Mardi 28 juin, Philippe Vigier est intervenu à la tribune de l'Assemblée nationale au nom du groupe UDI dans le cadre du débat sur les conséquences du referendum britannique.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues,
Vendredi dernier, le vieux rêve de Victor Hugo, qui écrivait le 21 août 1849 : « Un jour viendra où vous France, […] vous Angleterre, vous Allemagne […] sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne », s’est fracassé sur le choix du Royaume-Uni.
Vendredi dernier, l’Europe a été tirée violemment de la torpeur dans laquelle elle se trouvait depuis trop longtemps. Vendredi dernier, la certitude de la construction d’une Union européenne irréversible, avec laquelle des générations entières d’Européennes et d’Européens ont grandi, a volé en éclats.
Ne nous y trompons pas : ce choix ne s’explique pas uniquement par des considérations internes au Royaume-Uni et par le coup de poker perdu de David Cameron, même s’ils ont lourdement pesé sur l’issue de ce référendum. Ce choix témoigne d’un rejet qu’il faut regarder avec lucidité : les peuples européens rejettent cette Europe sans âme, cette Europe technocratique, cette Europe élitiste dont le fonctionnement manque cruellement de transparence et de démocratie ; ils rejettent cette Europe qui ne se construit plus que sur des mauvais compromis, sur des divergences ou sur des ressentiments ; ils ne veulent pas de cette Europe qui nie son identité, abandonne ses racines et ses valeurs en accueillant la Turquie à bras ouverts. Non, ils ne veulent pas de cette trahison !
Les peuples ne croient plus en cette Europe, paralysée face à des familles de réfugiés charriées par milliers sur ses rivages – 4 000 encore vendredi dernier –, jetées sur les routes, faisant voler Schengen en éclats. Ils se désespèrent de voir cette Europe impuissante à apporter une réponse au chômage de masse et aux crises à répétition.
Disons-le sans détours : de renoncements en renoncements, le projet européen a été trahi, trahi et abandonné par les femmes et les hommes politiques qui, depuis trop longtemps, ont renoncé à porter un discours européen courageux et ont fait de l’Europe le bouc émissaire idéal de leurs échecs, l’abandonnant à des cohortes de technocrates coupés des réalités.
L’Europe, c’est avant tout le visage du couple franco-allemand : De Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl, Sarkozy-Merkel. Depuis quatre ans, elle n’a plus de visage, sinon celui de l’immobilisme car la France est inexistante, sans leadership, incapable de proposer un chemin pour l’Europe. François Hollande en est en partie responsable en ayant fait croire qu’il pouvait décider de tout et tout seul s’agissant de la renégociation du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, avant d’en renvoyer l’échec sur l’Union européenne.
Il a fragilisé le couple franco-allemand en jouant une partition de soliste qui a isolé la France. Il a mis à mal notre crédibilité en se montrant incapable de respecter les engagements budgétaires que nous avions pris auprès de nos partenaires européens. De surcroît, il a décidé que l’Union européenne ne méritait pas mieux qu’un secrétariat d’État alors même qu’il faudrait un ministre de plein exercice, à la mesure du rôle qu’elle joue dans le quotidien des Français.
Mes chers collègues, le départ du Royaume-Uni risque d’avoir des conséquences terribles que nous ne pouvons pas encore mesurer. Ce choix ouvre en effet une période d’instabilité pour l’Europe alors même que nous devons faire face à une menace terroriste et à une crise migratoire d’une ampleur inédite, alors même que nous sommes confrontés à une crise économique et sociale que le choix du Royaume-Uni pourrait aggraver puisque le cours de la livre sterling s’est déjà effondré et que la confiance des marchés va se fragiliser comme en témoigne la perte, hier soir, de son triple A.
Ce référendum a également ravivé les divisions en Angleterre, isolé l’Écosse et l’Irlande du Nord qui, par leur vote, ont montré leur attachement à l’Europe. Nous devons les entendre. Il s’agit même d’une obligation à laquelle l’Europe n’a pas le droit de manquer. L’Irlande sait ce qu’elle doit à l’Europe, qui l’a soutenue alors qu’elle était frappée de plein fouet par la crise financière.
