De retour d’Australie ce matin même je suis heureux de vous retrouver dans ma commune.
Merci vraiment d’être présent ce matin à Epaignes, en cette terre de Normandie, qui dois-je le rappeler a été la seule à conquérir l’Angleterre dans l’histoire, dans cette commune dont le nom lui-même est le fruit d’une période de l’histoire européenne, celle des croisades, puisque c’est Roger de Tosny, grand comte de Normandie qui créera cette paroisse en mémoire d’une croisade victorieuse contre les Maures en Espagne, le nom dérivant ensuite à travers les siècles pour devenir Epaignes.
Un Mot tout d’abord sur le carrefour des centres.
Cette initiative, fruit de plusieurs conversations avec Jean-pierre Raffarin, absent de dernière minute compte tenu de l’horizon sénatorial immédiat, mais aussi des discussions avec Hervé Novelli et Jacques Barrot, repose sur une idée simple : celle de faire débattre, réfléchir ensemble des femmes et des hommes qui ont eu des chemins politiques différents depuis dix ans, mais qui se reconnaissent tous, dans ce courant de pensée, humaniste, libéral et européen.
Cette famille de pensée est aujourd’hui éclatée.
Elle ne se retrouvera pas de sitôt car vous le savez comme moi, les recompositions politiques interviennent soit lorsqu’elles prennent acte d’un nouveau rapport de force électoral – je pense à 2002 – soit le plus souvent au moment d’alternance politique forte ou de bascule générationnelle – je pense à celle de Valéry Giscard d’Estaing ou à celle de Nicolas Sarkozy.
Même si cette recomposition n’est probablement pas pour demain, il nous appartient par ces débats, par ces rencontres de faire vivre cette famille de pensée issue de Tocqueville, de Benjamin Constant, d’Alain, du solidarisme de Léon Bourgeois et du personnalisme chrétien et dont l’UDF avait su réaliser une formidable synthèse politique.
Cette famille est une constante de la vie politique française et finira bien par retrouver la place qui était la sienne.
Peu importe si les vents contraires de ces derniers jours nous ont amenés à perdre quelques uns de nos intervenants issus de cette famille – je ne parle pas de Valéry Giscard d’Estaing qui est en Allemagne pour un rendez-vous avec Angela Merkel - mais le seul fait qu’ils aient d’abord dit oui démontre la pertinence de cette démarche.
Le fleuve de la famille européenne, libérale et humaniste finira bien par emporter les multiples affluents qui se cherchent et c’est en la faisant vivre intellectuellement qu’elle retrouvera sa place comme une évidence, comme le nez au milieu de la figure.
Ceci étant dit, parlons de notre sujet, parlons d’Europe.
Et parlons d’Europe au moment de la ratification du traité de Lisbonne au moment de la présidence française et à 9 mois des élections européennes. Je voudrais pour introduire cette journée partir d’un constat simple et qui ne mérite pas de longs développements.
L’Europe est en crise, non pas l’idée européenne,
et les sondages en témoignent.
80 % des Européens veulent par exemple que l’Europe prenne en main des sujets majeurs comme la défense ou l’environnement.
Mais elle vit une vraie crise, une crise de confiance dans sa façon de se construire ;
L’idée est toujours populaire mais la méthode européenne est majoritairement rejetée.
Ce n’est pas par hasard si deux pays fondateurs de la communauté européenne ont rejeté le traité constitutionnel et si il y a quelques mois, l’Irlande, qui a tellement profité de l’Union européenne pour son développement, ait dit non au Traité de Lisbonne.
On y cherche à chaque fois des causes nationales, mais les causes sont selon moi avant tout européennes car l’Europe, pendant des décennies, a su transcender les états d’âme nationaux et les difficultés politiques des gouvernants.
Ce n’est pas par hasard, car l’Union européenne, tant enviée à l’extérieur, si critiquée parfois à l’intérieur, tant on la transforme souvent en bouc émissaire de nos maux, connaît cinq faiblesses majeures :
- Elle n’est pas assez démocratique car elle n’est pas assez politique
- Elle a confondu vitesse et précipitation en s’élargissant avant d’avoir transformé ses institutions pour mieux fonctionner
- Elle ne protège pas assez et est vécue comme le cheval de Troie de la concurrence pure et parfaite en Europe dans un monde globalisé
- Elle ne projette pas, elle ne porte pas, elle ne défend pas assez son modèle qui a pourtant réalisé la plus belle des synthèses pour l’Homme entre liberté et solidarité, entre égalité et respect de la diversité
- Elle souffre enfin d’une absence de perspective sur son projet final ; c’est notamment tout le débat sur ce que l’on veut faire de l’Europe, débat soigneusement éludé par les leaders européens de peur de se fâcher.
