Charles de Courson est un député extraordinaire. Appartenant à une famille toujours présente à l'Assemblée nationale depuis la Révolution, il fait partie de ces figures de la République dont l'histoire est dans la droite ligne de l'Histoire de France. Fervent opposant à l'article 2 de la loi anticasseurs qu'il considère être "un retour au régime de Vichy", le journal Le Monde lui consacre un portrait. Retour sur un député "en résistance parlementaire."
Charles de Courson en résistance parlementaire
Son Benalla à lui, c’est le projet de loi anticasseurs, qui sera examiné au Sénat en deuxième lecture à partir de mercredi 6 mars. Le 30 janvier, les députés débattent de la disposition la plus contestée de ce texte : l’interdiction administrative de manifester confiée aux préfets au détriment de l’autorité judiciaire. « Mais où sommes-nous, mes chers collègues ? C’est une dérive complète. On se croit revenu sous le régime de Vichy ! », s’insurge le centriste dans l’Hémicycle. Exclamations sur les bancs de La République en marche (LRM).
Assis à côté de lui, Jean-Michel Fauvergue, l’ancien patron du RAID devenu député macroniste, proteste. Hors micro, les deux hommes continuent de s’invectiver. Les bras de Courson font des tourniquets. « Je lui ai dit : “Ici, tu es député de la nation, pas flic !” », se souvient le Marnais.
Ceux qui le côtoient ont vu ce jour-là monter en lui une colère qu’ils connaissent par cœur. « De temps en temps, ça le prend, et on est tous en panique ! », raconte, hilare, Valérie Rabault, la présidente du groupe socialiste de l’Assemblée, qui le fréquente depuis sept ans à la commission des finances. C’est qu’à 66 ans, M. de Courson est plutôt réputé modéré. « De sa part, on s’attend à plus de retenue »,reconnaît Saïd Ahamada, député LRM qui le côtoie également en commission. Les macronistes connaissent davantage sa rigueur budgétaire et ses interrogatoires acérés de ministres que sa casquette de républicain écorché vif.
Une posture nourrie par son héritage familial, dont l’histoire est en osmose avec celle de la France. « Depuis la Révolution, il y a toujours eu un membre de sa famille élu à l’Assemblée », rappelle admirative Valérie Rabault. L’un de ses ancêtres, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, a voté la mort du roi en 1793. Un autre, son arrière-grand-père, a battu le dernier député royaliste du département du Doubs, en 1889.
L’histoire récente de ses aïeuls porte surtout son lot de héros de guerre. Un grand-père paternel, capitaine mort au front en 1916 dans la bataille de la Somme. Une grand-mère paternelle morte en déportation à Ravensbrück. Elle a été arrêtée en 1943 en lieu et place de son fils, Aymard de Courson, résistant du réseau Prosper. C’est à lui que son fils, de son vrai nom Charles-Amédée du Buisson de Courson, a pensé au moment de prendre la parole le 30 janvier. Mais surtout à Leonel de Moustier, son grand-père maternel. En 1940, le marquis fut l’un des 80 députés qui ne votèrent pas les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Entré dans la Résistance, il refusa de quitter la France pour rejoindre de Gaulle car « la guerre ne se gagne pas à Londres » et mourut d’épuisement dans un camp de travail en Allemagne, quelques mois avant l’armistice.
Charles de Courson, né en avril 1952, ne l’a jamais connu, mais porte haut le flambeau familial, transmis notamment par sa mère, récemment disparue. Systématiquement, l’évocation de cette histoire lui serre la gorge et le met au bord des larmes. « Mon père a toujours été méfiant à l’égard de ceux qui remettent des pouvoirs dans les mains des préfets », explique-t-il pour justifier sa prise de position sur le projet de loi anticasseurs.
« Ma référence à Vichy a choqué, volontairement. Mais Vichy, c’est quoi ? C’est un régime où l’on suspend le Parlement et où l’on vide l’autorité judiciaire que l’on transfère vers le pouvoir exécutif. Avec ce texte, c’est la même dérive ! » Une comparaison « choquante », lui a rétorqué Christophe Castaner lors des questions au gouvernement, le 20 février : « Monsieur le député, je n’accepterai pas (…) de recevoir des leçons de République. » Juste avant, le ministre de l’intérieur venait pourtant de rendre hommage à une « qualité essentielle » de l’élu : sa « sincérité ».
Depuis sa première élection à l’Assemblée en 1993, Charles de Courson a déployé sa palette de député « moine-soldat », « stakhanoviste » mais aussi « imprécateur », « croisé », « Fouquier-Tinville », « chevalier blanc » ou « Saint-Just », tel que le décrivent un quart de siècle de portraits dans la presse. En tant que parlementaire, il a ferraillé aussi bien contre les avantages sociaux en Corse que contre l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie dans l’affaire du Crédit lyonnais.
