24.05.2020

LA GRANDE INTERVIEW avec Nathalie Colin-Oesterlé

LA GRANDE INTERVIEW avec Nathalie Colin-Oesterlé
Députée européenne
Membre de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
Conseillère municipale et métropolitaine de Metz
Présidente de la fédération Les Centristes de Moselle

 

Nathalie Colin-Oesterlé a été chargée par le Parlement Européen du Rapport d'initiative sur les pénuries de médicaments. Elle nous dévoile les recommandations qu'elle présentera cette semaine devant la commission.

 

>> Pour relancer l’économie européenne, le couple franco-allemand vient de proposer l’idée d’un fonds de 500 milliards d’euros via un mécanisme inédit de mutualisation de la dette européenne. Au début du confinement, c’était la BCE qui a présenté un plan de 540 milliards d’euros. Soit un total d'environ 1 000 milliards d’euros. Des chiffres qui peuvent paraitre colossaux, mais qui finalement semblent faibles comparés aux 4.000 milliards de dollars promis par le secrétaire au Trésor des Etats-Unis et au plan de relance de 6 000 milliards que va annoncer la Chine ?

Nathalie Colin-Oesterlé : Au contraire, ces chiffres sont colossaux car ils doivent être ajoutés aux plans de relance de chacun des 27 Etats membres de l’UE !
Ce fonds serait donc complémentaire et inédit par sa structure : pour la première fois, la Commission européenne emprunterait sur les marchés financiers pour soutenir la relance des Etats membres. On franchirait un nouveau cap dans la solidarité européenne en créant une dette mutualisée à 27. Après plusieurs tentatives infructueuses, la position allemande semble s’infléchir, je pense que c’est une bonne nouvelle. A cette crise exceptionnelle, la réponse doit être inédite.

Si on ajoute les plans de relance des 27, le projet de fonds de la Commission et le plan de rachat de dette massif de la BCE, la réponse est complète et à la hauteur des enjeux.

Mais la solution envisagée devra, pour entrer en vigueur, être approuvée par le Parlement européen qui demeure la seule institution européenne élue démocratiquement. Il ne pourra y avoir un accord entre Etats membres qui échappe au contrôle parlementaire. C’est aussi cela la souveraineté européenne : savoir dépasser le niveau intergouvernemental.

 

>> Ces 500 milliards d’euros sont le fruit d’une proposition du couple franco-allemand. A-t-elle une chance d’aboutir sachant que déjà l’Autriche, la Suède, le Danemark et la Suède veulent faire leur propre plan de relance ? On a l’impression que quand le Sud applaudit, le Nord se cabre….

Nathalie Colin-Oesterlé : Je note que la Commission européenne comme la banque centrale se sont félicitées de ces annonces. L’Union européenne avait besoin d’une initiative franco-allemande pour impulser un plan de relance, ou au moins une base de discussion. Ensuite, chacun devra affiner ses positions et faire un pas pour trouver un compromis, c’est comme ça que l’Union européenne fonctionne. J’ai bien noté la méfiance des pays dits « frugaux » à cette proposition franco-allemande. Mais ces Etats doivent comprendre que l’Union européenne court un danger mortel avec cette crise. Si la relance n’est pas à la hauteur, les économies des Etats membres seront trop durablement affaiblies et le projet européen risque d’être à l’arrêt.

Cette approche différente entre les Etats du Nord et ceux du Sud n’est pas insurmontable, il est normal qu’à 27 des divergences puissent exister. L’essentiel est de parvenir à un accord, et je pense que les Etats membres y parviendront.

 

>> Où en est le pacte européen vert et les 1000 milliards proposés par Ursula von der Leyen ? Comment allier relance économique et green deal ?

Nathalie Colin-Oesterlé : Le Pacte vert a été adopté en Janvier par le Parlement européen. Je veux ici le réaffirmer avec beaucoup de force  : le plan de relance européen devra respecter les exigences du pacte vert. Nous ne pouvons pas reconstruire sur les mêmes bases qu’avant. Nous devons saisir l’opportunité pour orienter prioritairement nos investissements vers la transition écologique et numérique. 

 

>> Comment réagissez-vous à la déclaration d’Edouard Philippe mercredi dernier au Sénat disant que l’UE n’a pas été à la hauteur de la crise ?

