Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans après la loi postale de 2005, le Parlement est à nouveau saisi pour délibérer d'un texte majeur concernant l'avenir de La Poste.
Qu'est-ce qui justifie le fait de revenir aussi vite devant la représentation nationale sinon les nouveaux défis auxquels La Poste est confrontée aujourd'hui?
Le premier défi consiste à s'adapter à la baisse constante du volume du courrier, son activité principale depuis plusieurs années. J’ai été surpris que mon collègue n’y ait pas fait allusion, comme si nous étions dans un monde irréel.
Pour illustrer cette baisse, commençons par quelques chiffres. Le courrier, 56 % du chiffre d'affaire de La Poste, est distribué par quelque 200 000 postiers – et nous tenons à les saluer – sur les 300 000 que compte l'entreprise. Aujourd'hui, l'entreprise postale doit cependant faire face à une nouvelle forme de concurrence avec les changements d'habitude des usagers, notamment liés au développement des courriers électroniques
Nous devons mener une réflexion sur cette évolution. Le courrier classique présente des signes de fragilité.
La Poste prévoit maintenant un recul annuel de son activité de base de 3 % par an. Nos discours n’y changeront rien! Toutes les prévisions à long terme tablent sur un recul de cette activité compris entre moins 20 et moins 40 % à l'horizon de 2020 par rapport au niveau de 2009. Et ces chiffres ne donnent pas la mesure de la fragilité de cette activité.
Savez-vous notamment que le courrier entre particuliers représente moins de 3 % du chiffre d’affaires de cette activité? Cette activité est, en quelque sorte, déjà morte.
Savez-vous que 50 % du chiffre d’affaires du courrier est réalisé par cent clients seulement, forcément volatiles? Que l'introduction de la carte vitale – exemple de dématérialisation – a fait chuter le nombre de feuilles de soins de 11 millions à 1 million?
Bref, le coeur de métier de La Poste est en pleine mutation.
Nous sommes bien en face d'une transformation de fond de son activité.
Si personne n'est en mesure, aujourd’hui, de prévoir avec précision le rythme de ce changement – il n'est pas exclu que le papier ait à nouveau un rôle à jouer –, nous avons le devoir de donner à La Poste les moyens d'opérer sa mutation, à la fois à l'intérieur de son activité de courrier, structurellement en déclin, mais également sur ses métiers en croissance.
Le second défi est l'ouverture progressive du secteur postal, engagée en 1997 et parvenant à son terme en 2011.
Le 1 er janvier 2011, La Poste se retrouvera en concurrence sur le cœur de son activité, à savoir le courrier. Gardons à l’esprit qu’il s’agit d’un secteur en décroissance. Le développement, en Europe, d'opérateurs postaux puissants et animés d'ambitions internationales est un fait. Avec un chiffre d'affaires de 20,8 milliards d'euros, La Poste est le deuxième groupe postal européen derrière la poste allemande. Dans ce nouvel environnement, elle doit être en mesure de jouer à armes égales avec ses concurrents.
Pour cela, elle doit trouver de nouveaux financements afin d’investir durablement et massivement. C'est la seule voie pour une modernisation réussie et l'amélioration de sa productivité, au moment où ses concurrents vont chercher à mener une stratégie de niche sur les quelques segments rentables de l'activité courrier comme la publicité non adressée et les grands comptes.
Quelles sont les réponses possibles pour relever ces défis?
La commission Ailleret, composée de parlementaires – j’ai eu l’honneur avec notre rapporteur, Jean Proriol, François Brottes et Daniel Paul d’en faire partie –, de représentants des organisations syndicales, de l'État et de La Poste, a souligné de manière quasi consensuelle la nécessité d'engager des investissements importants pour continuer à améliorer les conditions d'exercice des différents métiers de l'entreprise postale donc, au premier chef, de ses missions d'intérêt général.
Elle a ainsi considéré qu'un besoin de financement externe d'au moins 2,7 milliards d'euros était nécessaire pour mener à bien le projet industriel engagé par La Poste.
Au regard du droit de la concurrence, les députés centristes considèrent que le changement de statut proposé par le projet de loi examiné aujourd'hui est la meilleure voie pour permettre à l'État et à la Caisse des dépôts et consignations d'apporter ces 2,7 milliards d'euros d'investissement. En effet, La Poste peut difficilement accroître son endettement qui atteint 6 milliards d'euros.