Enfin, le choix du Royaume-Uni va entraîner une remise en cause sans précédent du projet européen en France, comme partout sur le vieux continent.
Pour éviter un incendie qui pourrait se propager aux Pays-Bas, en Suède, au Danemark, en Tchéquie, en Finlande, en Hongrie, en Pologne ou même en France, le divorce entre l’Europe et le Royaume-Uni doit être prononcé rapidement, sans marchandages interminables qui donneraient l’impression que le choix souverain du peuple britannique n’est pas respecté. On ne peut être in et out simultanément.
Pour autant, il n’y a aucune place, vraiment aucune, pour la panique ou pour la démagogie, eu égard à l’importance vitale des enjeux. Je tiens à dire à celles et ceux qui demandent un référendum en France sans proposer de nouveau projet européen qu’ils commettent une erreur, voire une faute car ce serait enterrer ce qui reste de l’Union européenne.
Nous savons tous que l’union libre qui liait le Royaume-Uni à l’Europe n’était en rien comparable avec le lien charnel qui unit celle-ci à la France et qu’une sortie de l’euro serait catastrophique pour les Françaises et les Français, en particulier les plus modestes.
N’oublions pas que le Royaume-Uni n’a jamais voulu de l’euro.
N’oublions pas les âpres négociations avec Margaret Thatcher ou les concessions toujours plus grandes accordées par François Hollande le 19 février.
Enfin, je le dis clairement, organiser aujourd’hui, en France, un référendum sur l’Union européenne permettrait aux extrêmes d’alimenter une confusion pernicieuse entre les carences actuelles, et réelles, de l’Europe et la construction européenne, dont les objectifs doivent être protégés.
La décision du Royaume-Uni a au moins eu le mérite de clarifier ce débat et de dessiner clairement les contours de trois camps : le camp de la nostalgie et du repli, défendu par les extrêmes de tous bords, qui proposent à la France un scénario dont même l’extrême gauche grecque n’a pas voulu ; le camp de ceux qui croient en une Europe qui ne serait qu’un vaste marché déréglementé, dont nous connaissons les limites et les effets pervers ; enfin, le camp, auquel notre groupe appartient et qui rassemble ceux qui sont viscéralement attachés à l’Europe, pour qui le fédéralisme n’est pas un gros mot, pour qui l’Europe n’est pas un renoncement à la souveraineté mais, au contraire, une souveraineté renforcée et une affirmation plus forte de la place de la France dans le monde.
Oui, en dépit de ses carences, l’Europe reste pour nous la seule voie pour la France. Seule, comment cette dernière pourrait-elle assurer la sécurité des Françaises et des Français face au terrorisme ? Seule, comment pourrait-elle peser sur des décisions qui engagent l’avenir des peuples de tous les continents et où s’entremêlent des enjeux démographiques, sécuritaires, économiques, sociaux, culturels et écologiques ? Seule, comment pourrait-elle tirer son épingle du jeu de la mondialisation ? Elle ne le pourrait pas, contrairement à ce qu’affirment les populistes de tous bords ! C’est pourquoi il faut avoir le courage de dire haut et fort que les véritables patriotes sont européens !
Oui, il faut avoir le courage de dire haut et fort que notre faiblesse n’est pas l’Europe, mais l’absence d’Europe, progressivement devenue le jouet des égoïsmes nationaux. Nous ne voulons plus d’une Europe technocratique et tatillonne mais d’une Europe recentrée sur des enjeux majeurs, qui affirme son identité et défende ses valeurs, bref une Europe politique.
Pour en finir avec la dilution de l’identité européenne, disons clairement que la Turquie ne devra jamais entrer dans l’Union européenne.
Nous voulons une Europe qui protège ses citoyens contre les dérives de la mondialisation, et non pas une Europe qui les expose toujours plus à la précarité et au chômage. Nous voulons une Europe qui protège ses entreprises, comme le fait la Chine, comme le font les États-Unis, et non pas une Europe de la concurrence déloyale. Nous voulons une Europe qui préserve nos modèles sociaux de l’implosion parce qu’elle fait respecter ses frontières, et non pas une Europe passoire qui confie la gestion de ses frontières à la Turquie.
