Dans la foulée du rapport Lasserre sur la régulation du cinéma, et quelques jours après le rapport du sénateur Karoutchi qui préconise de baisser le soutien public à la filière, une mission de la commission Culture du Sénat évalue à son tour la situation et fait ses propositions pour un « art majeur qui a de l’avenir ».
Alors que le 7e art n’a « jamais paru si questionné et menacé », la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a confié à Céline Boulay-Espéronnier (Les Républicains), Sonia de La Provôté (Union Centriste) et Jérémy Bacchi (Communiste républicain citoyen et écologiste), accompagnés du président de la commission Laurent Lafon (Union centriste), une nouvelle mission d’information sur la filière cinéma. Quand le sénateur Roger Karoutchi pointait la semaine dernière « L’itinéraire d’un art gâté » les trois rapporteurs saluent « la résilience et l’exception culturelle d’un art majeur », qui « a devant lui un grand avenir, sous réserve qu’il parvienne à s’adapter à la nouvelle donne technologique ». Sans remettre en cause notre écosystème unique au monde, ils préconisent d’adapter les mécanismes de soutien du CNC, le « bras armé du soutien public », pour des productions mieux financées et distribuées, pour une meilleure diffusion de la diversité… et pour « faciliter la vie des exploitants ».
Ils formulent à leur tour 14 propositions, adoptées ce mercredi 24 mai par le commission, et entendent déposer une proposition de loi pour les mettre en application le plus rapidement possible.
Rencontre avec les 3 sénateurs auteurs du rapport :
Adapter les mécanismes de soutien pour assurer des productions mieux financées
Si la détermination d’un « bon » nombre de films est illusoire, les rapporteurs estiment essentiel d’adapter les mécanismes de soutien du CNC afin de privilégier des productions mieux financées et distribuées (recommandations 1 et 2). L’attention doit être portée non pas sur le nombre de films produits ou soutenus, mais sur le devis, notamment en ce qui concerne les films dits « du milieu ». Les producteurs et les distributeurs doivent être ainsi mieux associés au succès de l’œuvre.
Des films mieux diffusés pour un public plus large
« Il est primordial de renforcer les mécanismes de distribution et de diffusion de la diversité sur le territoire, et de préparer avec les plus jeunes les cinéphiles de demain » énoncent les sénateurs, qui pour cela « partagent pleinement » les conclusions du rapport Lasserre. Ils proposent en effet d’adapter et de renforcer les engagements de programmation et de diffusion (recommandations 3, 4 et 5) et de faire évoluer le classement art et essai, en tenant compte du potentiel commercial du film, et en adaptant les soutiens « avec une attention spécifique pour les catégories les plus exigeantes » (recommandation 6).
Pour le renouvellement des jeunes publics, ils proposent de fixer, « avec les collectivités locales, l’État et les exploitants, un grand plan pour amener les scolaires dans les salles et en associant le Pass Culture aux œuvres françaises et européennes » (recommandations 7 et 8).
Faciliter la vie des exploitants
« Les exploitants sont au cœur de ce qui définit l’identité du cinéma » et les rapporteurs souhaitent leur donner plus de levier en facilitant les opérations promotionnelles en ligne et en assouplissant la politique d’agrément des cartes illimitées (recommandations 9 et 10), rejoignant là aussi les propositions de Bruno Lasserre.
Mieux associer le cinéma aux politiques publiques
Pour que le cinéma soit un acteur culturel exemplaire, la mission propose de conditionner les aides du CNC au respect d’obligations environnementales lors des tournages (recommandation 11), au respect strict des règles de rémunération minimale des auteurs (recommandation 12) et à la préservation de notre patrimoine par la conservation des éléments techniques du film (recommandation 13).