En outre, il semble difficile aussi que l'État intervienne par le biais d'une subvention ou d'un autre type d'aide sans que l'entreprise postale tombe sous le coup de l'interdiction européenne des aides d'État.
Oui, pour régulariser un tel investissement, l'État doit réaliser cet apport dans le cadre d'une société anonyme, et non d'un établissement public.
Le changement de statut ne signifie pas privatisation. Dans son article 1 er , alinéa 3, le texte prévoit l'interdit en précisant que « le capital de La Poste est, dans sa totalité, détenu par l'État ».
Ce caractère public a été confirmé par le Gouvernement, au Sénat, et dans notre hémicycle encore une fois cet après-midi par M. Le ministre. Pourtant, nous allons passer une grande partie de nos trente heures de débat à instruire le procès d'intention au sens respectable du terme que va conduire l'opposition sur les intentions à venir du Gouvernement quant à une hypothétique et éventuelle privatisation future de La Poste.
Le décor du jeu de rôle est déjà campé, le scénario et la distribution sont connus.
Dans le rôle de celui qui va affirmer et réaffirmer que jamais, au grand jamais, juré, craché, nous ne privatiserons La Poste, nous aurons le Gouvernement et son ministre. Dans le rôle des vaillants chevaliers démasquant les sombres intentions du Gouvernement et de la majorité présidentielle, nous aurons les orateurs de l'opposition. (« Oui! Oui! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Pourtant, la réalité est beaucoup plus prosaïque. Le texte de loi actuel interdit la privatisation et j'appelle l'opposition à avoir l'honnêteté intellectuelle de le reconnaître. La réalité, c'est aussi de reconnaître que ce que fait une loi, une autre peut le défaire.
Nous avons déjà vécu cette situation concernant la gestion d'autres entreprises publiques, je pense évidemment à la fusion GDF-Suez.
Les CENTRISTES, qui soutient l'affirmation du caractère exclusivement public de La Poste contenu dans la loi appelle chacun des acteurs à une certaine sagesse dans l'exécution de sa partition.
Nous soulignons, pour finir avec ce point qui va nous occuper pendant de longues heures, la menace directe que ferait peser sur l'unité du groupe La Poste le refus de faire un apport en capital à la tête du groupe.
Tout blocage idéologique sur ce point entraînerait de fait le groupe dans la voie de la privatisation de ses métiers à croissance avec l'arrivée d'actionnaires qui refuseraient toute solidarité avec la branche en déclin qu'est le courrier.
L'enjeu de la dotation en capital, c'est donc bien l'unité du groupe, qui n'a rien d'évident aujourd'hui, car son activité historique – le courrier – est en déclin et ses activités complémentaires sont en croissance.
Nous appelons donc tous ceux – nombreux et de sensibilités politiques différentes – qui sont attachés à l'unité du groupe La Poste à bien mesurer les conséquences de propositions qui peuvent paraître protectrices, mais qui sont, en fait, particulièrement dangereuses pour La Poste.
J’en viens à la transposition de la directive européenne et ses enjeux pour le service public postal.
Dans ce projet de loi, la France assure à la fois la transposition du service universel postal et définit des missions complémentaires de service public. À nos yeux, l'enjeu est triple.
C'est tout d'abord, un enjeu en termes d'aménagement du territoire. Nous voulons rendre hommage à la vision stratégique de Jean-Paul Bailly, président de La Poste.
Vous pouvez penser ce que vous voulez, mais Jean-Claude Bailly a su préserver le maillage territorial de La Poste et ses 17000 points, tout en permettant l'émergence de formes nouvelles de cette présence avec les agences postales communales et les relais postaux commerciaux.
Ne nous y trompons pas: le courrier ne va pas cesser de reculer mais nous devons continuer à assurer la présence territoriale de La Poste et, dans cette perspective, continuer à soutenir sa mutation.
La qualité de service doit être au cœur de nos préoccupations. Disons-le franchement, le projet de loi est timide sur cet aspect. La transposition de la volonté du législateur européen est proposée a minima .
La qualité du service, c'est obtenir d'abord la disparition quasi complète des erreurs d'expédition et des pertes de plis et de colis. Nous en sommes loin!
Le texte est trop général, car il ne reprend que très partiellement les exigences de l'article 19 de la directive européenne. C’est pourquoi nous essaierons de l’améliorer.
Il n'y a aujourd'hui rien de précis ni sur les déclarations de valeur ni sur les procédures de remboursement et d'assurance. Les CENTRISTES veillera à ouvrir ce débat lors de nos travaux.
