10.02.2021

Ne laissons pas l’instruction en famille servir de bouc émissaire dans la lutte contre le séparatisme

Charles de Courson réclame avec dix-huit autres signataires, la suppression de l’article 21 du projet de loi « confortant les principes de la République » qui restreint le droit à l’instruction en famille, une liberté fondamentale qui remonte aux lois Ferry.

Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », visant à lutter contre le séparatisme, est en examen à l’Assemblée nationale depuis le 1er février. Après seulement quelques semaines de débat, il entend modifier de grandes lois de la République, fruit d’années de travail parlementaire, comme la loi de 1905 sur la laïcité ou la loi Ferry du 28 mars 1882. Dans un tel contexte de précipitation, il n’est pas étonnant que le projet du gouvernement comprenne des mesures disproportionnées et dangereuses. 

Ainsi, le texte s’en prend à une liberté ancienne, la liberté d’instruction : le droit fondamental pour les parents de décider de l’instruction à donner à leurs enfants, y compris, le cas échéant, de la dispenser à domicile au sein de la famille, sous le contrôle de la République. La loi Ferry en a posé le principe, simple et général : contrôle annuel de chaque enfant et réintégration dans l’école si ses progrès sont insatisfaisants. Tout au long de ses presque cent quarante ans d’histoire, la liberté d’instruction a joué avec souplesse son rôle dans la grande diversité des milieux sociaux, situations et motivations qu’elle recouvrait — éloignement pour les uns, projet familial pour les autres, situation temporaire difficile, etc.

Elle concerne aujourd’hui une infime minorité d’enfants, environ 0,5 %, et à peine 10 % des inspections sont négatives, selon une étude transmise au gouvernement. En 1977, le Conseil constitutionnel fait de la liberté de l’enseignement un principe fondamental de notre droit, et en 2017 c’est le Conseil d’Etat qui en déduit la liberté de choisir les modalités d'instruction d'un enfant. Quoi de plus naturel, dans un pays qui a inscrit la liberté dans sa devise ? Mais ce n’est en aucun cas une exception française, puisque la majorité des pays européens font de même.

Pas de preuve de lien avec le séparatisme

Mais depuis quelques mois, citant à l’envi quelques cas particuliers sans aucune précision, le gouvernement instille résolument l’idée que l’instruction en famille, favorisant les velléités séparatistes de certains, pose un risque à la République. Pourtant, aucune corrélation n’a pu être établie entre l’instruction en famille et le séparatisme ! L’amalgame abaissant avec la radicalisation est fait sans la moindre preuve, sans chiffres, et contredit les propres propos antérieurs du gouvernement sur le sujet.

C’est sur la base d’une étude d’impact indigente, à charge, présentant systématiquement l’instruction en famille sous un angle biaisé et soupçonneux, que le projet de loi du gouvernement entend, avec son article 21, faire disparaître la liberté d’instruction en famille. Le travail préparatoire a été particulièrement bâclé : une seule audition préliminaire a invité une seule équipe de sociologues spécialistes de cette modalité d’instruction, et encore a-t-elle été organisée en catimini, sans retransmission publique ! Une telle légèreté, pour réviser rien moins que les lois Ferry, un pilier de notre République, est un scandale pour notre Etat de droit.

Certes, le projet de loi a été adouci pour tenir compte de l’avis du Conseil d’Etat. Certes, la nouvelle version du texte est moins radicale que l’annonce du chef de l’Etat, dans son discours des Mureaux du 2 octobre, qui annonçait une quasi-interdiction de l’instruction en famille. Mais cela ne change rien au fond de l’affaire ! Le projet de loi indique noir sur blanc vouloir mettre fin au régime de liberté et lui substituer un régime d’autorisation préalable, sur la base de critères restrictifs qui n’incluent pas la notion de projet familial et seront soumis à appréciation de l’administration. On peut d’ores et déjà prévoir les lourdeurs, contentieux, angoisses et incompréhensions qui viendront remplacer la souplesse d’aujourd’hui. Ne laissons pas l’instruction en famille servir de bouc émissaire.

