08.12.2010

Discours de Nicolas Perruchot à l’occasion débat préalable au Conseil européen

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
La Grèce hier, l’Irlande aujourd’hui, qui demain et à quand notre tour ? Voilà bien, au fond, la première question que se posent avec nous près de 500 millions d’européens à quelques jours du traditionnel Conseil de décembre.
Plus de deux ans après l’éclatement de la bulle spéculative des subprimes et alors que les principaux indicateurs économiques semblaient, en France comme chez la plupart de nos partenaires européens, enfin en mesure de repasser au vert, la perspective, voici quelques jours, d’une faillite pure et simple de l’économie irlandaise a résonné, pour chacun de nous, comme un nouveau coup de tonnerre.
Tirant les leçons de la crise grecque, l’Europe a certes été en mesure, cette fois, d’apporter sans délai son soutien au gouvernement irlandais, permettant ainsi d’éloigner les risques d’une faillite à court et moyen terme de ce qu’on appelait, avant-hier encore et avec une certaine admiration, le tigre celtique. Pour autant, il est inutile de le nier, la zone euro traverse sans doute actuellement encore la plus grave crise de sa jeune histoire. La crainte d’un effet domino frappant tour à tour l’ensemble des économies de l’Union reste dans tous les esprits et à bien des égards, la vraie question consiste aujourd’hui à savoir combien de temps encore l’Europe pourra s’en tenir à cette seule logique du colmatage. Sauver ce qui constitue une économie périphérique est une chose, sauver une économie majeure en est une autre et, mes chers collègues, l’Europe en aurait-elle demain encore véritablement les moyens ?
Il est courant, dans le débat public, d’invoquer la crise économique, celle qui plonge ses racines dans les méandres de la finance internationale, pour expliquer l’orage qui menace encore. Reconnaissons, mes chers collègues, que c’est là, à tout le moins, une réponse facile pour les responsables publics que nous sommes.
La réalité, c’est que sur le plan de la soutenabilité des dettes souveraines, la crise que nous traversons a, au mieux, joué le rôle d’un révélateur. Nous-mêmes et ceux qui nous ont précédés dans cet hémicycle, n’avons eu de cesse, depuis 30 ans, de voter, loi de finances après loi de finances, des budgets en déséquilibre, le plus souvent pour financer des chimères plutôt que d’investir dans l’avenir.
La réalité, chacun la connaît, c’est que les niveaux d’endettement des économies européennes, à ce point vertigineux qu’ils en semblaient irréels, précédaient de très loin la chute de Lehman Brothers. La réalité, c’est que la crise nous impose aujourd’hui, à nous ainsi qu’à l’ensemble de nos partenaires européens, de répondre à l’une de nos faiblesses les plus structurelles en replaçant enfin nos finances publiques dans une dynamique vertueuse.
Pour autant, les déclarations d’intention et les premiers signes en direction d’une plus grande discipline budgétaire, pour indispensables qu’ils soient, s’inscrivent résolument dans une perspective de temps long et ne sauraient en eux-mêmes répondre à l’urgence d’une situation où les marchés financiers semblent, chaque mois sinon chaque semaine, en mesure de faire vaciller une nouvelle économie de la zone euro.
Oui, il est indispensable de prendre à l’échelon national des mesures à même de ramener à moyen terme nos finances publiques dans les rails du pacte de stabilité et par là de préserver la crédibilité de notre signature AAA, mais ce dont l’Europe a besoin aujourd’hui, c’est de définir enfin la traduction à la fois politique et juridique de la notion de solidarité européenne, c’est de sortir de la seule logique du sauvetage pour mettre en place les mécanismes à même de prévenir les futures crises, c’est également et enfin, mes chers collègues, de lever cette incohérence originelle consistant pour les Etats de la zone euro à se doter d’une monnaie unique sans prendre le temps d’une véritable coordination des politiques économiques.
A cet égard, le Conseil européen d’octobre a été l’occasion d’ouvrir, dans le prolongement de l’accord franco-allemand trouvé à Deauville, des pistes de réflexion et des chantiers qu’il semble désormais indispensable de prolonger et de concrétiser.
