leur manque d’épaisseur politique. Quand on lui fait remarquer qu’il avait pourtant presque tout pour rejoindre Emmanuel Macron – il a même fait une école de commerce, l’Essec, avant l’ENA –, il manque de s’étrangler : « Vous plaisantez ? ». Les « péchés » du régime sont, à ses yeux, innombrables : « arrogance intellectuelle », « mépris » pour les corps intermédiaires et les collectivités territoriales, et absence de toute considération sociale. Il assure que l’actuel gouvernement est « le plus techno et homogène socialement » de la Ve République.
« La bourgeoisie a toujours vécu dans l’entre-soi », soupire ce descendant d’une haute lignée d’aristocrates.
Une indépendance qui flirte avec la marginalité
S’il juge que la rhétorique opposant le « nouveau monde » à « l’ancien » est une « connerie », il est pourtant tentant de le rattacher à ce dernier. Député depuis trente ans, élu local depuis trente-sept ans, décentralisateur et soucieux des territoires, il n’a jamais adhéré au projet de la « start-up nation ». Ancien membre du Centre des démocrates sociaux (CDS), il est trésorier de l’Union pour la démocratie française (UDF) avant de rompre avec François Bayrou en 2007 quand le centriste refuse de choisir entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy pour le second tour de la présidentielle de 2012. Depuis, il appartient au Nouveau Centre et siège, à l’Assemblée, dans le groupe hétéroclite « LIOT » (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), cultivant une indépendance qui flirte avec la marginalité. Lui se félicite de n’avoir « pas changé », quand tant d’autres ont « retourné leurs vestes », en 2017 et après, pour un maroquin.
« Quand il lève un lièvre, le gouvernement a intérêt à s’accrocher à ses bretelles. »
- Boris Vallaud, président du groupe socialiste
A l’été 2022, il a tenté de briguer la présidence de la prestigieuse commission des finances, dont il est un pilier, avant de retirer sa candidature, permettant l’élection de l’« insoumis » Eric Coquerel. Beaucoup ont salué le geste, pensant qu’il ne voulait pas prendre le risque d’être élu avec les voix du Rassemblement national (RN). Lui laisse entendre qu’il comptait sur les voix des députés de la majorité, qui n’ont pas participé au vote, et qu’il a voulu les mettre devant leurs responsabilités : « Vous aurez donc un “insoumis !” ». Qu’importe, sa légende de « chevalier blanc » s’est encore éto!ée.
« Exigeant et mordant »
Expert redouté des finances publiques, « Charles Amédée » est un orfèvre de l’amendement budgétaire. « Quand il lève un lièvre, le gouvernement a intérêt à s’accrocher à ses bretelles », note le président du groupe socialiste, Boris Vallaud. Le centriste fait également entendre sa voix à chaque fois qu’il croit les libertés publiques menacées. En 2019, il avait jugé la loi anticasseurs (qui prévoyait de transférer aux préfets des pouvoirs détenus par le juge) « inutile et dangereuse ». « On se croit revenu sous le régime de Vichy », avait-il dénoncé. Lors du quinquennat de François Hollande, c’est au bord des larmes qu’il a combattu dans l’hémicycle la déchéance de nationalité pour les terroristes, au motif qu’on ne pouvait pas « diviser l’unité de la nation ». Là encore, il invoque l’ombre de Vichy. Et le passé de sa famille. Député et résistant, son grand-père maternel, Léonel de Moustier, vota contre les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. La veille, il s’était fait tancer par Pierre Laval : « M. le marquis, réfléchissez, ça pourrait nuire à vos intérêts [économiques] ». « Quoi qu’il m’en coûtera, je ne céderai pas, c’est une question d’honneur », avait répondu le député, qui sera plus tard arrêté et déporté à Neuengamme. Il meurt en déportation. Le père de Charles Amédée, Aymard, a été résistant, lui aussi, pilier du réseau Prosper. Arrêté et torturé, il échappe à la Gestapo mais reste inconsolable de la mort de sa mère, déportée à Ravensbrück. « Je n’ai fait que mon devoir », répétait Aymard de Courson à son fils, pour justifier ses refus obstinés de se voir remettre les décorations qu’on lui avait attribuées. « Mon père m’a donné le goût de la liberté et l’indépendance d’esprit. N’est pas né celui qui me donnera des ordres. ». De cette histoire familiale, Charles de Courson ne peut parler sans pleurer. Derrière le parlementaire roué, 70 ans, vibre toujours le petit garçon blessé, resté seul avec ces récits de grandeur. Comment être à la hauteur ?