La qualité, c'est aussi des délais courts et des délais tenus. C'est notamment la question de la livraison à J+l qui se pose. Ce dispositif est un engagement du service public postal français.
En effet, si le pourcentage de plis distribués en moins de 24 heures ouvrées a très sensiblement progressé ces dernières années,passant de 67 % en 2003 à 84 % au premier semestre 2009, c'est aussi parce que 80 % des boîtes aux lettres sont désormais relevées avant seize heures et parfois même dès midi!
Les personnes et les professionnels qui vivent et travaillent dans nos territoires ruraux sont aujourd'hui, monsieur le ministre, excédés par cet état de fait. Comment une PME située en milieu rural peut-elle répondre rapidement à un appel d'offres? Comment, dans de telles conditions, un particulier peut-il répondre à un rappel de facture par retour de courrier?
La Poste doit améliorer et clarifier sa prestation en la matière. Baisser la qualité du service ne peut qu’inciter à la numérisation des informations et à leur expédition par courrier électronique.
J’insiste donc sur l'importance du rôle du régulateur pour la mesure et le contrôle en termes de qualité de service rendu par La Poste. Mes chers collègues, n’ayons pas peur du régulateur! C'est une position constante des centristes, militants européens, que de soutenir le rôle central que lui confère le législateur européen, directive après directive.
Nous défendrons plusieurs amendements visant à élargir les responsabilités du régulateur, transposées timidement par ce texte de loi. Nous vous proposerons de moderniser et d'adapter l'ensemble du système de contrôle sur le service public postal en prenant acte du nouveau statut de société anonyme et des dispositions des deux directives européennes. Nous vous proposerons notamment de supprimer la commission supérieure du service public des postes et communications électroniques. Cette instance a eu sa légitimité et son utilité dans un contexte de société publique nationale. C'est maintenant à la gouvernance de la société anonyme, au régulateur national – l'ARCEP – et en dernier lieu au Parlement d'exercer leurs fonctions de contrôle. À titre d'exemple, il nous faut confier aussi au régulateur le bilan de la gestion de l'utilisation du fonds de péréquation.
Troisième enjeu, l’accessibilité bancaire.
La Banque postale doit sans cesse renouveler ses services pour favoriser l'accessibilité bancaire. Notre époque est clairement marquée par le durcissement des conditions d'accès au crédit pour les plus modestes de nos concitoyens. La gamme de produits de La Banque postale qui leur sont spécifiquement destinés doit donc être étendue.
Au-delà du Livret A, nous pensons d'abord à l'offre de micro crédit. La Poste a aujourd'hui la possibilité de faire du micro crédit social, mais elle n'a pas l'autorisation de son actionnaire, l'État, de proposer du micro crédit entrepreneurial alors même que l'entreprise postale est leader dans l'accompagnement des auto-entrepreneurs.
Par ailleurs, vous connaissez l'engagement du Nouveau Centre dans la prévention du surendettement. C’est pourquoi nous souhaiterions inscrire dans la loi l'exigence pour La Poste de ne pas proposer d'offre de crédit de type renouvelable parmi les produits offerts par La Banque postale.
Ces produits ont montré leur toxicité sociale. La Banque postale s’est bien gardée de s’engager dans des montages du type des subprimes , et cela lui a réussi.
La Banque postale doit faire preuve de la même exigence éthique et de la même réserve s’agissant des crédits renouvelables. À ce propos, j’ai noté avec plaisir l’accueil favorable que vous avez réservé cet après-midi à notre initiative, monsieur le ministre.
Les logiques de consommation changent; l’Europe économique et juridique poursuit sa construction; le contexte concurrentiel évolue. C’est donc maintenant que La Poste doit s’adapter, tout en assurant les missions de service public qui font sa force.
La Poste a su passer il y a vingt ans du statut d’administration d’État à celui d’établissement public et commercial; elle réussira cette nouvelle mutation, nous en sommes convaincus, car ce projet de loi lui fournit les outils nécessaires.
Grâce au travail des postiers et de leurs dirigeants, La Poste est aujourd’hui en bonne forme, du point de vue de sa gouvernance comme de ses résultats financiers, mais il est pour elle urgent d’agir. Or elle a les moyens d’agir; cette loi les renforce au profit du personnel de La Postede ses usagers et, plus largement, de notre pays.
