26.10.2010

Débat sur le prélévement européen et préalable au conseil européen par Nicolas Perruchot

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Une semaine après que le Parlement européen ait pour la première fois examiné un projet de budget communautaire sous l’empire des dispositions du Traité de Lisbonne et à la veille d’un Conseil européen sans doute historique pour l’avenir de la zone euro, le débat que nous avons traditionnellement dans cet hémicycle au cours de l’examen du projet de loi de finances sur la participation de la France au budget de l’Union européenne prend cette année une double dimension. 

Il s’agit ainsi dans un premier temps d’évoquer les voies et moyens par lesquels les chefs d’Etat et de Gouvernement des 27 entendent tirer les leçons des secousses qui ont ces derniers mois ébranlé la zone euro, mais également de débattre de cet avenir au-delà de la crise que le projet de budget de l’Union européenne ambitionne de dessiner, suivant en cela les lignes directrices de la nouvelle Stratégie Europe 2020, adoptée en réponse à la faillite de la Stratégie de Lisbonne.

A ce titre, j’aimerai en premier lieu formuler un regret, celui de voir que contrairement à la tradition qui s’était pourtant installée depuis plusieurs années, notre assemblée ne tient pas aujourd’hui ce débat en lieu et place d’une séance de questions d’actualités mais bien lors de cette séance du lundi après-midi qui demeure, reconnaissons-le, bien plus confidentielle.

Pour autant ne nous y trompons pas, les sujets qu’il nous revient aujourd’hui d’évoquer sont bien d’une réelle et rare intensité. En effet et pour nous en tenir aux seuls mots du Président en exercice du Conseil européen, M. Hermann Van Rompuy, les mesures qu’il s’agira, lors du prochain Conseil européen, de prendre en direction d’un renforcement de la gouvernance économique de l’Union européenne constituent sans doute à ce jour la plus grande réforme jamais proposée dans ce domaine depuis l’introduction de la monnaie unique.

Chacun le sait ici, l’arrêt cardiaque de la finance internationale qui a manqué, voici à peine deux ans, d’emporter l’ensemble de nos circuits économiques, a en réalité inoculé au monde un virus qui n’a depuis eu de cesse de muter. D’abord strictement confinée aux sphères financière puis bancaire, la crise a fait irruption dans l’économie réelle et s’est traduite par les destructions d’emploi et la récession dont nous sortons à peine. 
Au cours de cette période, l’Europe et plus précisément la zone euro a joué son rôle en nous mettant à l’abri des tornades spéculatives qui n’auraient pas manqué de dévaster le marché des changes, permettant ainsi aux Etats de prendre de manière concertée les mesures de relance et de soutien à l’économie réelle qui s’imposaient, au prix cependant d’un déficit public accru.

Pour autant, la crise a, au printemps dernier, une nouvelle fois changé de visage avec le tournant si tragiquement spectaculaire qu’a constitué la crise grecque puis la perspective de sa contagion à l’ensemble de la zone euro. Crise économique et sociale, la crise devenait alors également une crise, plus structurelle encore, des dettes souveraines, faisant désormais peser la menace sur les Etats eux-mêmes.
Encore une fois, l’Europe a su, malgré les altermoiements que chacun garde en mémoire, répondre aux assauts que subissait alors la zone euro et sauver, par étapes, la monnaie unique. La solidarité européenne l’a ainsi emporté et un plan de sauvetage spécifique de 110 milliards d’euros, financé à hauteur de 80 milliards par l’Union européenne, a été élaboré en direction de la Grèce avant que ne se mette en place à l’échelle communautaire la réponse intermédiaire que constitue le mécanisme de stabilisation financière.
Au-delà cependant des réponses d’urgence et de la stricte logique du sauvetage, il importait de tirer tous les enseignements de cette séquence pour sortir durablement d’une situation qui demeure aujourd’hui encore trop fragile.

