Notre actualité politique est dominée par la loi El Khomri, censée réformer notre droit du travail et par l’impasse vers laquelle s’achemine le gouvernement à ce sujet.
Car, enfin, nous sommes un des seuls pays d’Europe à n’avoir pas réussi à faire baisser notre taux de chômage dans les dernières années ( à peine 4 mauvais élèves dont la France sur 28 pays !) et tout le monde s’accorde à reconnaitre que les pays (l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, etc…) qui ont, bien avant nous, effectivement réformé leur droit du travail dans la même direction que celle proposée par notre ministre du travail ont pu baisser significativement le nombre de leurs concitoyens au chômage.
Il y a donc bien urgence à agir dans cette direction et pourtant, comme toujours, ça coince « à la française » avec des clignotants de blocage qui s’allument les uns après les autres : majorité des syndicats « contre », organisations lycéennes et étudiantes « contre », manifestations populaires importantes « contre », majorité à l’assemblée nationale en faveur du texte très incertaine, rumeurs de 49-3, etc… Bref, un texte de loi, indispensable, urgent, qui aurait du faire consensus et « pourtant, ça coince ».
Y aurait-il une impuissance, une malédiction française qui nous empêcherait d’avancer ?
Je ne le crois pas. Mais, pour réformer la France sérieusement, vraiment, il y a des pré requis, des conditions impératives qui, toutes, ont été bafouées pour la loi El Khomri.
La première condition, c’est bien évidemment d’être mandaté par le peuple lui-même pour bouleverser nos vies quotidiennes, notre vie sociale. Ce mandat entre le peuple souverain et celles et ceux qui aspirent à le représenter se noue lors des élections sur la base d’un contrat simple entre les parties : mettre en œuvre le programme que les candidats élus ont présenté lors de l’élection.
Pour la loi El Khomri, François Hollande dispose-t-il d’un tel mandat l’autorisant à bouleverser le code du travail ?
J’ai eu la curiosité de me reporter au programme du candidat Hollande : rien sur la négociation d’entreprise, rien sur le plafonnement des indemnités à payer en cas de licenciement arbitré par les prudhommes. Au contraire, j’y ai trouvé la proposition 24 :
« Je lutterai contre la précarité qui frappe avant tout les jeunes, les femmes et les salariés les moins qualifiés: à cette fin, j’augmenterai les cotisations chômage sur les entreprises qui abusent des emplois précaires. Je mettrai en place un dispositif de notation sociale obligeant les entreprises de plus de 500 salariés à faire certifier annuellement la gestion de leurs ressources humaines au regard de critères de qualité de l’emploi et de conditions de travail. »
Plus floue, plus ambigu, tu meurs.
Pas étonnant que dans ces conditions, la loi El Khomri rencontre une hostilité à l’intérieur même du Parti socialiste et plus largement à l’intérieur de l’électorat de la gauche et ceci pour une raison très simple : ils n’ont pas voté pour cela.
Et l’on retrouve bien sûr le mensonge fondateur de la campagne 2012 d’Hollande : campagne flamboyante à gauche (l’ennemi, c’est la Finance !), pratique gouvernementale maladroite au centre-gauche. Résultat : 19% d’opinions favorables pour Hollande et pratiquement personne pour soutenir une loi de bon sens.
A nous d’en tirer une leçon politique forte. Pas de réforme structurelle en France sans légitimité populaire et la légitimité dans la Vème République, elle se trouve dans l’élection présidentielle. D’où l’importance clé du programme de notre futur candidat pour 2017 !
La deuxième condition, c’est bien évidemment la concertation dans l’élaboration de la réforme.
Quand Gerhard Schröder réforme l’Allemagne et son droit du travail en 2002, il installe la Commission Hartz, du nom de son président, ancien DRH de Volkswagen et membre actif du SPD. Elle comprend 15 membres, composée notamment de syndicalistes et d’universitaires. Elle va travailler 6 mois avant de produire son rapport.
En France pour la loi El Khomri, rien de tout cela. Une loi bien technocratique, bien opaque et au bout du compte, sans doute l’échec.
La troisième condition, c’est évidemment un bon calendrier politique.
Que cela fasse plaisir ou non, la dernière année du mandat présidentiel est la pire pour proposer des changements majeurs qui forcément inquiètent une partie de l’opinion publique et qui forcément rencontreront l’opposition de tous les conservateurs « de droite » ou « de gauche », craintifs des impacts électoraux d’une telle démarche.
Les grandes lois de changement ont toutes été faites dans la foulée de l’élection présidentielle quand la légitimité du Président de la République est la plus forte.
Pour rester dans cette fenêtre de tir favorable à la réforme, il ne faut d’ailleurs pas hésiter à mobiliser le parlement : session extraordinaire, travail par ordonnance et si cela ne suffit pas, le référendum en début de mandat peut être un recours ultime.
La loi El Khomri, quant à elle, bénéficie du plus mauvais calendrier envisageable : dernière année de mandat, etc…
Oui, notre pays est réformable.
Comme parlementaire, j’ai le souvenir de réformes ô combien sensibles adoptées sans drame comme l’autonomie des universités ou les lois Grenelle de l’environnement. Elles l’ont été parce qu’elles ont respecté les trois conditions impératives pour le succès d’une vraie réforme en France :
- celle de la légitimité populaire en faisant explicitement partie du contrat présidentiel
- celle de la concertation dans leur conception
- et enfin celle d’un calendrier politique favorable au changement, c'est-à-dire proche de l’élection présidentielle.
Pour avoir ignoré ces trois conditions, il est probable que le projet de loi EL Khomri sera au pire retiré et au mieux accouchera d’une souris législative.
Ce sont nos concitoyens au chômage qui paieront le prix personnel de ces fautes politiques.
Le gouvernement en portera la lourde responsabilité.
Aux centristes et à l’opposition en général de préparer dès maintenant les grandes réformes de 2017, si les Français nous font l’honneur de nous porter au gouvernement, en respectant les conditions du succès des réformes à la française.