Renforcer les acteurs français dans la chronologie des médias
Enfin, la mission estime nécessaire, d’une part, de mieux garantir l’accès continu à l’oeuvre, d’autre part, de renforcer les acteurs nationaux de la diffusion en ligne, en invitant les partenaires à prévoir dans la chronologie des médias une fenêtre « super premium » entre deux et trois mois après la diffusion en salle (recommandation 14).
Les 14 recommandations de la mission
Recommandation n° 1 : Pour les films agréés, accorder plus d’attention à l’évolution du devis moyen de chaque film, en utilisant différents leviers, comme une modification de l’article 211-26 du Règlement général des aides du CNC sur le soutien automatique des producteurs pour créer un nouveau palier bonifié avant 1,5 million d’entrées. (Support : CNC, règlement général des aides)
Recommandation n° 2 : Profiler différemment le soutien automatique des distributeurs par une modification de l’article 222-4 du Règlement général des aides en le rendant croissant dans les premières tranches et en supprimant son plafonnement au-delà d’un million d’entrées. (Support : CNC, règlement général des aides)
Recommandation n° 3 : Aligner les pouvoirs du CNC dans la fixation des engagements de programmation des groupements et ententes sur celui des exploitants-propriétaires. Le CNC aurait ainsi la capacité de fixer les engagements en cas d’engagements manifestement insuffisants ou d’absence de proposition. (Support : gouvernement, décret en Conseil d’Etat)
Recommandation n° 4 : Conditionner les aides à l’exploitation en fonction du respect par les exploitants des engagements de programmation. (Support : CNC, règlement général des aides)
Recommandation n° 5 : Sur un modèle souple et en concertation avec les professionnels, créer une forme d’engagement de diffusion des œuvres d’art et essai. (Support : CNC, loi)
Recommandation n° 6 : Tenir compte dans le classement art et essai du potentiel commercial du film, ou en n’accordant pas le label, ou en pondérant différemment sa diffusion. Symétriquement, pondérer positivement les films de la catégorie Recherche et découverte. (Support : CNC, règlement général des aides)
Recommandation n° 7 : Se fixer à moyen terme un objectif de 100 % des élèves avec une séance de cinéma par an, sur le temps scolaire ou périscolaire, en partenariat avec les collectivités territoriales, le ministère de l’Éducation nationale et les salles. (Support : CNC, collectivités territoriales, ministère de l’Education nationale et de la Culture, convention)
Recommandation n° 8 : Réserver une partie des places de cinéma acquises par le biais du Pass Culture aux films français et européens. (Support : CNC, règlement général des aides)
Recommandation n° 9 : Autoriser les opérations promotionnelles sur les ventes de billets en ligne, en limitant toutefois la promotion au tarif de référence fixé pour les cartes illimitées. (Support : CNC, loi)
Recommandation n° 10 : Supprimer l’agrément du CNC pour les cartes illimitées en modifiant les articles L. 212-27 et suivants du code du cinéma et de l’image animée, et proposer en concertation avec les exploitants et les ayants droit de nouvelles modalités évolutives de calcul du prix de référence. (Support : CNC, loi)
Recommandation n° 11 : Moduler les aides du CNC au respect de critères environnementaux durant les tournages, en modifiant l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée. (Support : CNC, loi)
Recommandation n° 12 : Conditionner le bénéfice des aides du CNC au respect des clauses de rémunération minimale des auteurs, en modifiant l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée. (Support : CNC, loi.))
Recommandation n° 13 : Conditionner les aides du CNC au maintien sur le territoire européen d’au moins un exemplaire des éléments techniques de l’œuvre cinématographique bénéficiaire de l’aide. (Support : CNC, loi)
Recommandation n° 14 : Créer dans la chronologie des médias une fenêtre vidéo « premium » pour les plateformes de vente de vidéo en ligne, entre deux et trois mois après la sortie en salle. (Support : signataires de la chronologie des médias, avenant à la convention).
Source article : « Le cinéma contre-attaque » par la voix de trois sénateurs - Boxoffice Pro