Aussi, si la France, accompagnée en cela par la plupart de nos partenaires, a entrepris l’effort sans précédent de redressement de ses finances publiques dont il est question dans ce projet de loi de finances, le Conseil européen a pour sa part mandaté son Président pour animer un groupe de travail chargé de formuler les propositions à même de définitivement stabiliser la zone euro et avec elle l’ensemble de l’économie européenne.
Avec ses conclusions finales, rendues publiques voici à peine quelques jours et avec les termes de l’accord franco-allemand trouvé à Deauville entre le Président de la République et la Chancelière allemande Mme Merkel, l’Europe, c’était une nécessité depuis l’avènement de la zone euro, mais ce n’en est pas moins à nos yeux, Monsieur le Ministre, une grande satisfaction, l’Europe semble enfin en passe de se doter de ce qui constitue bien l’embryon d’un gouvernement économique, dans le sens, mes chers collègues, d’une Europe enfin politique.

La crise de l’Eurogroupe imposait certes de revoir en profondeur les critères du Pacte de stabilité et de croissance mais elle imposait aussi de mettre enfin un terme aux carences tant du contrôle opéré en la matière que de l’éventail de sanctions placé entre les mains des institutions communautaires.
Certes des débats demeurent, et ils sont légitimes, sur le caractère automatique de ces sanctions, sur leur nature voire sur les termes mêmes du futur Pacte de stabilité et de croissance. Ils ne doivent cependant pas masquer l’essentiel, qui consiste à doter enfin la zone euro d’un pacte qui soit efficace dans son volet préventif car crédible dans son volet correctif, l’un ne pouvant durablement aller sans l’autre. A ce titre, les propositions qui sont aujourd’hui sur la table, qu’il s’agisse du renforcement de la surveillance économique des trajectoires nationales, des mécanismes d’alerte précoce en cas de dérapage d’un Etat membre ou encore du principe même de sanctions politiques pouvant aller jusqu’à la suspension des droits de vote au Conseil, longtemps taboues, vont incontestablement dans le bon sens, celui, au risque de choquer certains, d’un véritable fédéralisme économique.
A ce titre et derrière les inquiétudes et les craintes qu’elle continue de faire peser sur nos concitoyens, la crise, mes chers collègues, aura à nos yeux eu un grand mérite, celui de mettre l’Europe en demeure de répondre à des questions, de lever des incohérences qu’elle n’osait plus regarder en face, c’est le cas bien sur pour la gouvernance économique qui aurait pu et qui, à bien des égards, aurait du être une conséquence logique de l’introduction de la monnaie unique, c’est le cas également, pour le débat qui prend forme autour des ressources propres de l’Union européenne, débat qui, longtemps confiné derrière les portes de la Commission des budgets de Strasbourg, semble enfin franchir les murs du Parlement européen.
A ce jour, mes chers collègues, le budget de l’Union européenne reste en grande partie la somme de 27 contributions nationales. A ce stade de la procédure budgétaire européenne, la contribution de la France s’élève aux termes de l’article 46 du projet de loi de finances à 18.235 milliards d’euros. En tenant compte des ressources propres traditionnelles, telles que les droits de douane perçus aux frontières extérieures de l’Union, collectées par les Etats au nom de l’Union, le volume des transferts financiers de Paris vers Bruxelles avoisinerait en réalité les 21 milliards d’euros sur un budget communautaire qui tutoie pour sa part les 140 milliards d’euros en autorisations d’engagement. 
A l’heure, où il s’agit, pour la France comme pour l’ensemble de ses partenaires, d’œuvrer au redressement de finances publiques plus que jamais dans le rouge, nul ne contestera que l’effort soit conséquent et chacun de nous comprend dès lors les appels, et notamment celui du Gouvernement français, à la stabilisation du budget communautaire. Pour autant, nous faisons face à un problème a priori insoluble dans la mesure où l’Europe du Traité de Lisbonne est désormais appelée à voir son rôle et ses missions s’étendre considérablement.

A budget constant, la seule solution semble donc de rogner toujours plus sur les crédits de la Politique agricole commune, ce qui à nos yeux demeure clairement inacceptable à l’heure où se succèdent les crises dans le secteur agricole, voire de la renationaliser purement et simplement, ce qui équivaudrait alors pour l’Europe à renoncer à l’un de ses succès historiques et ne manquerait pas, à ce titre, d’apparaître comme une véritable Bérézina politique.

