« La notion d’intérêt général va devoir finir par s’imposer »
C’est un problème que je connais bien. J’ai été pendant treize ans maire de Bernay (Eure), poste que j’ai quitté en mars. Et durant toutes ces années, la démographie médicale a été une préoccupation constante. Depuis 2012, Bernay voit partir tous les ans un médecin à la retraite sans être remplacé. Il y a trois ans, nous avions créé un centre de santé avec un médecin salarié par la mairie. Mais il est parti pour des raisons personnelles et nous n’avons jamais pu en trouver un autre alors que Bernay n’est pas une zone isolée, ni désertée par les services publics.
Il n’est pas possible de continuer ainsi. Cela fait plus de 25 ans que l’on multiplie les mesures incitatives et coûteuses pour attirer les jeunes médecins dans les zones sous-dotées. Ces dernières années, de nombreux élus ont ainsi construit des maisons de santé pour répondre à la demande de jeunes médecins d’avoir un exercice plus collectif. Certains de ces projets ont donné de bons résultats, mais on voit aussi des collectivités qui ont dépensé plusieurs centaines de milliers d’euros pour bâtir de belles maisons de santé toutes neuves qui restent vides.
Je ne suis pas favorable à ce qu’on oblige les jeunes médecins à s’installer dans tel ou tel territoire. Je préconise plutôt des mesures de régulation, via le conventionnement. C’est cette solution qui a été adoptée pour d’autres professionnels de santé comme les infirmières ou les kinésithérapeutes. L’idée est simple : un médecin ne pourrait s’installer dans une zone sur-dotée qu’à la condition de remplacer un confrère parti en retraite ou parti exercer ailleurs. En dehors de ce cas, s’il souhaite malgré tout s’installer dans cette zone déjà très pourvue en médecins, il pourrait le faire, mais sans être conventionné avec l’assurance-maladie. Ses patients, alors, ne pourraient pas être remboursés. Ces mesures ont permis d’augmenter de 30 % le nombre de kinésithérapeutes dans les zones sous-dotées.
Je ne fais pas partie de ceux qui estiment que les jeunes médecins ont une dette envers la société, leurs longues études étant financées en bonne partie par la puissance publique. Ces jeunes rendent déjà de grands services à la collectivité en travaillant beaucoup à l’hôpital durant leur internat pour quelques dizaines d’euros. Je comprends aussi qu’ils vivent mal la possible remise en cause de leur liberté d’installation. Mais au bout d’un moment, la notion d’intérêt général va s’imposer, car il n’est pas possible de n’avoir que des droits et aucun devoir.
Le problème est qu’on manque de courage politique face à ce problème. Même s’ils sont convaincus qu’il faut des mesures fortes, tous les responsables finissent par reculer par peur du lobby médical. À cause de cette idée que les médecins sont des relais d’opinion. Mais c’est oublier tous les Français qui vivent dans des déserts médicaux et qui, eux aussi, sont des électeurs.