LA GRANDE INTERVIEW avec Hervé Maurey
Sénateur de l'Eure
Président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable
Président de la Commission d'enquête sur la gestion des conséquences de l'incendie de l'usine Lubrizol
Conseiller régional de Normandie
>> Les mesures annoncées par le Premier Ministre, puis les précisions apportées les jours suivants par les ministres, vont-elles selon vous dans le bon sens ?
Hervé Maurey : Le déconfinement progressif et territorialisé est un bon principe. Toutefois, la méthode du gouvernement est regrettable. L’annonce du plan de déconfinement précède la concertation, il aurait fallu à mon avis faire le contraire. Cela aurait sans doute pu empêcher la cacophonie autour de l’école et les revirements successifs sur le sujet auxquels plus personne ne comprend rien. Une concertation au plus près du terrain et auprès des élus aurait également permis de conclure que, à mon sens, certains cafés et restaurants pourraient rouvrir.
>> De nombreux parents, professeurs et directeurs sont inquiets sur la rentrée des écoles. Comment expliquez-vous cette cacophonie du gouvernement sur cette question ? De nombreux maires jugent cette rentrée impossible. Comprenez-vous cette inquiétude ? Quels conseils ?
Hervé Maurey : Les maires sont très inquiets. Le Président de la République a pris cette décision seul, contre l’avis du Comité scientifique, prenant au dépourvu la communauté éducative et même son ministre de l’Education. Depuis, le gouvernement essaye de l’appliquer avec toutes les difficultés et les atermoiements que l’on perçoit chaque jour. Face au flou qui règne et à la complexité d’appliquer les règles sanitaires, je comprends les inquiétudes qui s’expriment. La réouverture des écoles ne doit pas être systématique mais décidée au cas par cas, avec l’accord des maires.
>> Les maires sont notamment inquiets d’être poursuivis par des parents d’élèves qui pourraient être contaminés par le Covid-19. Que leur répondez-vous ?
Hervé Maurey : Le risque de poursuite juridique, de parents d’élèves, d’enseignants ou d’agents, constitue une menace réelle en cas de contamination, c’est pour cela que j’ai déposé une proposition de loi pour renforcer la protection juridique des maires durant la période de crise sanitaire. Elle est d’ores et déjà inscrite à l’ordre du jour du Sénat. Elle sera étendue aux responsables associatifs et dirigeants.
>> Comment résoudre selon-vous le casse-tête de la distanciation sociale dans les transports ? Notamment dans les transports scolaires ?
Les règles de distanciation physique sont extrêmement difficiles à appliquer. Le port du masque est un préalable mais il n’est pas suffisant. Dans les grandes agglomérations, il faudra favoriser l’usage des transports individuels propres, comme le vélo, et des solutions devront être trouvées avec les entreprises notamment en heures de pointe. On peut également parler de « casse-tête » pour les collectivités locales qui gère les transports scolaires. Les coûts d’adaptation sont importants alors que leurs finances vont être fragilisées.
>> Vous continuez de mener des auditions au titre de Président de votre commission. Quelles premières leçons tirez-vous de la gestion par le gouvernement de cette crise sanitaire et économique ?
Les secteurs dans le champ de compétences de la Commission que je préside sont très impactés. Le secteur des transports souffre énormément, les compagnies aériennes bien sûr mais aussi la SNCF et plus encore les opérateurs privés, le service public des déchets connaît des difficultés, La Poste s’efforce de redresser la barre après avoir été défaillante, le déploiement des réseaux numériques prend un nouveau retard… Ces questions sont loin d’être réglées et de nouvelles vont se poser avec le redémarrage. Autre sujet très important : l’environnement. Nous avons à cœur que la relance ne s’accompagne pas d’un assouplissement des règles en la matière, comme certains le souhaitent. Nous voulons au contraire que la relance s’appuie sur la transition écologique.
>> Pensez-vous que cette crise a enfin permis à l’Etat de comprendre qu’il ne peut pas agir seul? Un nouvel acte de décentralisation vous semble-t-il possible ?
La gestion de cette crise a souligné à plusieurs égards la nécessité de renforcer le niveau local face aux défaillances de l’Etat. Les collectivités locales ont montré que, face à une accélération des événements, elles sont plus à même d’être réactives et d’apporter des réponses adaptées. C’est le cas notamment en matière économique ou pour répondre aux solidarités du quotidien.
>> Les collectivités locales s’inquiètent pour leurs finances et notamment leurs recettes fiscales pour les budgets 2020-2021. Quelles solutions concrètes ?
Les conséquences financières de cette crise pour les collectivités locales ne sont pas encore évaluées précisément mais elles seront très lourdes, du fait de pertes de recettes et de dépenses supplémentaires importantes. Les communes subiront en outre en cascade les effets des difficultés des autres collectivités (région, département, intercommunalité) sur lesquelles elles comptent habituellement. L’Etat doit garantir aux collectivités et notamment aux communes qu’elles ne seront pas la variable d’ajustement des déficits publics.
>> À titre personnel quelle leçon tirez-vous de cette crise sanitaire et économique notamment sur notre modèle sociale, économique, urbanistique et logistique ?
Malgré la crise, si on prend un peu de recul, notre système dans son ensemble montre une capacité de résilience. La mobilisation des entreprises permet que les besoins essentiels de nos concitoyens soient pourvus. Les impacts sociaux de la crise sont amoindris par notre modèle social. L’état économique de notre pays est très préoccupant, la relance économique incertaine, et il y a fort à penser que de nombreuses entreprises disparaîtront. Comme toujours, ce sont les plus fragiles qui ne survivront pas, je pense particulièrement aux petits commerces et aux petites entreprises en milieu rural et à l’impact que cela aura sur nos territoires.
>> Même si aucune causalité directe n'est à ce jour établie, cette crise du Covid-19 est percue par beaucoup comme un symptôme révélateur des désordres écologiques. Aura-t-elle des conséquences sur nos comportements et sur les politiques publiques environnementales ?
Certains experts estiment que cette crise sanitaire a pu être favorisée par les désordres écologiques (rapprochement des humains avec les lieux de vie des animaux par exemple), et notamment par les attaques à la biodiversité. Ce type de pandémies pourrait de ce fait se multiplier à l’avenir… C’est un nouveau rappel à l’ordre qui nécessite une réelle prise de conscience suivie d’actions fortes. Quant aux comportements, on peut craindre que chacun retrouve « sa vie d’avant ». Je souhaite pour ma part que cette crise majeure nous conduise à remettre en cause certains comportements collectifs et individuels notamment en matière environnementale.
Les Centristes - 2 mai 2020