02.04.2013

Projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi : intervention d'Hervé Morin

Monsieur le président, mes chers collègues,

Cet accord national interprofessionnel, c’est un peu l’histoire de la bouteille à moitié vide et de la bouteille à moitié pleine. 

A moitié pleine, parce qu’il y a quelques dispositions utiles dans ce texte comme les mobilités internes et externes même si elles ne concerneront que quelques centaines, au mieux que quelques milliers de salariés. 

A moitié pleine car l’instauration de la complémentaire santé est une vraie avancée sociale, même s’il existe une grande incertitude sur son financement puisque cette mesure coûte 2 milliards d’euros à l’Etat ; et surtout il faut saluer les accords de maintien de l’emploi qui font enfin le choix du maintien de l’emploi dans le droit du travail français plutôt que l’externalisation du problème, c’est-à-dire le licenciement.

Bouteille à moitié vide car disons le très clairement, il n’y a pas de révolution copernicienne dans cet accord et dans sa traduction législative. Ni simplification du droit, ni flexi-sécurité, ni reconnaissance qu’en dehors de l’ordre public social et du respect des normes internationales de l’OIT, l’accord de branche ou l’accord d’entreprise priment sur la loi. Non, contrairement à ce qu’affirmait encore la présidente du MEDEF la semaine dernière, l’accord national interprofessionnel ne préservera ni ne créera des centaines de milliers d’emplois. Je le regrette mais c’est la réalité, et il ne faut pas se bercer d’illusions.

Il aurait fallu dans ce texte de la souplesse.

Le code du travail est passé de 1606 à 3516 pages en trente ans mais on continue à penser que c’est par l’accumulation des règles et des procédures qu’on protège les salariés français et qu’on évite la destruction de l’emploi. Nous pensons pour notre part que c’est l’inverse qui se produit : à force de rigidifier les règles, notre code du travail s’est retourné contre ceux-là mêmes qu’il était censé protéger en précarisant encore un peu plus les salariés. 

Un seul exemple : 80% des déclarations uniques d’embauche annuelles concernent des CDD de moins de 3 mois. Nous sommes le seul pays en Europe qui réalise un tel score affligeant.

La construction du droit du travail en France repose sur une idée fausse, celle de la pérennité infinie des emplois et des postes. On a oublié, ou plutôt on a refusé de voir, que l’économie est un phénomène dynamique de destruction et de création. Dans un premier temps les salariés de chez Kodak ont disparu au profit de ceux de Photoshop et dans un second temps ces derniers ont été engloutis par les fabricants d’appareils photos numériques et aujourd’hui ceux-là même sont menacés par les fabricants de téléphones portables. Qu’on le veuille ou non c’est cela l’économie, une dynamique permanente. 

Plutôt que de raconter des histoires, auxquelles d’ailleurs plus personne ne croit, nous serions bien inspirés de faire partager aux Français deux idées simples :

-     La première, c’est qu’au lieu de dépenser notre énergie et nos maigres ressources dans la préservation d’activités, donc d’emplois, qui de toute façon disparaîtront, nous ferions mieux de consacrer notre énergie à faire émerger de nouveaux secteurs économiques et de nouvelles spécialisations dans lesquelles la France pourra tirer son épingle du jeu et prendre le relais des emplois disparus.

-     La seconde, c’est que plutôt que de s’arcbouter sur des procédures, nous ferions mieux de nous engager résolument dans des politiques d’anticipation, de gestion prévisionnelle de ressources humaines et surtout d’accompagnement des salariés frappés par des restructurations : anticiper ces restructurations, engager les formations, accompagner la création de nouveaux métiers, voilà ce que devrait être une gestion moderne du travail par une Nation. La sécurité ce n’est pas retarder le licenciement, qui est, quelles que soient les conditions juridiques, inexorable, mais passer d’une logique de la protection de l’emploi à une logique de protection des personnes. Rendre le droit du travail plus souple et en contrepartie être plus exigeant collectivement sur le reclassement et l’accompagnement personnalisé de chaque salarié.

Compte-tenu du temps qui m’est imparti, je voudrais donc juste finir par trois remarques :

Il y a d’abord dans ce texte une erreur qui sera lourde de conséquences : la validation et l’homologation des PSE. Non seulement, je ne pense pas que l’on réduise l’insécurité juridique avec cette disposition mais surtout on introduit la politique là où il n’y en a pas besoin. 

On apporte de la complexité. La double compétence des juridictions administratives et judiciaires va augmenter l’insécurité juridique car personne n’a encore compris quel serait exactement le rôle de l’administration et le contenu du contrôle juridictionnel.

Enfin, on ajoute de la politique là où il n’en faut surtout pas car à chaque fois qu’un plan social sera engagé, surtout quand il prend une tournure médiatique, il deviendra un enjeu politique. Qui peut croire qu’une Direction du travail homologuera un plan unilatéral, même si ce plan est en apparence impeccable, et enfin, qui peut croire que celui-ci ne se retrouvera pas immédiatement sur le bureau du Ministre ou de son cabinet dès lors qu’un enjeu politique local apparaîtra ? Je sais que le MEDEF a voulu cette disposition : je peux lui dire d’ores et déjà qu’il va très vite s’en mordre les doigts. 

Une erreur lourde, donc, mais aussi deux absences coupables. 

La première absence concerne les stages étudiants qui deviennent de plus en plus des variables d’ajustement des politiques d’emploi. Je regrette que le groupe socialiste se soit opposé à mes amendements. 

L’autre lacune c’est qu’il n’ait pas été jugé utile par le gouvernement d’engager la redéfinition des branches professionnelles. Tout le monde sait qu’elles empêchent par leur nombre excessif le dialogue social dont nous avons besoin et rien n’est fit pour les diminuer. 

En conclusion, ce que je voudrais saluer dans ce texte, c’est moins le fond que la forme. Imaginons les débats dans cet hémicycle si ce même projet de loi était issu de l’exécutif : les uns auraient crié à la précarisation, les autres à l’immobilisme. Le seul fait qu’il ait été signé par les syndicats patronaux et une majorité de syndicats de salariés, oblige à la retenue et empêche toute posture politicienne.

Pour nous centristes qui défendons depuis des décennies l’idée que tout ne procède pas d’en haut, que nous avons besoin de créer une société décentralisée dans laquelle le pouvoir est distribué aux structures de bases de la société française, cet accord national interprofessionnel qui est loin d’être une révolution a au moins un immense atout, c’est qu’il a enfin fait bouger les lignes.

J'ose espérer que l'examen de ce projet de loi ne soit pas une fin, mais bel et bien un début. Que la dureté de la crise économique nous permette de nous détacher de nos carcans idéologiques respectifs pour engager une réelle discussion sur les conditions de refonte de ce droit fondamental et crucial. 

Je vous remercie.

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