Il en va ainsi, tout d’abord, du mécanisme de gestion de crise destiné à préserver la stabilité de la zone euro, qui ne pouvait être pérennisé que par une révision du Traité de Lisbonne. Si les 27 ont acté, en octobre dernier, le principe d’une révision partielle et limitée du Traité, il appartiendra désormais au Conseil de se prononcer sur le contenu même de cette révision et par là sur les grands traits que prendra, à l’horizon 2013, cet embryon de fonds monétaire européen. Là encore, il faut sans doute rappeler les réticences initiales, celles de la Commission comme de certains Etats membres, qui n’hésitaient pas à qualifier de pure folie la simple perspective d’une révision, pour mesurer que les faits de ces dernières semaines ont bien malheureusement donné raison à la position franco-allemande.
Pour notre part, Monsieur le Ministre, nous soutenons résolument cette perspective en ce qu’elle constitue, pour les Européens, le seul moyen de reprendre durablement leur destin en main. Ce mécanisme de gestion de crise devra avant toute chose être en mesure de conforter la crédibilité des économies européennes mais il importe aussi qu’il constitue, à l’encontre des spéculateurs, une véritable arme de dissuasion aux mains des 27. A ce titre, la proposition allemande de « convier » certaines composantes du secteur privé, notamment celles qui tirent profit de ces tornades spéculatives, à participer à ce fonds commun nous parait-elle, dans son principe, également des plus pertinentes.
L’institutionnalisation de ce principe de solidarité européenne ne pouvant cependant aller sans contreparties, le dernier Conseil européen s’est également engagé, sur la base du rapport Van Rompuy, vers un renforcement de la gouvernance économique de l’Union. Nous avons, je crois, trop souvent regretté dans cet hémicycle les limites de l’intégration et celles de la monnaie unique pour ne pas saluer, dans cette séquence, un avancée déterminante pour la construction européenne.
Dans ce débat pourtant, un point semble avoir focalisé à lui-seul l’attention, je pense à la possibilité qui serait ouverte au Conseil de prendre des sanctions de nature politique à l’encontre d’un Etat violant de manière grave et répétée les critères du pacte de stabilité et de croissance. Pour autant mes chers collègues, il faut là aussi faire preuve de bon sens et admettre que l’éventail de sanctions actuellement aux mains des institutions communautaires semble pour le moins inapproprié sinon purement contre-productif. Comment en effet ne pas trouver paradoxal le fait de sanctionner par des amendes pouvant atteindre des montants importants, le fait pour un Etat de se trouver en situation de déficit excessif ? Il s’agit par là simplement de crédibiliser le pacte de stabilité dans son volet correctif, tout en lui garantissant une certaine flexibilité dans la mesure où la décision finale reviendrait aux seuls chefs d’Etat et de gouvernement.
En tout état de cause, cette question reste en réalité largement périphérique et elle ne saurait masquer les étapes déterminantes que le Conseil s’apprête à franchir vers la coordination des politiques budgétaires, c’est l’objet du fameux projet de « semestre européen » où les parlements nationaux conserveront toute leur place, vers la coordination, également, des politiques macroéconomiques, lesquelles ne sont en réalité que des étapes vers le véritable chantier qui attend l’Europe, celui de la convergence fiscale.
Une fois encore et qu’on le reconnaisse ou non, la question qui se pose à l’Europe est celle de savoir si elle entend enfin assumer pleinement son horizon politique et par là, mes chers collègues, fédéral.
Pour notre part, c’est parce que nous croyons que l’Europe n’est pas, qu’elle n’a jamais été et qu’elle ne sera jamais, un simple projet de coopération régionale mais bien plus un projet politique, d’unification d’un continent autour d’un destin commun, que nous ne doutons pas des réponses qui devront être apportées, par le Conseil européen, à cette crise sans précédent.
Je vous remercie.

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