En 2013, il préside la commission d’enquête Cahuzac où il subit les mêmes foudres que les sénateurs aujourd’hui dans l’affaire Benalla, accusé d’utiliser son rôle à des fins politiques. Un esprit libre, à qui certains reprochent de s’être cantonné au rôle de « poil à gratter » parlementaire, mais rarement aux responsabilités au niveau national.
Charles de Courson le reconnaît, il a « parfois du mal avec l’autorité ». L’une des raisons selon lui pour lesquelles il n’aurait pas pu entrer dans l’armée comme ses aïeuls. « Enfant, j’étais le grand organisateur des chahuts, celui qui n’était jamais pris », confie-t-il. Dans ses années « Salut les copains », l’adolescent avait organisé un réseau radio et un bar clandestin dans son lycée. Mais son passé yéyé n’a jamais fait plier ses convictions conservatrices sur les questions de société, hostile au mariage homosexuel et à la procréation médicalement assistée pour les couples lesbiens.
En politique, cet énarque sorti major de l’Essec navigue au centre, de l’UDF à l’UDI, entre François Bayrou et Hervé Morin. « Soyez autonomes, ne vous laissez pas avoir par des coups de vent ! Ayez une boussole et tenez-vous y. Ne soyez pas comme tous ceux qui votent n’importe quoi », implore-t-il ses jeunes collègues de la majorité. « Les réveiller, c’était le but ! », insiste-t-il en revenant sur sa déclaration du 30 janvier.
En 2019, les images vont plus vite qu’en 1993. Son coup de clairon a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Même s’il ne rechigne pas à répondre aux caméras et si ses passages médias sont recensés sur son compte Twitter, M. de Courson n’aime guère la célérité des nouvelles technologies. Il n’a jamais envoyé un SMS – « Mes nièces ont essayé de m’apprendre. Elles n’ont pas réussi. »
Sur son bureau au Palais-Bourbon, son ordinateur prend la poussière. « Moi, les machins virtuels ce n’est pas mon truc. Il y a aujourd’hui une forme de décérébration, avec ce brouhaha, l’information en continu… » « On n’en fait plus des comme lui, on n’était même pas nés quand il a été élu ! », s’esclaffe un député LRM, pourtant quadragénaire.
Lui, le fils d’aristos, s’agace de l’« arrogance de Macron qui s’est dit maître du temps », qui « ne connaît pas son peuple » et « n’a aucune dimension sociale ». « J’ai beau venir de la haute aristocratie, j’ai vu des copains commencer à travailler à 14 ans », s’emporte-t-il. Dans son fief de la Marne, à Vanault-les-Dames, dont il a été maire pendant trente et un ans à la suite de son père, certains anciens camarades de classe continuent de l’appeler « Charlot ».
« Il est comme moi, démoralisé par l’accumulation d’amateurisme, de superficialité, le manque de conviction et de colonne vertébrale de la majorité », souffle son ami le député LR Gilles Carrez. « Quand vous avez affaire à des gens aussi béni-oui-oui et que vous êtes un vieux briscard comme lui, je pense qu’il le vit comme une régression de l’Assemblée », ajoute Stéphane Peu, député PCF de Seine-Saint-Denis.
« C’est dans des périodes tragiques que vous voyez ceux qui ont un peu de fond et pas que de l’écume. Dans le monde politique, dans les moments de drame, les gens préfèrent souvent leur survie personnelle », tranche M. de Courson en repensant à ses ancêtres. Son coup de gueule a d’ailleurs pesé lourd chez certains députés de la majorité. « Il a fait vaciller les esprits, ça a créé des interrogations », reconnaît un député MoDem. Cinquante députés LRM se sont abstenus en premier lecture sur le projet de loi anticasseurs. Lui a voté contre.
Les sénateurs doivent examiner, mercredi 6 mars, en commission, la proposition de loi anticasseurs en deuxième lecture. Celle-ci devrait être adoptée « conforme » : les sénateurs ne modifieront pas ce qu’ont voté les députés. Devrait être ainsi voté ce texte rédigé initialement par Bruno Retailleau, le chef du groupe Les Républicains du Sénat, et repris à son compte par le gouvernement, en réponse aux violences des « gilets jaunes ». Même si les députés en ont modifié le contenu en première lecture, le débat à l’Assemblée avait fortement divisé la majorité. Plusieurs élus de La République en marche ont estimé que le texte porte atteinte aux libertés publiques. Les députés socialistes envisagent d’ores et déjà de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel.
Source : Le Monde du 6 mars 2019.