Hervé Morin, Président des Centristes, de la région Normandie et des Régions de France, s'est entretenu avec le site d'information atlantico pour donner sa vision de la répartition des rôles qu'il devrait y avoir entre l'État et les collectivités. Une répartition qui laisserait beaucoup plus de champs d'action aux territoires. Entretien :
Le président de la région Normandie réunit ce weekend à Nîmes les élus centristes, divers droite et Les Républicains, qui souhaitent mettre en place un nouveau mouvement émanant des territoires et en faveur d'une vision girondine de l'Etat : le gouvernement se charge du régalien, les collectivités du reste.
Atlantico : Vous réunissez ce week-end pour la première fois votre mouvement, Territoires, qui se distingue par son appel à un nouveau pacte girondin : l’Etat se charge du régalien, les collectivités du reste. Au-delà de la formule, concrètement, comment pensez-vous que cela puisse marcher en France où les esprits sont profondément imprégnés de centralisation et alors qu’Emmanuel Macron a entamé un vaste mouvement de décentralisation ?
Hervé Morin : Le chef de l'Etat, tant dans son ouvrage "Révolution" que dans son discours, est en effet très girondin. Sauf que sa pratique n'est pas simplement jacobine, elle est bonapartiste. Il est dans un culte de l'ego qui est assez extraordinaire avec une personnalisation du pouvoir sans précédent. En clair, cet homme, qui veut incarner la modernité, a une pratique du pouvoir paléolithique. Comme si l'Etat pouvait faire. Mais l'Etat n'est plus capable de faire. Dans une société complexe, il faut des approches extrêmement fines, différenciées et il faut de la réactivité.
Toute chose que l'Etat n'a pas, empêtré dans l'interministériel et dans les arbitrages budgétaires.
La politique de l'emploi devrait être gérée par les collectivités qui sont en charge du développement économique. Le handicap devrait être très largement confié aux départements. Idem pour la politique du logement qui devrait être décentralisée pour s'adapter aux territoires qui ont des problématiques différentes.
Nous sommes dans une société horizontale, de plus en plus complexe, avec des communautés qui ont des très fortes capacités d'initiatives. Et l'on croit pouvoir tout régler de Bercy et de l'Elysée. C'est une erreur grave, car c'est penser que le redressement du pays ne passerait que par la macro-économie alors qu'il passe aussi par la micro-économie. Et là, les territoires sont les premiers à pouvoir le faire.
On reproche souvent aux collectivités territoriales -à commencer par les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ou encore la Cour des comptes- d’être incapables de maîtriser leurs dépenses. Pour votre part, vous dites que ça n’est pas aussi simple, pourquoi ?
Parce que je n'ai pas besoin de l'Etat pour limiter mes dépenses de fonctionnement. Les miennes augmentent de 0.6 % et 1 %. Je n'ai pas besoin des leçons de M. Macron quand je dépense beaucoup moins que lui (l’Etat augmente ses dépenses de 1,9%). Ensuite, il n'y a pas de trimestre où l'Etat n'impose pas des règles qui créent de la dépense, où il ne nous laisse pas des contraintes qui nous empêchent de pouvoir gérer au mieux. Je pense au statut des fonctionnaires territoriaux. Je ne parle même pas de passer du public au privé. Mais je parle de la souplesse dont nous devrions disposer pour gérer dans le cadre de la fonction publique nos fonctionnaires territoriaux.
Quand l'Etat nous refile la gestion des postes informatiques des lycées dans une région comme la mienne cela nécessite la création de 25 postes. Quand le président de la Communauté de Communes que je suis se retrouve à gérer les dossiers d'urbanisme à la place de l'Etat, je suis obligé de créer trois postes pour le faire. Très franchement quand le président dit qu'il faut repasser les fonctionnaires territoriaux à 35h, moi, je l'ai fait, mais j'attends qu'il le fasse pour les fonctionnaires de l'Etat.
Mais quand même, la multiplication de couches au sein du mille-feuille administratif français a produit une bonne part de n’importe quoi, non ? Explosion du nombre de fonctionnaires territoriaux, clientélisme, etc... Quelle est pour vous la part, le pourcentage, des collectivités qui ont su gérer avec rigueur et intelligence l’autonomie qui leur a été confiée au fil du temps et la part des autres, celles qui ont cédé à la facilité ?
Parce qu'il n'y a pas de clientélisme au sein des gouvernements ? Parce que quand les responsables politiques sont au niveau local, ils ne sont pas vertueux, mais ils le deviendraient au niveau national ? C'est nouveau ça ! Les chiffres parlent d’eux même : 67 milliards d'euros d'augmentation de la dépense publique en euros courant en quatre ans. Les collectivités sont responsables de 3 milliards d’euros sur 67. Les seules qui contribuent au désendettement du pays jusqu’en 2022, ce sont les collectivités. Alors que l'Etat va continuer à augmenter sa dette de plus de 300 milliards. Alors oui, certaines collectivités ont fait n'importe quoi, de la même manière que certains gouvernements ont fait n'importe quoi. La démocratie produit les mêmes effets.
Vous présidez la région Normandie qui est la fusion de deux régions et vous expliquez qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il est possible d’en réorganiser le fonctionnement sans céder à la tentation du toujours plus. Vous avez ainsi changé les attributions de quelque 700 fonctionnaires en Normandie sans provoquer de gros conflits ou de blocage. Quelle est la méthode ? Comment l’étendre ?