L’Europe est pourtant une formidable réussite mais on ne retient que ce qui ne va pas.
L’Europe est une école de paix et de stabilité garantie par le droit,
L’Europe est une immense puissance commerciale et normative,
l’Europe a réussi la sortie de l’Europe de l’Est du communisme, et ce n’était pas un petit enjeu.
L’Europe est une puissance technologique et intellectuelle,
Et pourtant, tout cela n’apparaît plus assez aux yeux des Européens, et même mieux encore, on fait porter à l’une des plus belles réussites de la construction européenne – notre monnaie, l’Euro – nos difficultés commerciales, le regain d’inflation, en oubliant le formidable bouclier qu’il peut être face à des matières premières en hausse et surtout pour protéger des pays - dont la France - de leur impéritie budgétaire.
Le déficit démocratique tout d’abord :
L’Europe a tout fait pour devenir une construction démocratique, ses institutions sont exemplaires :
- Une charte des droits fondamentaux
- des élections européennes,
- un parlement qui a un rôle législatif que pourraient
envier nombre de parlements nationaux,
- un réel contrôle de la Commission,
- un pouvoir budgétaire sans cesse plus grand puisque l’abolition de la distinction entre dépenses obligatoires et dépenses non obligatoires va donner, avec le Traité de Lisbonne, au Parlement européen, un pouvoir complet sur la totalité du budget,
- et même peut-être bientôt un droit d’initiative pour les citoyens européens
Et pourtant trop de nos compatriotes ont le sentiment que ce qui se passe à Bruxelles se déroule loin d’eux, dans le secret de couloirs qui leur échappent.
Pour y remédier, il faut selon moi mettre plus de politique au sein de l’Union.
Ce qui est en cause, ce n’est donc pas tant la légitimité des institutions que l’absence de vie politique européenne, à l’instar de ce que nous connaissons dans nos démocraties nationales.
Il faut qu’il y ait un vrai débat en Europe, sur ce que les Européens veulent comme politique.
La veulent-ils plus sociale, plus libérale, plus conservatrice ?
Veulent-ils consacrer plus d’argent à la défense européenne, à la protection de l’environnement ou à la recherche ?
Il faut qu’à travers le suffrage des Européens émerge d’une façon ou d’une autre, une majorité ayant clairement un mandat pour infléchir la politique européenne en fonction de ce que veulent les Européens et non pas en fonction de ce que veulent la Commission et les Etats membres.
L’Europe est malade de son obsession du consensus.
Nous faisons fausse route en pensant que la post-modernité démocratique est le consensus.
Au contraire, l’Union a besoin de clivage politique, de confrontations, d’une majorité et d’une opposition.
C’est indispensable pour que les électeurs puissent mesurer le sens et la portée de leur vote.
On ne peut pas d’un côté se lamenter sur le taux de participation aux élections européennes qui décline à chaque scrutin depuis 30 ans, sur leur nationalisation et de l’autre se satisfaire de l’idée que, quels que soient les résultats des élections, la politique menée à Bruxelles sera toujours la même.
Pour cela, je fais une proposition : qu’un jour nous présentions aux Européens dans un scrutin qui aurait lieu le même jour, de vraies listes européennes totalement transnationales composées d’autant de candidats qu’il y a de sièges au parlement. Il appartiendra aux juristes de veiller à ce que des gardes fous et des filets de protection permettent à tous les pays d’être représentés même les plus petits.
Je ne crois pas en revanche à l’idée de l’élection d’un président de l’Europe au suffrage universel pour deux raisons :
- la première c’est qu’elle est étrangère à la tradition de la plupart de nos partenaires qui ont des régimes purement parlementaires,
- la deuxième, c’est qu’un tel saut politique à 27 est impossible.
Second problème, l’Europe a confondu vitesse et précipitation en continuant l’élargissement sans réviser ses institutions.
Sur cette question, le président de la République a raison : il ne saurait y avoir de nouvel élargissement si le traité de Lisbonne n’est pas en vigueur.
Il suffit de participer à un conseil des ministres européens pour comprendre à quel point il nous faut des institutions plus performantes, nous permettant de prendre des décisions plus rapidement.
La publicité sera désormais donnée aux réunions des conseils des ministres lorsqu’ils délibèrent sur des textes et c’est une bonne chose.
ça les obligera à sortir des 27 monologues déclaratoires préparés par les diplomates.
Enfin, il est évident que sur nombre de sujets, la capacité des Etats membre à évoluer au même rythme est du domaine de l’impossible.
Même si cela ne règle pas tout, le lancement des coopérations structurées renforcées est absolument indispensable.