« Mon père m’a donné le goût de la liberté et l’indépendance d’esprit, affirme-t-il. N’est pas né celui qui me donnera des ordres. »
En 2012, l’ancien magistrat à la Cour des comptes a reçu le « prix éthique » de l’association Anticor, qui œuvre pour la moralisation de la vie publique, récompensé pour son combat en faveur de la transparence des frais professionnels des parlementaires. Avec les années, ce député austère, un brin démodé avec sa raie sur le côté soigneusement peignée, est devenu une coqueluche de l’Assemblée où il fait la quasi unanimité. « Exigeant et mordant, c’est une épée ! », loue Guillaume Garot (Parti socialiste). « L’un des meilleurs députés », s’enthousiasme François Ruffin (La France insoumise), qui lui reconnaît « l’audace d’exprimer parfois sa conscience individuelle ». « Il fait honneur au rôle de parlementaire », appuie Astrid Panosyan (Renaissance), qui s’amuse de sa popularité, y compris sur les bancs de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), où l’on semble oublier les positions conservatrices de ce catholique sur les questions de société : contre le mariage pour tous et pour la peine de mort dans certains « cas graves ».
Les jeunes députés préfèrent voir en lui un sage qu’ils aiment croiser dans l’ascenseur, espérant lui soutirer une anecdote du passé ou des conseils avisés. « Il est pro et libre, relève le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. La politique s’étant tellement dégradée, ce qui était banal est devenu exceptionnel. ». « Dans quatre ans, il ne restera qu’un champ de ruine » Charles de Courson déplore, lui aussi, l’a!aissement de la condition politique, ce qui le rend mélancolique : « Dans quatre ans, il ne restera qu’un champ de ruine. Plus de leader, plus de pensée, plus de débats, rien. ». Il s’alarme aussi d’une « dette colossale » et de la montée des extrêmes. Il ne supporte pas la violence. « Tu sais, dans dix ou quinze ans, tu seras mort. Alors, il y a des choses plus importantes que de se battre comme un chi!onnier », glisse-t-il parfois à un collègue querelleur.
Dans les couloirs de l’Assemblée, les plus réservés sur son compte notent que ses coups d’éclat ne sont pas toujours exempts de démagogie. Ceux-là laissent entendre que ce septième mandat est peut-être celui de trop. « Dis donc, Charles, tu devrais te poser la question de ta propre efficacité », lui lance un jour un député, agacé de le voir répéter : « Ça fait vingt ans que je le dis… ! » L’intéressé jure qu’il n’est pas victime du « syndrome du vieux con » (l’expression est de lui). Il disserte en revanche sur les « trois tentations de l’être humain, les mêmes que celles du Christ au désert » : la « tentation matérialiste », la « tentation du pouvoir », et « la pire, se prendre pour Dieu ».
« Pas de femme, pas de maîtresse ! »
Il y en a une quatrième, celle de Venise. Le député montre un tableau, dans l’entrée de son bureau, représentant la ville italienne. Il dit qu’il n’est pas près d’y céder non plus. L’Assemblée, ce bureau monacal, surchau!é et flétri, c’est sa vie. « Célibataire endurci », il vit seul dans son fief de Vanault-les-Dames, dans la Marne, où il possède une grande maison « qui n’a pas connu de travaux depuis les années 1950 », rigole le patron du Nouveau Centre, Hervé Morin, qui y a séjourné pour chasser. Et se souvient encore de l’austérité du dîner servi par « Charles Amédée » : « Un potage et un poisson pêché dans l’étang. ».
Au début du quinquennat précédent, le député LRM de Paris Gilles Le Gendre et Charles de Courson s’étaient retrouvés côte à côte à l’infirmerie de l’Assemblée, avant de se faire vacciner contre la grippe. « Quelle est ta vie ? », avait demandé le macroniste, qui connaissait peu le centriste. "Pas de femme, pas de maîtresse !", avait répondu le député de la Marne. Ma maîtresse, c’est la France. – Tu ne dois pas beaucoup te marrer !, avait gloussé Le Gendre. – Tu sais, quand on a beaucoup reçu, on doit beaucoup donner. ».
A l’Assemblée, les débats sur la réforme des retraites devaient cesser vendredi 17 février à minuit, que le texte soit voté ou non. Charles de Courson se dit persuadé que l’épisode laissera des traces, un « ressentiment » : « Quand vous braquez un peuple, vous le payez. » Le projet de loi sera examiné par le Sénat dans la foulée. Il va devoir se trouver un nouveau combat.
Article du Monde rédigé par Solenn de Royer : Charles de Courson, la « mascotte » de l’Assemblée contre la réforme des retraites (lemonde.fr)
Crédit photo : JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »