LA GRANDE INTERVIEW avec Loïc Hervé
Sénateur de Haute-Savoie
Secrétaire de la commission des lois
Membre de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL)
Membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
Conseiller municipal de Marnaz
Conseiller communautaire de la communauté de communes Cluses Arve et Montagnes
>> Comment jugez-vous les mesures du plan de déconfinement proposées par le Gouvernement ?
Loïc Hervé : La levée progressive du confinement dans notre pays est un impératif à la fois économique et social. Mais autant le confinement est une mesure facile à comprendre, autant y mettre fin relève d’une véritable gageure pour bien prendre en compte des impératifs territoriaux face notamment à la réalité changeante de l’épidémie.
Le débat au Sénat, organisé d’abord autour de la question de l’application StopCovid a donc pris une dimension beaucoup plus large, abandonnant même quasiment toute dimension numérique.
>> Il y a les mesures mais il y aussi la méthode. A l’exemple de l’ouverture des écoles ou des plages, le gouvernement semblait tâtonner. Quelle aurait dû être la bonne méthode ?
Loïc Hervé : Il a fallu un certain temps pour que le Gouvernement admette la dimension territoriale et la nécessité d’une différenciation. Les associations d’élus n’ont cessé de plaider dans cette direction et la nomination de Jean Castex vient finalement confirmer le choix de cette stratégie.
Et l’affirmation du couple Maire / Préfet doit permettre de trouver des solutions rapides et adaptées au terrain.
>> D’où votre vote d’abstention ?
Cette abstention n’est certainement pas une défiance, car j’ai bien conscience de la difficulté de l’exercice. Mais c’était un vote sur une déclaration et non sur un texte et le Gouvernement n’est pas responsable devant le Sénat.
C’est lors de l’examen du projet de loi qui a suivi ce débat que le Sénat a complètement joué son rôle de législateur. J’y reviendrai.
>> Sans faire de polémique, diriez-vous que l’Etat a mal anticipé cette épidémie par notamment le manque de masques et aujourd’hui de tests ? Etes-vous favorable à la mise en place de commission d’enquête ? Si oui quand ?
La soudaineté de l’épidémie et sa dimension internationale ont créé une situation qui a montré un manque cruel de préparation et la cinquième puissance du monde s’est retrouvée face à une pénurie de matériel y compris pour les personnels soignants.
Le Sénat mettra certainement une commission d’enquête en place avant l’été. C’est son rôle de venir examiner ce qui, dans le fonctionnement de l’Etat, a fait défaut. On apprend de chaque crise et le Parlement doit pleinement jouer tout son rôle constitutionnel : écrire la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques.
>> Vous êtes secrétaire de la commission des lois présidée par Philippe Bas. Au regard du délai très court entre l’annonce des mesures et la mise en application, avez-vous eu vraiment le temps d’exercer votre rôle de sénateur notamment en amendant pour améliorer ce projet de loi ? Quelle était l’ambiance au sein de cette commission ?
Nous avons eu le texte de loi samedi après-midi pour un examen en commission des lois lundi matin. Autant dire qu’il a été impossible d’auditionner le Ministre de la Santé ou la Présidente de la CNIL. C’est donc Philippe Bas, Président de la commission des lois et rapporteur du texte, qui a fait des propositions pour apporter des garanties nouvelles.
Malgré les contraintes sanitaires, les collègues présents se sont pleinement investis sur ce texte et des convergences très larges ont permis de faire avancer les positions du Sénat.
>> Comment allez-vous contrôler la mise en application de cette loi ?
La commission des lois a mis en place un comité de suivi de la loi du 23 mars 2020 et des ordonnances prises par le Gouvernement. Notre travail se poursuivra dans les semaines qui viennent. Pour ma part, je m’intéresse plus particulièrement aux données personnelles et à la sécurité civile. Dans plusieurs des autres commissions, le même type de comité de suivi a été mis en place.
>> Vous présentiez de nombreux amendements de vos collègues sénateurs, on vous a senti plusieurs fois agacé par l’attitude et les réponses faites par le Gouvernement. Que vouliez-vous exprimer ?
Sur la responsabilité des élus, la réouverture des plages et des forêts comme sur le système d’information, mon rôle de sénateur est de faire avancer les choses en m’appuyant sur les demandes du terrain. J’ai parfois eu l’impression d’un décalage important et je l’ai exprimé, avec agacement, c’est vrai.
>> Vous êtes membre de la CNIL et on vous sait méfiant quant à la mise en place de l’appli StopCovid, pourquoi ? Vous n’aviez pas les garanties nécessaires ? Et pourtant on lit ici et là qu’elle serait mise en application début juin ?
La plupart des applications en Asie, bien que très intrusives, ont toutes été mises en place au début du confinement. En France, on mettrait en place une application fonctionnant sur le modèle de Singapour, qui s’est révélée un vrai échec. Et on met cette application en place beaucoup trop tard, alors que le déconfinement aura largement commencé.
Avec plusieurs collègues du groupe Union Centriste, nous avons dénoncé le « solutionnisme technologique » qui consiste à voir systématiquement dans le numérique la réponse la plus pertinente.
Cette application StopCovid, c’est aussi l’échec d’une initiative européenne, les Allemands et les Suisses ayant quitté le consortium européen chargé de réaliser une application fondée sur le Bluetooth mais qui a très vite rencontré des difficultés techniques. StopCovid est une mauvaise idée et je ne crois pas du tout à son succès.
>> Faut-il aussi s’inquiéter des fichiers de contact tracing issus des brigades sanitaires ?
Il faut toujours se méfier de la collecte massive de données personnelles, a fortiori quand il s’agit de données de santé. Les risques tiennent aux libertés publiques mais aussi aux risques de détournement des finalités. Depuis plus de 40 ans, la France protège les données personnelles. Et le cadre européen du RGPD fait que les citoyens européens sont protégés.
>> Les deux chambres du Parlement ont trouvé un accord sur le texte prolongeant l’état d’urgence sanitaires. Quelles sont les garanties apportées par le Sénat qui ont été conservées ?
Elles sont nombreuses. La loi donnera lieu à un décret qui permettra de mettre en œuvre le système d’information. Ce décret sera soumis à un avis conforme de la CNIL. C’est une garantie très forte et je me réjouis qu’elle ait été adoptée.
>> Et sur la responsabilité des élus, des chefs d’entreprises et responsables associatifs ?
Dans la suite de la loi Fauchon de 2000, le groupe de l’Union Centriste s’est positionné très tôt sur cette question, notamment grâce à une proposition de loi déposée par Hervé Maurey. Les craintes en termes de responsabilité sur le terrain étant grandes et la rédaction issue de la commission mixte paritaire permettra de répondre à des craintes légitimes sans entrer dans une logique d’impunité.
>> Le Président de la République a déclaré vouloir « bâtir un autre projet dans la concorde ». On évoque la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Qu’en pensez-vous ?
Je suis inquiet des conséquences de cette crise, notamment dans le domaine économique. Il y aura certainement aussi des conséquences politiques. A cet égard, et sans rien renier à leurs idées, je crois que les modérés devront agir et prendre leur part aux décisions qui ne manqueront pas d’être prises dans les semaines et mois qui viennent.
>> Vous êtes sénateur de Haute-Savoie, l’un des premiers foyers observés du Covid-19. Connait-on aujourd’hui la raison ? Comment les élus et la population ont-ils vécu cette période ?
L’épidémie a commencé là où il y a de l’activité et des déplacements. Dans le premier cluster, il s’agissait d’un touriste étranger arrivant d’Asie et dans le second, d’un commercial revenant d’Italie. Les Haut-Savoyards ont bien respecté le confinement mais languissent d’un retour à la vie normale.
>> D’un point de vue plus personnel, quelles leçons tirez-vous de cette crise sanitaire et économique ?
Un simple virus a ébranlé notre économie et a plongé la moitié de la population mondiale dans un confinement.
Cette crise posera des questions institutionnelles, sur le fonctionnement de l’Union Européenne comme sur l’articulation entre le rôle de l’Etat et des collectivités territoriales.
Mais plus que tout, cette crise nous renvoie au prix attaché à toute vie humaine dans une société technologique.
Et nous sommes devant une opportunité de reconstruire une société sur des valeurs humanistes plus fortes. C’est un défi auquel nous devons tous contribuer.
Les Centristes - 10 mai 2020