ENTRETIEN. Le président de la Région Normandie fait le point sur le climat économique de la région la plus industrielle du pays et d’évoquer son plan de relance dont le montant s'élève à un demi-milliard d’euros.
LA TRIBUNE - Il est à craindre que certains territoires mono-activité ne sortent essorés de la crise sanitaire. Quel regard portez-vous sur la situation en Normandie ?
HERVÉ MORIN - Il existe une grosse part de casse invisible qu'il est encore difficile de percevoir mais les indicateurs de la Banque de France montrent des perspectives encourageantes dans certains secteurs manufacturiers fortement représentés ici comme l'agroalimentaire, la chimie ou encore la pharmacie où 300 millions d'euros d'investissement sont annoncés. Contrairement à d'autres régions, je pense au bassin toulousain par exemple, on ne déplore pas de casse gigantesque dans une branche ou une autre parce que le tissu économique est plus diversifié. J'ai même de sérieux espoirs de reprise pour des entreprises industrielles qui étaient en difficulté avant la crise comme la Chapelle Darblay, Vallourec ou Manoir Industries. Nous avons aussi la chance de disposer d'un ressort de croissance avec les énergies renouvelables et, je l'espère, avec l'implantation d'un second EPR à Penly.
Après le « quoi qu'il en coûte » d'Emmanuel Macron, vous avez lancé, à l'automne dernier, un plan de relance de 515 millions d'euros. Quelle est sa philosophie ?
Pour préparer la relance, encore fallait-il que les entreprises restent debout. C'est pourquoi nous avons cherché d'abord à préserver ce qui pouvait l'être. Nos dispositifs ont d'ailleurs été rebaptisés « Résistance » pour incarner cette volonté. J'ai ensuite demandé aux services et l'Agence de développement économique de concevoir des mécanismes innovants qui viennent en complément du plan de relance national, pour aller là où l'Etat n'est pas ou pas assez. C'est dans cette optique que nous avons repêché près de 30 entreprises qui n'avaient pas été retenues dans l'appel d'offres territoires d'industrie et que nous déployons, avec le réseau des experts-comptables, un fonds de prêts participatifs assimilables à des quasi fonds propres pour permettre à des PME de sortir par le haut du PGE en préservant leurs capacités d'investissement. C'est aussi pour cela que nous avons mis en place, avec les intercommunalités, un fonds de solidarité pour les TPE. Par ailleurs, nos anciens dispositifs restent mobilisés... et inspirants. Je note avec satisfaction que Laurent Wauquiez a lancé, il y a peu en AURA, ce qui est présenté comme le premier fonds souverain régional à 100 millions d'euros qui est en réalité le second après le nôtre dont la création remonte à 2016.
Parlant de relance, beaucoup d'élus critiquent le manque de territorialisation du plan de l'Etat. Est-ce aussi votre constat ?
Cela fonctionne bien quand il s'agit de fonds placés dans la main des préfets comme la DSIL (Dotation de soutien à l'investissement local ndlr) ou la DETR (Dotation d'équipement des territoires ruraux ndlr). Là où le bât blesse, ce sont les appels à projets qui finissent à Bercy. L'instruction est très longue, très compliquée et les refus non motivés. J'avais demandé à ce que ces crédits soient déconcentrés. On aurait pu confier l'examen des dossiers à la BPI. On aurait ainsi gagné énormément en délai et en pédagogie mais force est de constater que c'est conceptuellement impossible pour une administration centrale qui persiste à infantiliser son administration déconcentrée. Au début de cette crise, on aurait pu penser que le jacobinisme deviendrait un atout, que l'armée prussienne se mettrait en route en quelque sorte. C'est au contraire un échec que la loi 4D, imparfaite, sera impuissante à conjurer.
Avec la prise de conscience de la dépendance française à l'étranger, la question de la relocalisation industrielle s'est imposée dans le débat public. C'est un enjeu clef pour la Normandie, non ?
Je vois quelques intentions claires dans la pharmacie notamment et chez quelques entreprises que j'ai visitées récemment comme Hamelin à Caen. Il existe en effet un mouvement positif mais de là à le qualifier de marée, non. Penser que l'essentiel de la relance sera lié à des projets de relocalisation serait une erreur stratégique. Pensons plutôt réindustrialisation mais aussi économie résidentielle dans les villes moyennes et les centres bourgs qui, on le voit, regagnent en attractivité. Ce sera à mon sens un facteur de croissance important dans les années à venir. La Région va d'ailleurs monter un programme de soutien en ce sens comme nous l'avons déjà fait au profit des villes reconstruites (après-guerre ndlr).
Pour conclure, quel est votre état d'esprit un peu plus d'un an après le début de la crise ?
De manière globale, je suis moins pessimiste que je ne l'étais au moment du premier confinement. Je redoutais une énorme casse économique et sociale mais cela a tenu. Il nous reste à ne pas rater la sortie de cette période pendant laquelle beaucoup d'entreprises ont été placées sous perfusion.
Ce que je redoute plus à l'avenir, c'est la troisième marche du déclin de l'Europe après les deux guerres mondiales, la troisième rupture en un siècle. N'oublions pas que nous allons attaquer la reprise avec six mois de retard sur les Etats-Unis et l'Asie et dans un contexte de hausse du prix des matières premières.
Propos recueillis par Nathalie Jourdan et publiés dans La Tribune