Sonia de la Provôté, médecin, sénatrice du Calvados et élue à Caen ; et Philippe Vigier, biologiste, député d’Eure-et-Loir et élu à Cloyes-les-Trois-Rivières, ont accepté de répondre à nos questions sur les propositions liées au déconfinement.
#DiscoursÉdouardPhilippe
>> Que retenez-vous des annonces faites par le Premier Ministre ?
Sonia de la Provôté : Avant toute chose, il faut rappeler ce principe : le confinement est une mesure de santé publique pour protéger la population ; le déconfinement, lui, n’est pas une mesure sanitaire, c’est une mesure politique qui obéit à des objectifs différents. Le déconfinement, en ce qui nous concerne, c’est avant tout favoriser la reprise économique et de façon moins affirmée, en tout cas dans les propos tenus, rouvrir l’école pour ceux qui en ont besoin, et assurer un mieux-être social, particulièrement pour nos aînés.
À partir de là, le Premier ministre et le gouvernement se sont placés dans la situation du « moindre mal sanitaire » et ce à partir du 11 mai comme décidé par le Président de la République.
Philippe Vigier : Et c’est dans ce sens que le Premier Ministre a rappelé, et c’est un point positif, qu’il fallait de façon indispensable poursuivre la protection des populations (gestes barrières, dépistages plus nombreux soit 700.000/semaine, port du masque dans certaines conditions…). Chacun peut mesurer les avancées par rapport à il y a encore quelques semaines.
Sur l'école, les choses se sont un peu précisées mais la mise en place du volontariat tant pour les enseignants que pour les enfants va conduire à des difficultés d’organisation majeures pour les communes, les départements et les régions.
Pour les secteurs du tourisme, des cafés restaurants, des grands rassemblements, du théâtre, du cinéma, des événements culturels, pour l’instant pas de perspective. Ces activités économiques qui sont déjà en grande souffrance risquent tout simplement, pour une grande partie d’entre elles, de disparaître.
Sur les masques, les Français s’interrogent sur la façon dont ils pourront disposer des masques grand public puisque nos capacités de production ne sont pas à la hauteur des besoins attendus.
>> (à Sonia de la Provôté) Je vous sens plus sceptique ?
Sonia de la Provôté : Non, car il faut avancer et rester positif. Mais je veux bien rappeler que si le déconfinement est bien une décision politique, le virus et sa progression sont à la fois ses limites et sa réalité. Certes tout cela repose sur les citoyens, mais chaque décision nouvelle prise qui les concerne est aussi un nouveau risque pris pour eux.
#DeuxièmeVague
>> Justement, il résulte de ces annonces que le déconfinement sera plus long que prévu. Pourquoi ? Craignez-vous aussi une deuxième vague ? Quel est l’état de la pandémie à l’instant T ?
Philippe Vigier : Oui, le déconfinement sera plus long que prévu. Et pour une raison simple, c’est que les traitements efficaces n’existent pas encore (nous attendons toujours les conclusions de l’étude Discovery) et que les vaccins ne seront pas disponibles avant un an. La pandémie est en régression en France, comme en Europe et comme partout dans le monde, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une 2ème vague, c’est la raison pour laquelle il faut éviter la recrudescence de nouveaux clusters qui auraient pour conséquence d’essaimer à nouveau la maladie comme on a pu le voir avec Mulhouse.
Sonia de la Provôté : Cette date, ayons-le bien en tête, est quoi qu’il arrive une étape et tout le sujet du déconfinement va être conditionné par la capacité avec rigueur, clairvoyance et transparence qu’aura l’exécutif de se donner les moyens et la volonté d’un retour en arrière. En effet, une seconde vague et une situation sanitaire dégradée doivent être le baromètre des décisions prises pour déconfiner.
#DéconfinementTerritorialisé
>> La stratégie d’un déconfinement par département à travers l’établissement d’une carte des départements « verts » et « rouges » va-t-elle dans la bonne direction ?
Philippe Vigier : Traiter le déconfinement territoire par territoire va dans le bon sens mais il ne faut pas que les seules collectivités portent le coût et la responsabilité des décisions qui vont être prises. L’État doit donner la pulsion, définir un cadre, mais ne peut laisser les acteurs de terrain seuls face à ce fléau.
C’est la raison pour laquelle, le choix d’avoir des départements « verts » et « rouges » va dans le bon sens même s’il eut été intéressant qu’à l’intérieur d’un même territoire dans le même département, les modalités de déconfinement puissent être différenciées en remettant les collectivités au cœur de la décision en liaison avec l’Etat ou ses représentants…
Sonia de la Provôté : …et à l’aube du déconfinement force est de constater les carences d’une organisation trop centralisée, aux intervenants trop nombreux dans le domaine sanitaire, et qui ne communiquent pas toujours entre eux. Les trésors d’inventivité déployés par les élus locaux quelle que soit leur collectivité, leur agilité pour réagir et trouver des solutions montrent bien que c’est en local que tout cela se gère, encore faut-il que les consignes soient claires et que celles-ci soient assises sur une information scientifique transparente exhaustive et incontestable. Il faudra en tout cas tirer les leçons de ces dysfonctionnements et approximations.
>> Et sur l’établissement journalière d’une cartographie rouge et vert des départements ?
Sonia de la Provôté : Je rejoins l’avis de mon ami Philippe Vigier. L’épidémie étant à un stade très différent d’un territoire à l’autre, il était légitime et même souhaitable que la stratégie nationale se décline de façon différenciée au plan local à une échelle plutôt infra régionale.