Nathalie Colin-Oesterlé : Je ne suis pas certaine que le Premier Ministre soit le plus à même de distribuer les bons et les mauvais points lorsque l’on se penche sur la gestion de la crise par le Gouvernement !

Oui, l’Europe a tardé au départ à se coordonner, je pense à la question des frontières, des imbroglios autour des masques… Mais l’épidémie n’est pas arrivée partout au même moment et n’a pas frappé de la même manière ; il faut bien reconnaître que tout le monde a été pris de court par son ampleur et la vitesse de sa propagation sur le continent.

L’Europe a su répondre en mettant en place des achats groupés de masques et de matériel médical, en facilitant la coopération entre États membres et en organisant des transferts de patients pour soulager les capacités hospitalières à la limite de la saturation. 

La solidarité européenne a fonctionné au plus fort de la crise et a permis de sauver des vies.

Et avec la réponse financière qui s’annonce et que nous souhaitons, il est malvenu de dire que l’Europe est absente. Mais il est vrai qu’il est toujours plus facile de rendre l’Europe responsable de ses propres défaillances...

Rappelons enfin que la santé est une compétence nationale et non européenne. Et que les Etats membres ont toujours rechigné à davantage d’intégration européenne sur ce sujet. .

Souhaitons que de cette crise émerge un nouveau modèle sanitaire européen, car nous voyons combien unis, nous sommes plus forts...

 

>> Justement parlons Santé. Emmanuel Macron et Angela Merkel ont porté l'idée d'Europe de la santé. Vous allez présenter jeudi à la commission votre rapport sur la pénurie des médicaments. Quelles sont les recommandations que vous proposez ?

Cette crise a montré que nous devions retrouver notre souveraineté sanitaire. Nous ne pouvons pas déléguer à d’autres nos intérêts vitaux, stratégiques. Imaginerait-on déléguer notre capacité nucléaire ? Il en est de même pour notre santé.

Pour protéger la santé des citoyens européens, il est indispensable de sécuriser l’approvisionnement en médicaments et matériel médical et d’accompagner, par des mesures incitatives fortes, la relocalisation de la production de substances actives et de médicaments finis.

La création d’un ou de plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif, capables de produire certains médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique en situation critique ou des médicaments anciens n’étant plus rentables pour les firmes pharmaceutiques, peut également permettre de pallier les pénuries au-delà des situations de crise.

Je propose également de développer, sur le modèle du mécanisme rescUE mis en place par la Commission européenne, une réserve commune de médicaments de type anti-cancéreux et anti-infectieux aux prix harmonisés, une sorte de « pharmacie européenne d’urgence » afin de répondre aux besoins des États membres confrontés à ces pénuries récurrentes et garantir aux patients l’accès aux traitements.

Il est par ailleurs nécessaire d’instaurer une plus grande transparence dans la chaîne de distribution et une coopération renforcée entre États membres, afin d’avoir une cartographie claire des situations de tensions et des besoins dans chaque pays et éviter les pratiques de « surstockage » qui ne font qu’aggraver ces pénuries.

Nous devons enfin préparer l’avenir en investissant massivement dans la recherche de pointe et dans la diversification de nos ressources. L’Union européenne doit devenir le continent de l’innovation et de l’excellence en matière de santé.

 

>> Vous êtes également élue locale. Que pensez-vous de la gestion de la crise par les ARS ? Souhaitez-vous une plus grande décentralisation de la santé en France, notamment par exemple par une nouvelle gestion préfet-maire-département-région ?

Cette crise a révélé les failles de notre système centralisé, c’est incontestable. Les lourdeurs de l’administration nous ont fait perdre un temps considérable au début de la crise, sur les commandes de masques, les homologations de tests…

Ces atermoiements ont tranché avec la réactivité des collectivités territoriales, en lien direct avec les réalités du terrain. Les régions ont démontré des capacités de mobilisation, de logistique et d’adaptation en un temps record.

Dans le Grand Est, beaucoup de maires, d’élus locaux se sont démenés et le Président de la Région, Jean Rottner, a réussi à mobiliser le public, le privé et certains pays voisins pour faire face à l’afflux de patients. Le politique doit reprendre sa place. S’il n’y avait pas eu de mobilisation locale notamment sur les masques, la population n’aurait pas été suffisamment équipée pour la levée du confinement.

 

Pour suivre Nathalie Colin-Oesterlé sur Facebook ou sur Twitter

© Les Centristes / NJ / 22 mai 2020

 

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