04.09.2015

"L'humanité s'est échouée sur nos côtes" par Hervé Morin

Tribune parue dans Le Huffington Post

Il aura fallu le choc de la poignante image de cet enfant syrien de trois ans échoué sur une plage de la station balnéaire turque de Bodrum, pour que la Communauté internationale, plus singulièrement, les Européens évoquent - enfin - à l'unisson la nécessité d'agir de concert afin de réguler les migrations terrestres et maritimes traversant la Méditerranée, devenue le cimetière de plus de 3000 d'entre eux en 2014, déjà 2500 depuis janvier.

Il est, en effet, plus qu'urgent d'accueillir de manière solidaire ces migrants aux origines différentes mais aux aspirations communes pour une vie meilleure. Pourtant, le phénomène est ancien et ne touche pas seulement l'Europe. L'eldorado américain, australien, européen aura poussé près de 53 millions de personnes à l'exil en 2015. Réalités mondiales donc aux résonances récurrentes à travers la planète (asymétrie de développement, conséquences des conflits armés, révolutions -plus singulièrement "les Printemps arabes"-, aléas climatiques, perspectives bouchées d'embauche, mauvaise gouvernance endémique, réprimandes et bien souvent répression brutale auxquels les candidats au départ sont soumis par des pouvoirs autoritaires)...

Si l'on estime, depuis 2000, que 40.000 personnes ont péri -à travers la planète- en tentant de gagner des rivages plus propices à leur épanouissement personnel ou tout simplement à leur survie, 22.000 l'ont été en tenant de traverser Mare Nostrum !

Depuis janvier 2015, le nombre de migrants a dépassé les 300.000 fin août, selon le HCR. Ces derniers, fuyant déjà les zones de conflits syrien, libyen, irakien, yéménite et les pays en proie à l'instabilité chronique -à l'instar de l'Erythrée, les deux Soudan(s) et ceux de la bande sahélo-saharienne, de RCA, de la région des Grands Lacs- étaient moitié moins nombreux en 2014 !

Ce chiffre, qui en lui-même nous interpelle, tant les conditions qui accompagnent la traversée de la Méditerranée sont dramatiques, ne sont pourtant que les signes avant-coureurs d'une crise qui ne fera que s'amplifier inévitablement.

Qu'adviendra-t-il, en effet, quand les conditions climatiques et sécuritaires s'empirant dans la bande sahélo-saharienne, forte de 150 millions d'habitants en 2025, fera peser une épée de Damoclès démographique d'une ampleur jusqu'ici inégalée ?

Comment pourrait-il en être autrement quand 800 millions des 2 milliards d'habitants que comptera l'Afrique à cet horizon, vivront dans des villes africaines grandies trop prématurément, aux infrastructures balbutiantes et à la capacité d'employabilité de ses habitants encore incertaine ?

Les soubresauts des "Printemps arabes" avaient provoqué -dès 2011- l'exode massif de nombreux Tunisiens, Algériens, Libyens et Egyptiens. Les conséquences de la crise libyenne qui en a résulté ont ouvert une brèche qu'il sera difficile de combler sans une politique volontariste de reconstruction durable et profonde du pays lui ré-ouvrant des perspectives réelles pour ses habitants.

C'est évidemment, avec une égale détermination, que les 28 Etats européens doivent désormais mettre en place des mécanismes contraignant chacun d'entre nous à davantage d'harmonisation, tant dans le renforcement des capacités d'accueil que dans l'adaptation du principe de libre circulation des personnes, surtout quand certains de nos partenaires européens de l'espace Schengen semblent vouloir en contraindre son bon fonctionnement.

L'abolition des frontières intérieures ne saurait bien évidemment faire abstraction du renforcement des frontières extérieures. C'est pour cette raison qu'il convient de renforcer, en premier lieu, le Système d'information Schengen (SIS). Il conviendrait aussi de développer le principe des contrôles "volants" effectués au sein de l'Espace Schengen, comme le permet, du reste, le code des frontières Schengen. Il s'agira tout autant d'harmoniser les conditions d'entrée, d'asile et d'obtention de visa. Bref, c'est moins de nouvelles mesures que de l'application avec plus de détermination et encore une fois d'harmonisation, dont l'Europe a besoin pour répondre à l'urgence à ses frontières.

La situation nous oblige ainsi, nous Européens, ici et maintenant, à davantage de solidarité et à la mise en application d'un des principes fondateurs de l'Union européenne: celui de la suppléance qui veut que l'échelon européen prenne le relais en matière de capacité et d'harmonisation des moyens face à l'urgence du moment, obligeant nos partenaires européens à considérer avec la même empathie ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui tentent de gagner nos côtes, fussent-ils qualifiés de "migrants", de "réfugiés", ou de "demandeurs d'asile".

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