Prenons, mes chers collègues, un peu de hauteur. Depuis une quinzaine d’années, si l’Union n’a eu de cesse de s’élargir tant géographiquement qu’au regard des compétences exercées, son budget n’a quant à lui fait que décroître en valeur relative. A l’heure actuelle, la Commission prépare des projets de budget se situant toujours autour de 1% du RNB de l’Union, 1.05 % cette année en ce qui concerne les crédits de paiement, et ce alors que les dépenses de l’ensemble des administrations publiques des Etats membres atteignent pour leur part en moyenne 45 % du PIB national.
Les contributions nationales, c’est un fait, ne peuvent croître indéfiniment, mais alors que nous-mêmes, dans cet hémicycle, n’avons de cesse, qu’il s’agisse de l’avenir de nos filières agricoles, du traitement de l’immigration irrégulière ou encore de la lutte contre le réchauffement climatique, de reporter nos attentes sur Bruxelles et Strasbourg, chacun mesure combien le discours sur la stabilisation du budget communautaire est intenable à moyen terme.

C’est pourquoi, mes chers collègues, il est tout simplement temps pour l’Europe de sortir du système des contributions nationales.
Songeons, mes chers collègues, que la matrice historique de l’actuelle Union européenne, la CECA, présentait à sa création un modèle budgétaire cohérent où les dépenses de la communauté étaient financées par un impôt qu’elle percevait directement. Ce n’est que plus tard que ce modèle a été dévoyé et que les ressources de l’Union ont pris la forme d’impôts collectés par les Etats pour être renvoyés vers Bruxelles, amenant chacun à faire le calcul coûts/bénéfices de sa participation aux institutions communautaires et contribuant ainsi à la cristallisation des clivages entre contributeurs et bénéficiaires nets au sein du Conseil. 

Pire, ce système a accouché de la pratique bien connue des ristournes en direction de certains Etats membres, système qui veut ainsi que la France finance en 2011 à hauteur de 823 millions d’euros le fameux chèque britannique. Entendons-nous, mes chers collègues, s’il est légitime que la France contribue plus que d’autres à la solidarité européenne, il est de moins en moins acceptable de la voir financer des égoïsmes nationaux.
A terme, mes chers collègues, la montée en puissance du budget communautaire que nous appelons de nos vœux nécessitera là aussi de retrouver l’élan des pères fondateurs et ne pourra à ce titre se passer de la mise en place d’un véritable impôt européen.
Cette idée, relancée par la Commission européenne mardi dernier et qui, en réalité, va de pair avec ce vaste chantier que constitue l’harmonisation fiscale est traditionnellement impopulaire dans le débat public français.

Il ne s’agit pourtant pas d’alourdir la charge fiscale qui pèse sur les contribuables européens, c’est même, mes chers collègues, une condition sine qua non. En cela, la piste d’une TVA européenne gagnerait sans doute à être écartée au profit des scénarios impliquant une taxation harmonisée des bénéfices des sociétés profitant de l’ouverture du marché intérieur ou encore une taxe carbone aux frontières.
Il ne s’agit pas non plus, à ce stade, de porter atteinte à la souveraineté fiscale des parlements nationaux. La configuration à retenir étant celle où l’Union s’apparenterait ni plus ni moins qu’à une collectivité territoriale à qui le souverain fiscal national déléguerait tout ou partie d’un impôt créé par lui.

Mes chers collègues, parce que l’Europe n’est pas, qu’elle n’a jamais été et qu’elle ne sera jamais un simple projet de coopération régionale mais parce qu’elle constitue bien un projet politique, d’unification d’un continent autour d’un destin commun, parce qu’il est temps aussi que l’intérêt partagé de quelque 500 millions de citoyens prenne le pas sur 27 calculs coûts/bénéfices, c’est là un chantier qui ne peut plus attendre.

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