07.09.2013

"Dans la crise syrienne, François Hollande n’aura semblé écouté ni son cœur, ni sa raison" par Hervé Morin

Tribune dans Marianne

« Le cœur a ses raisons que la Raison ne connait pas », écrivait Pascal. Dans la crise syrienne, François Hollande n’aura semblé écouté ni son cœur, ni sa raison. Le cœur lui aurait probablement  dicté d’intervenir militairement bien plus tôt–dès l’été 2012- alors que l’on pressentait déjà que le régime Assad ne reculerait devant aucun crime pour anéantir la rébellion. Faute de l’avoir décidé quand il était encore temps, la raison lui aurait à l’inverse intimer davantage de prudence à la suite des présumés usages d’armes chimiques, dans l’attente des conclusions des experts de l’ONU, de la position des Etats-Unis et aussi de la composition de la coalition. 

Depuis le début de la crise syrienne, il y a presque deux ans, François Hollande n’aura jamais été dans le bon rythme. Trop tard puis trop tôt. Il n’a d’autres choix aujourd’hui,  pour sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve, que de reprendre ses marques et de trouver les réponses à deux questions toutes simples. Doit-on intervenir ? Peut-on intervenir ? 

A la première question la réponse est oui. C’est une affaire de droit, de morale et de géopolitique. De droit parce qu’il y a trois semaines la ligne jaune semble bien avoir été franchie avec l’utilisation d’armes chimiques en violation du  Protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d'emploi à la guerre des armes chimiques et biologiques et de la Convention sur les armes chimiques de 1993 qui interdit d'acquérir, de mettre au point, de fabriquer, de stocker, de transférer et d'employer des armes chimiques. L’utilisation d’armes de destruction massive à l’égard de son propre peuple est totalement inacceptable. Quoi qu’en pensent certains, à la guerre, chaque mort ne se vaut pas. Un groupe de soldats décimé par une rafale de fusil-mitrailleur ne vaut pas un enfant de dix ans asphyxié par une arme chimique. C’est la différence entre la civilisation et la barbarie. Une affaire de morale aussi parce qu’au nom de quoi refuserait-on au peuple syrien le droit de se débarrasser d’un dictateur corrompu et sanguinaire ? Le droit de vivre en démocratie ne serait-il réservé qu’à quelques pays supposés plus riches et plus éduqués ? J’ai parfaitement conscience que l’opposition syrienne au régime Assad est une coalition hétéroclite, j’ai aussi conscience du poids des islamistes en son sein, mais moi, je ne fais pas partie des cyniques, nombreux sur la place de Paris, et pour qui mieux vaut de bonnes dictatures au sud de l’Europe pour être tranquille avec l’islam. En France, de la Révolution à la République il y a eu la Terreur. Nous devons intervenir aussi pour des raisons géopolitiques enfin car, s’il est un fait que la région reste une vraie poudrière, demeurer passif n’arrangerait en rien la situation, bien au contraire. « Pas de guerre sans l’Egypte, pas de paix sans la Syrie », disait Kissinger. Rien n’a changé de ce point de vue, et la stabilité de la région passe donc aussi par la stabilité retrouvée de la Syrie.

Alors maintenant, peut-on intervenir ? Oui bien sûr mais à plusieurs conditions : techniques, démocratiques, militaires. L’aspect technique, ce sont des preuves irréfutables de l’utilisation des armes chimiques. Les Etats-Unis sont les Etats-Unis mais Obama n’est pas Bush et je crois que nous pouvons lui faire confiance sur les preuves (et non de simples indices) qu’il apportera. Aux dictateurs en tous genres, nous devons aussi montrer que la démocratie n’est pas une faiblesse dans les moments de crise mais au contraire une force. Notre constitution ne l’y oblige en aucun cas mais mon opinion est que le Parlement français doit être entendu et doit voter. Comme la Chambre des Communes britannique. Comme le Congrès américain. Le vote des représentants, c’est « l’impôt du sang » comme on disait en 1791. Enfin, troisième condition, nous ne pouvons intervenir militairement tout seul même pour des frappes aériennes ciblées. Nous n’en avons ni les moyens, ni la vocation. Une coalition avec les Etats-Unis mais aussi avec les Etats de la Ligue arabe qui l’accepteront est impérative. Pour démontrer que l’Occident ne cherche pas à imposer un régime, il est extrêmement important que cette action soit internationale, intègre des pays arabes mais aussi  la Turquie. J’ai depuis longtemps, et non sans tristesse, fait une croix sur l’Europe. Nous n’avons rien à en attendre sinon de perdre à nouveau du temps et du crédit.

François Hollande a parlé de « punir le régime Assad ». Ce vocabulaire martial et moral n’était pas approprié. Je lui préfère l’expression de « coup de semonce ». Frapper pour arrêter l’innommable, frapper pour dissuader que l’innommable se répète en Syrie comme ailleurs, frapper pour revenir à une solution politique. Une fois de plus, le choix n’est pas entre la paix ou la guerre. Il est de choisir la guerre pour ensuite construire la paix.

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