11.04.2020

Nathalie Colin-Oesterlé : "L’Europe doit retrouver son indépendance sanitaire et se prémunir contre les pénuries."

 

Interview de Nathalie Colin-Oesterlé, députée européenne Les Centristes (Groupe PPE), membre de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, chargée par le Parlement Européen d’un rapport sur la pénurie des médicaments, conseillère municipale de Metz Conseillère communautaire de Metz Métropole.

 

"L’Europe doit retrouver son indépendance sanitaire et se prémunir
contre les pénuries de médicaments et de matériels médicaux."

 

Que retenir des mesures mises en place par l’Union européenne ?

Nathalie Colin Oesterlé : D’abord laissez-moi vous dire que les moyens dégagés sont sans précédent ! J’entends dire, ci et là, que l’Union européenne n’aurait pas été à la hauteur, c’est faux. Dès le début de la crise, l’Union européenne a débloqué 140 millions d’euros afin d’aider les laboratoires de recherche travaillant sur un vaccin contre le COVID-19.

 

Par ailleurs les règles budgétaires imposées aux États membres concernant le déficit budgétaire ont été suspendues pour la première fois sur proposition de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, afin de permettre aux différents États d’injecter dans leur économie autant qu’ils en auront besoin. C’est une décision inédite !

 

Au total, ce sont près de 1000 milliards d’euros qui seront mobilisés pour faire face à cette crise, pour soutenir financièrement les États qui vont s’endetter massivement pour sauver leurs économies respectives, et aider leurs PME, commerçants, agriculteurs notamment.

 

Là où nous devons progresser, c’est dans l’harmonisation et la coordination des politiques des États membres.

 

Mais on a, tout de même, eu le sentiment que l’Europe de la solidarité a mis du temps à se mettre en place ?

Les États de l’Union européenne n’ont pas pris conscience au même moment de l’ampleur de la crise qui nous frappait. Au fur et à mesure que l’épidémie gagnait du terrain, les États membres tentaient d’y faire face en mobilisant leur système de santé et en l’adaptant au mieux. N’oublions pas que la santé relève de la compétence de chaque État membre ! Il est donc logique que chacun ait pris les mesures qui s’imposaient en fonction de l’évolution de l’épidémie dans chaque pays.

 

L’Europe de la solidarité est intervenue dans un deuxième temps, notamment lorsque la Commission européenne a lancé l’initiative d’achats groupés de masques, de respirateurs et proposé la création, que je soutiens, d’une réserve stratégique européenne.

 

Alors que le début de cette crise sanitaire et économique avait été gérée de façon très individualiste avec notamment la fermeture des frontières dans un désordre total, ne pensez-vous pas que les États européens doivent sortir du confinement de façon coordonnée, notamment pour éviter un rebond de l’épidémie ?

La question de la sortie du confinement est un vrai test pour la coordination européenne, notamment en termes de circulation des personnes et de réouverture des frontières. Mais pour ce qui concerne la date, cela dépendra surtout de la situation dans chaque État, en fonction de l’évolution de l’épidémie. Certains pays comme les Pays-Bas ou la Suède n’ont pas fait le choix du confinement strict, ils sont donc moins concernés par une stratégie de déconfinement que la France, l’Italie ou l’Espagne où le confinement est strict.

 

Cette crise sanitaire a mis en exergue un des combats que vous menez : l’importation trop importante de médicaments, produits et matériels para-médicaux notamment en provenance d’Asie et surtout le manque d’anticipation des européens…

Cette crise a encore une fois démontré notre hyper dépendance envers la Chine et l’Inde en ce qui concerne les médicaments et le matériel médical. Et l’augmentation soudaine de la demande n’a fait que confirmer ce que je dénonce depuis longtemps : 80 % des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Asie contre 20% il y a 30 ans ! Environ 40% des médicaments-finis commercialisés dans l’UE proviennent de pays tiers. Et c’est la même chose pour le matériel médical. La gestion des masques durant cette crise a mis en lumière notre vulnérabilité.

 

Alors comment y remédier ?

C’est tout notre modèle qu’il faut repenser. Nous devons retrouver notre indépendance sanitaire et nous prémunir contre les pénuries de médicaments dont chacun imagine les conséquences dramatiques qu’elles peuvent engendrer. Nous devons envisager la relocalisation de certaines productions de médicaments et de matériel médical stratégiques pour l’UE. Il est impératif de pérenniser la réserve stratégique annoncée par la Commission européenne pour des médicaments dits essentiels et qu’il conviendra de définir. Nous devons agir sur l’ensemble de la chaîne du médicament pour mieux anticiper les ruptures et instaurer une plus grande transparence dans la chaîne de distribution.

 

C’est tout l’objet des travaux que le Parlement européen m’a demandé de conduire avec le rapport sur la pénurie de médicaments en Europe. Je viens de commencer mes auditions. Je promets de revenir vers vous très vite pour vous livrer mes conclusions.

 

« L’Europe avance toujours avec des crises » disait Jean Monnet, vous êtes optimiste ?

Les crises peuvent nous permettre d’avancer si nous savons en tirer les leçons. L’Union européenne s’est construite autour de la nécessité de créer la paix en Europe à la suite de deux conflits meurtriers. Mais pour avancer, l’Europe doit se renforcer, harmoniser les règles en vigueur dans les États membres plutôt que s’élargir.

 

L’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE de la Macédoine du Nord et de l’Albanie, que soutient désormais le Président de la République, est à cet égard totalement inopportune.

 

Comment vivez-vous ce confinement à titre personnel ? et comment le conciliez-vous avec votre mandat de députée européenne ?

Nous avons la chance de vivre une époque où les moyens de communication sont tels que le confinement n’empêche pas le travail à distance pour certaines activités. Le Parlement européen s’est adapté avec intelligence et rapidité à la situation : réunions en visioconférence, votes à distance sur les mesures d’urgence pour faire face à la crise… et pour ma part beaucoup de travail et d’auditions en lien avec mon rapport, prioritaire, qui est attendu pour fin avril !

 

Propos recueillis par Nicolas Jeanneté

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