Nous voulons une Europe démocratique, transparente, une Europe qui rende des comptes.
Nous ne voulons pas d’une Europe qui, dans le secret des conclaves et des négociations, impose à ses peuples une course effrénée à la mondialisation, comme cela se profile avec le TAFTA ou le CETA , sans même consulter les parlements nationaux, ce qui est un déni de démocratie !
Nous voulons une Europe conquérante, une Europe efficace, pas une Europe des déclarations d’intention, qui se mêle de tout sauf de ce qu’elle devrait décider, intervenant sur le calibre des pommes ou la taille des filets de pêche. C’est pourquoi le groupe de l’Union des démocrates et indépendants veut écrire une nouvelle page de l’Europe, celle de l’Europe des résultats, celle de l’Europe de la confiance, avec un nouveau projet politique.
Mes chers collègues, il y a urgence si on veut éviter un délitement de l’Europe. Il est totalement irréaliste de prétendre qu’un nouveau traité pourrait être rapidement conclu. François Hollande doit donc se lancer dans un tour d’Europe pour obtenir la signature d’un accord intergouvernemental, qui permettra d’avancer, avec un noyau dur d’États membres, sur quatre priorités : une politique étrangère et de défense commune s’appuyant sur une force d’intervention européenne – jusqu’à présent, nous avons toujours échoué dans ce domaine – ; une politique commune de sécurité intérieure, avec la création d’une police européenne et un échange automatisé d’informations entre les services de renseignements européens.
Les attentats qui ont frappé la France et la Belgique en ont démontré la pertinence. L’adoption d’un recueil de données des dossiers passagers, ou PNR, même partiel, à l’initiative de la France, n’est qu’un premier pas dans ce sens. Il faut également une politique migratoire et d’asile commune, passant par le recensement de nos besoins démographiques et économiques, par une convergence entre les systèmes de traitement des demandes d’asile et par la lutte contre l’immigration illégale.
Il faut enfin un gouvernement économique, animé par les chefs de gouvernement, sous le contrôle des parlements nationaux, pour faire de l’Europe un levier de croissance, un gisement d’emplois, via une nouvelle politique agricole commune à même de valoriser une agriculture exceptionnelle et une nouvelle politique industrielle, de recherche et d’innovation pour créer de nouveaux emplois dans les domaines de la transition écologique, du numérique, des transports, de la santé et des biotechnologies.
En parallèle, nous devons associer les peuples d’Europe à cette refonte du projet européen. Depuis trop longtemps, l’Europe s’est construite en ignorant les peuples. Disons-le sans détour : plus rien ne se fera tant qu’on n’aura pas regagné leur confiance. C’est pourquoi nous voulons une Europe pour eux et avec eux !
Je propose par conséquent qu’une consultation citoyenne soit lancée dans toute l’Europe, que chacun des parlements nationaux apporte une contribution à ce débat européen et qu’il soit associé aux négociations relatives au départ des Britanniques. Ces contributions, qui viendraient enrichir l’accord de coopération fédérale, constitueraient la base des négociations entre les États membres dans la perspective d’une nouvelle Constitution européenne. Notre groupe souhaite que cette Constitution permette enfin à l’Union européenne de se choisir un président de manière démocratique. Je souhaite qu’un référendum soit ensuite organisé pour consulter les peuples européens simultanément dans tous les États membres.
Enfin, pour que le projet européen trouve un second souffle, il devra s’adresser en priorité à la jeunesse, qui croit encore en l’Europe, comme les résultats du référendum au Royaume-Uni l’ont démontré, et sans laquelle l’Europe ne pourra pas se relever.
L’Europe doit par conséquent prendre des initiatives d’une ampleur inédite pour favoriser la mobilité des jeunes en Europe, à l’image de ce qu’Erasmus a formidablement réussi, mais aussi faciliter la création de nouvelles filières créatrices d’emplois et poser les jalons d’une politique de citoyenneté et d’une culture européennes à part entière.
Oui, nous devons adresser un message d’espoir à notre jeunesse, qui est désormais dépositaire de l’héritage de Robert Schuman et de Jean Monnet, la gardienne de nos valeurs et de notre identité, et qui, comme l’Europe, a l’âge de tous les possibles.