De même l’Europe devra se doter - pour être efficace - d’un budget digne de ce nom fondé sur de véritables ressources propres – nous ne lui accordons que 1% de notre richesse alors que nous ne cessons de la solliciter.
Osons parler d’un impôt européen à pression fiscale constante pour les citoyens.
Voilà une initiative qui participerait à l’émergence d’une citoyenneté européenne et qui nous sortirait d’une logique de tiroir-caisse et de comptes d’apothicaires dont seule l’Europe a le secret.
3ème sujet : L’Europe comme bouclier contre la mondialisation ne rassure plus grand monde, pire encore, elle apparaît elle-même promoteur de la concurrence érigée en dogme voire en idéologie alors que le contrat collectif européen est fondé sur l’économie sociale de marché.
L’Europe doit afficher la couleur et se fixer comme mission de protéger les Européens des effets néfastes de la globalisation.
L’Europe ne doit pas empêcher la consolidation de secteurs économiques, d’entreprises au nom de la concurrence pure et parfaite.
- Je ne comprends pas quelles sont nos réticences sur l’instauration de la préférence communautaire pour certains secteurs sans bien entendu transformer l’Union en un bastion protectionniste !
- Je ne comprends pas pourquoi nous accepterions sur notre marché des fruits et légumes produits avec des pesticides que nous interdisons à nos producteurs d’utiliser pour des raisons de santé publique !
- Je ne vois pas pourquoi nous nous priverions d’un small business act en Europe en vertu de règles de l’OMC alors que les USA disposent d’un tel instrument pour le développement de leur PME.
- Je ne comprends pas pourquoi l’instauration d’un marché unique, la protection du consommateur final face aux situations monopolistiques doit nous empêcher de mener une politique industrielle permettant la construction de grands groupes à l’échelle mondiale.
- Enfin je ne comprends pour quoi nos importations ne seraient pas soumises à un niveau minimum de règles pour lutter contre le dumping social qui prend parfois des formes scandaleuses pour assurer la protection de l’enfance et pour garantir les droits les plus fondamentaux de la personne humaine.
Mais au de-là de ces sujets, l’Europe doit nous protéger des dépendances qui menacent notre économie.
Je pense à l’énergie.
C’est d’une communauté européenne de l’énergie dont nous avons besoin aujourd’hui, à l’instar de la CECA dans les années 50. Sur une base volontaire, les pays qui le souhaitent devraient constituer entre eux une sorte de « Shengen » de l’énergie fondé sur trois principes :
- Le respect de la subsidiarité qui signifie que les Etats restent maîtres de leur choix énergétiques mais que ces choix convergent vers la création d’un bouquet énergétique européen.
- La sécurisation des approvisionnements, ce qui suppose de diversifier nos sources et de définir le cadre politique et juridique des relations que nous entretenons avec les pays fournisseurs.
- La solidarité entre les pays signataires qui suppose la définition d’un mécanisme d’assistance mutuelle en cas de rupture d’approvisionnement.
Gérard Mestrallet nous dira ce qu’il en pense.
J’évoquerai cet après-midi la construction de l’Europe de la défense dans la table ronde qui y est consacrée.
Je sais que l’Europe s’est construite sur le refus de la force mais elle ne peut pas rester dans un tel état de faiblesse sans courir de grands risques dans un monde qui se réarme. Il s’agit aussi d’un sujet capital pour la préservation d’un secteur industriel fondamental pour notre indépendance et riche de technologies duales.
Une Europe qui se protège c’est bien, mais une Europe qui se projette c’est encore mieux et qui ambitionne d’être un acteur mondial de premier plan défendant son modèle économique et social différent des autres modèles des grands Etats de la planète.
C’est le 4ème sujet que je voudrais aborder :
Regardez ce que nous sommes en passe de réussir avec l’Union pour la Méditerranée !
Pour la première fois, grâce à l’impulsion donnée par le Président de la République, nous avons réuni à Paris, le 13 juillet dernier, autour de la même table, l’ensemble des dirigeants des pays riverains de la Méditerranée et de l’Union européenne.
Après tant d’années d’enlisement du processus euro-méditerranéen, nous allons enfin dessiner ensemble un nouvel horizon. C’est autour de projets concrets – je pense en particulier à la dépollution de la mer méditerranée, notre patrimoine commun – que nous réussirons à créer des solidarités de fait.
L’Union pour la Méditerranée, c’est une vraie rupture car enfin, nous allons parler d’égal à égal entre les deux rives de la Méditerranée. Nous allons décider ensemble de notre avenir commun pour faire de cette région du monde un pôle de stabilité, de démocratie et de prospérité.
En un demi siècle, nous avons bâti un modèle européen qu’il nous appartient de promouvoir dans la mondialisation. L’Europe, ce n’est pas seulement un projet pour les Européens, c’est aussi un projet pour le monde. Nous sommes porteurs d’une vision solidaire et coopérative de l’organisation du monde.