La méthode, c'est d'être transparent, d'avoir un double dialogue à la fois avec les syndicats, mais aussi avec les personnels. Il faut fixer un cap clair et faire en sorte que ça ne dure pas une éternité parce qu'il n'y a rien de pire que l'incertitude pour créer l'inquiétude. Nous avons créé un modèle ou nous avons plus de 700 fonctionnaires sur 1200 qui ont changé de métier pour permettre la spécialisation des sites de Caen et de Rouen. Il y a eu un énorme effort de formation qui a été effectué.
Est ce que la culture des habitants des territoires n’est pas déterminante dans leur capacité à se gérer avec succès ? Certaines régions seront toujours bien gérées et d’autres moins, car elles sont moins porteuses d’ambition, moins dynamiques ou plus dans l’attente de ce qui vient de l’Etat. Pour un modèle économique vendéen en plein boom, combien de régions de la France dite périphérique à la dérive ?
Non, je pense en effet que c'est plus facile dans une région comme la mienne qui est une région naturelle.
Il y a beaucoup de territoires qui innovent et dont on ne parle jamais. Parce qu'en vérité la presse est elle aussi jacobine, elle parle très peu des territoires. Et lorsqu'elle le fait, elle parle de l'Île de France. Mais oui, il y a des territoires avec des élus énergiques, motivés. C'est comme les ministres, il y en a des bons et des moins bons.
Laisser faire les territoires, c’est un mode de gestion des enjeux du quotidien, mais dans une époque marquée par une Europe en pleine déconstruction, par la montée des tensions commerciales ou migratoires ou l’arrivée de nouveaux défis économiques liés à la mondialisation, la simple méthode de la confiance accordée au local ne peut pas tout. Quel logiciel politique national reconstruire pour le centre droit face à un Emmanuel Macron qui a peu ou prou absorbé l’espèce de la vieille UDF de Bayrou à Villiers en passant par Madelin ?
Je suis très girondin, mais j'aime l'Etat.
J'aime l'Etat là où il doit être, là où il est le plus efficace. Je veux que mon pays réussisse et je veux qu'il réussisse par ce que l'Etat remplit pleinement ses fonctions et j'aime l'Etat quand il laisse l'énergie locale s'exprimer. Je rêve d'un Etat qui dise aux collectivités : il n'y aura plus de polices municipales parce que je mettrai les moyens nécessaires pour assurer moi-même la sécurité puisque c'est une de mes missions. Je rêve d'un Etat qui ne s'affiche pas toujours comme dernier de la classe quand on parle d'administration judiciaire. Je rêve d'un Etat qui consacre les moyens suffisants à sa défense. Je ne demande en rien à être responsable du régalien économique. La macro-économie, la politique de l'offre, ce sont très clairement des sujets sur lesquels je laisse à l'Etat l'entière responsabilité. Ce que je constate, c'est que tous les pays européens qui marchent sont des pays fédéraux ou très fortement décentralisés. Et je ne vois pas pourquoi nous nous empêchons de prendre un modèle efficace.
Les Républicains tiennent leur convention sur l’Europe ce week-end. Bon an mal an, vous avez toujours été allié avec ce parti. Cette époque-là est-elle révolue ou non ?
Je suis, à travers mon association en train d'essayer de refonder le projet politique. D'être sur un projet politique. Et donc la question des alliances est une question que je ne poserai pas pour le moment. D'une part par ce que je ne sais pas ce que deviendront les Républicains, et d'une autre parce que ceux qui disent ne plus avoir d'alliance avec eux, continuent d'en avoir dans toutes leurs collectivités.
Dans l’espace politique proche de celui qui est le vôtre, on a entendu ces derniers jours Jean-Louis Borloo, Xavier Bertrand ou encore François Bayrou exprimer leur inquiétude sur un certain aveuglement social d’Emmanuel Macron. Mais sans proposer d’alternative véritablement nouvelle. Est-ce que ce type de critique sans propositions qui fassent mouche aux yeux des Français, ça n’est pas paradoxalement renforcer le président en le présentant comme plus transgressif ou révolutionnaire qu’il n’est vraiment ?
Je pense que le chef de l'Etat à trois grandes faiblesses: son bonapartisme, sa culture de l’ego, son absence de discours social et son absence de discours à l'égard des territoires. Il vient en Normandie dans une petite commune, tout le monde pensait que pour un journal de 13h il évoquerait la ruralité ou les territoires en difficultés et en fait, il a simplement installé un plateau de TV dans une école. Il est très clair que l'accumulation des évènements de ces dernières semaines renforce l'idée qu'il s'adresse avant tout aux Français de la mondialisation heureuse. Notre pays est un pays dont l'ADN est l'égalitarisme, c'est un pays dont il ne faut jamais oublier qu'un Français sur 6 vote contre le régime capitaliste libéral à chaque élection. C'est un pays qui est d'une diversité considérable. Il faut être très attentif aux équilibres.
Si vous deviez faire un pronostic politique, par où le macronisme a-t-il un vrai potentiel de réussite et à l’inverse, par où risque-t-il de périr ?
J'ai déjà évoqué cela plus haut. Je suis heureux d'avoir un président de la République qui a redonné une image à la France à l'étranger. Je suis heureux de sa politique de l'offre. Je regrette qu'il ne soit pas moderne dans sa gouvernance publique.
Même question pour le centre-droit ? Quelles perspectives de reconquérir un espace absorbé par Emmanuel Macron et avec qui ? Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez... ?
Je pense qu’il y aura une convergence possible avec beaucoup de ces personnalités qui sont en général à la tête de grands exécutifs locaux.