Le gouvernement a donc finalement utilisé l’article 49-3 de notre constitution pour faire adopter en 1ière lecture la loi « travail » ce qui a déclenché une avalanche de commentaires pour la plupart négatifs contre cette initiative gouvernementale.
Faut-il donc tout de suite inscrire cet épisode au bilan assez calamiteux de ce gouvernement et passer à autre chose ? Je ne le pense pas.
Il y a en effet une réflexion « centriste » à mener sur ce 49-3.
Reconnaissons tout d’abord que l’utilisation de cette possibilité constitutionnelle a été plus fréquente dans notre Vème République que ne le laisse à penser la vigueur du débat actuel sur la loi du travail.
Le 49-3 a en effet été utilisé 86 fois depuis son introduction dans la constitution en 1958 : 54 fois par la gauche, 32 par la droite.
Michel Rocard, 1er ministre de 1988 à 1991, en a été le champion incontesté. Il disposait, en effet, d’une majorité très tenue à l’Assemblée Nationale et ses relations avec le président Mitterrand étaient pour le moins complexes, ceci expliquant cela.
Pourquoi donc tant d’émoi autour de ce 49-3 ? Certes, le recours à cette disposition législative par François Hollande, un de ses plus féroces pourfendeurs lorsqu’il déclarait en 2006 : « Le 49-3 est une brutalité, le 49-3 est un déni de démocratie, le 49-3 est une manière de freiner ou d'empêcher le débat parlementaire » ne contribue pas à améliorer l’image présidentielle déjà passablement détériorée.
Mais, l’essentiel n’est pas là. Si ce 49-3 a eu un écho particulier, c’est parce ce qu’il porte en lui deux leçons majeures. La première est politique. La deuxième est constitutionnelle.
Première leçon politique de ce 49-3 : il signe la fin de la gauche plurielle avec d’un côté le Parti Socialiste majoritairement pour la loi travail et de l’autre les Verts et le Front de gauche contre (tellement contre, pour le Front de gauche, qu’ils n’ont pas hésité à voter la motion de censure déposée par la droite et le centre).
A gauche, la fin de la stratégie de la gauche plurielle est un évènement considérable car elle annonce sans doute l’émergence d’une force significative à la gauche du PS et hostile à celui-ci (les sondages ne disent pas autre chose actuellement en créditant Jean-Luc Mélenchon de 11 % d’intentions de vote au 1er tour de la Présidentielle) et elle rendra très compliquée la présence de François Hollande ou de tout autre candidat socialiste au 2ème tour de la Présidentielle.
La fin de la Gauche Plurielle a des causes politiques et idéologiques.
- Raisons politiques d’abord. Si la gauche plurielle se fracture aussi violemment en fin de mandat présidentiel, c’est d’abord parce que François Hollande a échoué sur les sujets-clé pour l’opinion publique français que sont l’emploi et l’autorité de l’Etat et ensuite parce qu’en fin de mandat, il fait une politique social-libérale contraire à son programme de 2012 pour lequel les Français l’ont élu.
- Raisons idéologiques ensuite. Le Parti Socialiste mène en fin de mandat une politique bien confuse, mais indéniablement d’inspiration social-libérale. Il doit, s’il veut survivre, mettre en place une autre stratégie politique visant à rester majoritaire dans ce pays. Avec qui ? Mécaniquement, le PS tourne son regard intéressé vers les classes moyennes, les modérés, bref vers le Centre, en laissant tomber et ses alliés d’hier (Verts, Front de gauche) et son socle électoral (classes populaires).
Deuxième leçon constitutionnelle de ce 49.3 : la Constitution de la Vème République aura bientôt 60 ans. Elle a vieilli. Il est urgent de l’adapter.
L’article 49-3 permet, en effet, au gouvernement d'imposer l'adoption d'un texte par l'Assemblée, immédiatement et sans vote, ce à quoi l'Assemblée ne peut s'opposer qu'en renversant le gouvernement par une motion de censure.
C’est exactement ce qui s’est passé pour la loi "Travail" : engagement de la responsabilité du gouvernement sur la loi travail, motion Républicains-UDI déposée et repoussée, texte adopté en 1ère lecture sans débat, ni vote.
Ce 49-3 n’est pas dans notre constitution par hasard. Les rédacteurs de celle-ci sous l’autorité du Général de Gaulle, en 1958, ont voulu protéger les futurs gouvernements de la République de l’instabilité gouvernementale qui minait l’autorité des gouvernements de la IVème république qui « tombaient » fréquemment après avoir été mis en minorité sur des projets de loi au Parlement. En 1958, l’autorité de l’Etat, avant le retour au pouvoir du général de Gaulle, faisait cruellement défaut pour faire face à la crise algérienne. On peut comprendre.
Mais aller expliquer à nos jeunes adultes, la fameuse génération « Y » déjà fortement critique quant à notre démocratie représentative que nos représentants n’ont pas pu débattre er voter à l’occasion du débat parlementaire d’une des lois les plus importantes de ce quinquennat. Là, cela ne passe plus du tout.
En fait, le 49-3 n’est qu’un des symptômes du vieillissement de notre constitution. Celle-ci a rendu de grands services pendant 60 ans à notre pays. Mais elle devient progressivement un obstacle et à la démocratie et à l’efficacité gouvernementale.
Elle est devenue un curieux mélange de constitutions présidentielle et parlementaire avec, dans les faits, un déséquilibre flagrant en faveur de l’exécutif par rapport au Parlement.
Un Exemple ? Le Président n’est responsable que devant le peuple souverain ; le Premier Ministre, lui, est responsable devant le Parlement. Illisible !
J’émets pour terminer un avis strictement personnel. Le peuple français a adopté le changement majeur voulu par le Général de Gaulle en 1958 : l’élection du Président de la République au suffrage universel. Il ne laissera personne revenir en arrière sur ce point central.
Acceptons donc d’être un vrai régime présidentiel, supprimons le poste ambigu de Premier ministre et en contrepartie, renforçons les droits du parlement notamment en supprimant la tutelle gouvernementale sur celui-ci en exigeant la suppression de la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du 49-3.
Tout compte fait, ce 49-3, tout exaspérant qu’il fut, a été riche en leçons importantes. A nous, centristes, d’avoir des oreilles pour entendre.