Si avec cette mesure, l’exécutif prétend lutter contre les problèmes de radicalisation et de séparatisme, il rate sa cible : la déscolarisation de fait non déclarée, la multiplication des cas de harcèlement, les difficultés de notre système d’éducation publique sont des maux plus graves et plus dangereux pour notre société, de plusieurs ordres de grandeur. « L’école est bonne pour tous les enfants », nous dit un ministre. Mais qui peut honnêtement englober dans une règle générale l’extraordinaire diversité des familles ?

Non nécessaire et disproportionnée

De nombreux enseignants, qui parfois pratiquent eux-mêmes l’instruction à domicile, sont également dubitatifs : ils constatent quotidiennement que pour une petite minorité d’enfants la scolarisation n’est tout bonnement pas possible, pour toutes sortes de raisons qui peuvent être durables ou passagères, et qu’une souplesse en la matière est bienvenue. Et au cours du siècle écoulé, que ce soit en France ou à l’étranger, un certain nombre de personnalités talentueuses et épanouies ont été instruites en famille – parmi quantité d’exemples, citons Pierre Curie, Prix Nobel de physique, Marguerite Yourcenar, première femme élue à l’Académie française, Taïg Khris, entrepreneur et champion du monde de roller, ou encore Judit Polgar, la plus grande joueuse d’échecs de tous les temps. Avec le projet de loi du gouvernement, ces personnalités n’auraient pas pu être instruites en famille en France. Au nom de quel principe d’uniformisation ?

Sous prétexte de renforcer les principes républicains, ce texte de loi va supprimer inutilement et injustement un système qui a fait ses preuves et joue bien son rôle de soupape marginale ; il va frapper des familles qui ont éduqué leurs enfants dans le respect de la République et ne comprennent pas que l’on s’en prenne à elles. Cette restriction de plus est une restriction de trop, non nécessaire et disproportionnée, décidée de manière bâclée et avec mauvaise foi. Nous, députés de bancs variés, issus de la gauche, du centre et de la droite, demandons la suppression de l’article 21 du projet de loi.

 

Tribune - « Ne laissons pasl’instruction en famille servir de bouc émissaire dans la lutte contre le séparatisme » Les signataires réclament la suppression de l’article 21 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui restreint dangereusement le droit à l’instruction en famille : Cédric Villani, Député de l’Essonne (Non Inscrit - collectif Écologie Démocratie Solidarité) Anne-Laure Blin, Députée du Maine-et-Loire (Les Républicains) Anne-France Brunet, Députée de la Loire-Atlantique (La République En Marche) Paula Forteza, Députée des Français établis hors de France (Non Inscrit - collectif EDS) Charles de Courson, Député de la Marne (Libertés et Territoires) Béatrice Descamps, Députée du Nord (UDI & Indépendants) Christophe Naegelen, Député des Vosges (UDI & Indépendants) Constance Le Grip, Députée des Hauts-de-Seine (Les Républicains) Delphine Bagarry, Députée des Alpes-de-Haute-Provence (Non Inscrit - collectif EDS) Grégory Labille, Député de la Somme (UDI & Indépendants) Guillaume Chiche, Député des Deux-Sèvres (Non Inscrit - collectif EDS) Jean-Christophe Lagarde, Député de la Seine-Saint-Denis (UDI & Indépendants) Julien Aubert, Député du Vaucluse (Les Républicains) Julien Ravier, Député des Bouches-du-Rhône (Les Républicains) Marc Le Fur, Député des Côtes-d'Armor (Les Républicains) Patrick Hetzel, Député du Bas-Rhin (Les Républicains) Philippe Latombe, Député de la Vendée (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) Olivier Gaillard, Député du Gard (Non Inscrit) Xavier Breton, Député de l’Ain (Les Républicains)

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