À nous de choisir l’audace du mouvement, plutôt que l’impasse du statu quo . Et c’est parce qu’il choisit le mouvement que Les CENTRISTES soutiendra ce projet de loi.
EV PAR M. BENOIT
M. Thierry Benoit. Le projet de loi relatif à La Poste et aux activités postales est de la plus haute importance.
En effet, le groupe La Poste se trouve face à plusieurs défis majeurs et, en premier lieu, à la baisse constante depuis plusieurs années en volume de son cœur de métier, le courrier. La Poste fait face à la montée de nouvelles formes de concurrence avec internet et les techniques de dématérialisation. Il est aujourd'hui nécessaire d'engager des investissements importants pour continuer à améliorer les conditions d'exercice et la qualité de service de ses différents métiers, et notamment de ses missions d'intérêt général. C'est ce que propose la première partie de ce projet de loi.
Ensuite, le texte entend transposer la troisième directive postale qui conclura sur l'ouverture de son activité à la concurrence d'ici au 1 er janvier 2011. Il s’agit d’une donnée à mettre en parallèle avec le développement en Europe d'opérateurs puissants et animés d'ambitions internationales. Il nous fallait donc donner les moyens nécessaires à La Poste pour qu'une des entreprises préférées des Français puisse faire face à ces défis majeurs. Aussi, le groupe Nouveau Centre se réjouit d'avoir été entendu sur trois points importants.
Je pense d’abord à l'amendement défendu par notre collègue Jean Dionis du Séjour, qui engage La Poste dans la voie de la promotion du micro-crédit. À l'heure actuelle, La Poste détient l'autorisation de son actionnaire, l'État, de proposer des micro-crédits sociaux; une nouvelle autorisation est nécessaire pour accorder le feu vert à la banque postale concernant le micro-crédit entrepreneurial. Cet amendement va permettre la promotion du micro-crédit auprès des entrepreneurs.
Le micro-crédit a démontré son efficacité économique; aussi, nous nous félicitons du vote favorable accordé à cette disposition. Demain, nous souhaitons voir mis encore plus en avant le micro-crédit entrepreneurial.
Par ailleurs, nous nous réjouissons que le texte de compromis qui ressort des discussions en séance publique du projet de loi permette de garantir la modération face aux crédits renouvelables. Convaincu de la toxicité sociale de ce type de produit, le groupe Nouveau Centre prend note que le texte donne une direction, sans toutefois interdire le crédit à la consommation de type renouvelable pour la banque postale. Nous souhaitons cependant que l'objectif de lutte contre le surendettement soit intégré par le groupe La Poste; La Poste et ses usagers ne s'en porteront que mieux.
Les CENTRISTES estime que ces dispositifs, à la fois de lutte contre le surendettement et de promotion du micro-crédit, renforceront la signature « accessible » du groupe La Poste, un aspect particulièrement important au regard de sa mission d'accessibilité bancaire pour ses clients, et notamment les plus modestes d'entre eux.
Enfin, j’évoquerai le dispositif qui vise à donner à l'ARCEP, le régulateur, la possibilité d'être informée de tout changement dans l’offre de services postaux qui aurait une conséquence en termes de traitement des envois de correspondance, notamment lors de redressements judiciaires. Je pense aux 300 kg de courrier – environ – laissés derrière lui par l'opérateur Alternative Post. Aujourd'hui, grâce à cet amendement, cela n'arrivera plus. Les usagers ne seront plus les otages d'opérateurs non responsables.
Le groupe Nouveau Centre est heureux que l'esprit de responsabilité ait primé sur ces trois sujets.
Les logiques de consommation changent. L'Europe poursuit sa construction. Le contexte concurrentiel évolue. La Poste doit par conséquent s'adapter. Elle doit s'adapter tout en assurant ses missions de service public qui font sa force. Elle doit s'adapter afin de garder son avantage sur le marché européen et de conquérir de nouveaux marchés à l'international.
Je ne m'étendrai pas davantage, mais sachez que, pour Les CENTRISTES, la frilosité n'a pas à prévaloir. La Poste a su passer d'un statut d'administration d'État à celui d'établissement public et commercial il y a vingt ans. Elle réussira cette nouvelle mutation, car nous lui offrons, avec ce texte, les outils nécessaires.
Je profite de mon intervention pour saluer le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, et le rapporteur, Jean Proriol.
Enfin, monsieur le ministre, vous l'aurez compris, nous nous prononcerons en faveur de ce projet de loi.