Prenez l’exemple de la lutte contre le réchauffement climatique. L’Union européenne est à l’avant-garde d’un combat majeur pour l’avenir de la planète.
La diplomatie environnementale européenne a apporté la preuve de son influence en faisant bouger les lignes, en particulier face aux Etats-Unis.
Mais l’Europe est aussi en première ligne sur de nombreux autres fronts : la promotion de la diversité culturelle et linguistique, la régulation de la mondialisation, la reconnaissance de normes sociales internationales, le dialogue des cultures et des civilisations et en même temps l’Europe qui consacre trois fois plus d’argent à l’aide au développement que les Etats-Unis ne sait pas assez en faire un vecteur de promotion de notre modèle.
Pour remporter ces combats, l’Europe doit se donner les moyens de son influence, en particulier au sein d’un système international en quête d’une nouvelle légitimité.
Est-il concevable par exemple que nous soyons encore en ordre dispersé à la Banque Mondiale et au FMI ? L’Union dispose d’une monnaie unique, mais toujours pas d’une représentation commune dans les institutions financières de Bretton Woods !
C’est invraisemblable. Or nous ne pèserons sur l‘évolution de ces institutions que si nous parvenons à nous exprimer d’une seule voix.
L’Europe est un exemple pour le monde. Nous avons su construire une organisation collective et solidaire entre les Etats qui cherche à faire primer l’intérêt général sur l’égoïsme des Nations.
Si nous sommes unis, si nous avons les instruments nous permettant d’être efficaces, nous pourrons le faire partager à un monde qui n’a pas encore compris que la compétition forcenée entre les Etats, dans un monde fini, pouvait nous mener à notre propre perte.
5ème et dernier point, les perspectives européennes qui nous manquent cruellement.
C’est toute la question de ce que nous voulons pour l’Europe, une zone de libre échange, ou la construction d’une puissance, l’un n’étant pas d’ailleurs incompatible avec l’autre. Victime de son succès la paix, la prospérité, l’Europe se cherche un nouveau projet ambitieux.
C’est notamment dans cette perspective que se pose la question des frontières de l’Union. L’Europe ce n’est pas seulement la péninsule asiatique qui aurait certes une frontière au nord, une frontière à l’ouest, une frontière au sud délimitée par les mers et les océans mais dont la frontière à l’est serait impossible à déterminer.
L’Europe par sa réalité historique et culturelle a ses frontières quoiqu’en disent les géographes.
Je n’insiste pas, c’est un sujet dont nous avons tellement parlé ces dernières années.
Mais si l’Europe est un héritage, nous avons des frontières, et si l’Union est un projet, nous devons avoir des frontières.
Et cette question ne se pose pas uniquement pour la Turquie, elle se posera aussi pour l’Ukraine autant tournée vers l’est que vers l’ouest ou pour le Caucase.
Et pour moi c’est très clair, l’Europe doit se fixer des frontières pour ne pas se diluer en une organisation sous régionale, principalement chargée de la régulation du commerce et du développement.
Cette question résolue, il nous appartiendra de déterminer si le modèle européen en construction est capable de nous porter vers une fédération d’Etats et de citoyens unis au plan politique comme le voulait robert Schuman.
Face au défi permanent de l’élargissement, l’alternative pour l’union européenne est
- soit la dissolution,
- soit l’intégration.
Et je sais bien que l’intégration n’est pas souhaitée par tout le monde. Les instruments du traité de Lisbonne et les coopérations renforcées ne suffiront pas à remplir notre objectif d’une union politique, d’une union des peuples toujours plus poussée.
Il nous faudra selon moi s’engager dans la création par un certain nombre d’Etats d’une avant-garde ou d’un centre de gravité – pour reprendre une expression de Jochka Fischer – qui par un nouveau traité seront prêts à emprunter résolument le chemin de l’intégration politique.
Ils seront au sein de l’union européenne mais ils auront leurs propres institutions pour construire un fédéralisme sui generis respectant les Etats nations mais permettant à l’Europe de tenir son rang et de faire preuve d’un vrai leadership dans le monde.
En conclusion Mesdames et Messieurs,
J’ai souvent le sentiment que l’Europe n’est plus une ambition. Nous donnons tellement l’impression qu’une profonde résignation s’est emparée de nous.
Et pourtant faire avancer l’Europe à la mesure des défis qui sont devant nous c’est le meilleur moyen pour préserver notre souveraineté et pour assurer à la France et aux Français la place qui est la nôtre dans le concert des nations.
L’Europe demeure pour moi la plus belle des espérances.
Je vous remercie.