Avec cependant une petite réserve sur le risque anxiogène que peut amener ce classement : anxiogène pour les départements rouges, et à fort risque de relâchement pour les départements verts. On peut voir le verre à moitié plein en se disant que les citoyens vont être motivés pour passer au vert, et naïvement se dire que cela renforcera le respect des mesures barrières. Mais le relâchement général constaté à l’annonce du 11 mai, le ras-le-bol du confinement long, la pression économique sur les entreprises et le besoin de travailler, le besoin de vie sociale vont être autant de facteurs interconcurrents qui font que rien ne sera absolu en la matière, loin de là.
#IsolationDesCasContacts
>> La mise en place de « brigades » pour identifier les cas contacts est-elle la bonne solution ? Qui les composera ? Qui va les former ?
Philippe Vigier : Incontestablement c’est une bonne solution car nous allons vivre avec ce virus pendant encore longtemps et surtout jusqu'à ce que l’on puisse connaître l’état immunitaire du pays (la protection par rapport à cette maladie qui se traduit par la présence d’anticorps). Il faut donc lutter contre une nouvelle dissémination du virus à partir de porteurs sains. Il faut donc les identifier.
Sonia de la Provôté : C’est là, à mon avis, dans cette mise en œuvre opérationnelle, que le bât blesse. Oui ces brigades chargées des enquêtes contacts sont plutôt, sur le principe, une bonne idée mais nous devons encore faire face à tellement d’écueils non encore résolus sur l’évaluation de la situation sanitaire comme la disponibilité incomplète des tests, le recensement non exhaustif des cas encore actuellement ou la déclaration non obligatoire de la maladie. Sans oublier la disponibilité incomplète des moyens de protection comme les masques, les surblouses, les lunettes, visières, gants et gels hydroalcooliques.
Philippe Vigier : N’oublions pas le tracking qui permettra justement de compléter cette évaluation de la situation sanitaire en suivant, sur la base du volontariat, celles et ceux qui ont été en contact avec des porteurs de la maladie. Mais pour cela il convient de veiller au respect des libertés individuelles et de faire en sorte que la mise en place de cette application garantisse la protection des données personnelles qui exige de solides garanties qui ne sont pour le moment pas au rendez-vous.
#RentréeScolaire
>> Sur la rentrée scolaire, on apprend finalement qu’a priori les lycées n’ouvriront pas et que l’incertitude est entière sur les collèges. Pourquoi tant de cafouillages sur le retour à l’école ? Est-ce lié à l’incertitude sur l’immunité des jeunes ?
Philippe Vigier : Effectivement la décision de faire rentrer les lycéens ne sera pas prise avant la fin du mois de mai. Sur la question des cafouillages, tout d’abord c’est parce que cela est très compliqué. Il y a à la fois la cantine, les transports, le scolaire et le périscolaire, bref beaucoup de paramètres à prendre en compte. Je le redis : la notion de volontariat a semé des troubles et beaucoup d’enseignants veulent rester chez eux car protection et distanciation sociale s’avèrent compliquées en milieu scolaire.
Sonia de la Provôté : Je vais être plus directe en posant cette question : veut-on une garderie dans les lieux scolaires pour permettre ainsi la reprise de l’activité économique ou veut-on l’école ?
Du point de vue éducatif on sait que des enfants et des jeunes (entre 5 et 8%) ont besoin de l’école en présentiel. D'autres moins, parce qu’ils ont chez eux les conditions pratiques et familiales pour suivre les programmes et avancer sans réel préjudice.
N’aurait-il pas fallu exclusivement gérer la question de ceux qui en avaient le plus besoin ? Aujourd'hui, les parents sont les inquiets, les professeurs ne se sentent pas prêts et les élus se sentent fragiles face à l’étendue des responsabilités et des risques pris...
Quant aux enfants pour le moment, vu les dernières nouvelles sanitaires, rien ne garantit non plus qu’ils soient protégés. Tout cela donne l’image de construire une architecture sur du sable... Parce que l’économie doit reprendre... Certes, mais dans ce cas il faut être franc sur les objectifs, plus précis, plus transparent.
>> Comment selon vous régler l’épineux problème de la sécurité sanitaire dans les transports ?
Sonia de la Provôté : C’est sûrement le point le plus délicat, car le principe de réalité va très vite se heurter aux exigences de distanciation sociale et des gestes barrières. Si on veut respecter ces principes dans un train, un métro ou un bus, il faut prévoir une baisse de 60% au moins des places.
Comment alors allier l’offre à la demande sauf à doubler les effectifs des rames ou des bus, ou à ce que chacun reprenne sa voiture alors que les moyens financiers des ménages ne le permettent pas, singulièrement en ce moment ?
Comment gérer l’affluence sur les quais, alors que même en période de confinement on a vu à quel point c’était insoluble…
Philippe Vigier : … en rendant le port du masque obligatoire, je ne vois pas d’autres solutions.
Sonia de la Provôté : Tu as raison mais est-ce suffisant ? Il faut le dire, l’épidémie n’est pas compatible avec les transports publics à moins de donner des moyens supplémentaires financiers à ceux qui les organisent, et encore, quand cela est techniquement possible (manque de chauffeurs, de matériel, surcharge des lignes ferroviaires.). Pour le moment, on fait comme si c’était possible...
Territoires ! / Les Centristes - 30 mai 2020