22.05.2018

Politique étrangère de la France : le réalisme stratégique ne signifie pas aveuglement, encore moins soumission !

Emmanuel Dupuy, Président de l'IPSE (Institut Prospective et Sécurité de l'Europe), revient sur l'hyperactualité internationale en invitant le chef de l'État à saisir la balle au bond des décisions isolationnistes des États-Unis pour redéfinir un nouvel axe géopolitique en faveur de la France !

 

Politique étrangère de la France : le réalisme stratégique ne signifie pas aveuglement, encore moins soumission !

 

En se rendant la semaine prochaine, au Forum de Saint-Pétersbourg, à l’invitation du président russe, Vladimir Poutine, Emmanuel Macron pourrait méditer cette formule propre à Alexis de Tocqueville : « il faut une science politique nouvelle à un monde nouveau»…

Le Président français n’avait-il pas, du reste, appelé de ses vœux, à Davos, en février dernier, un « nouveau contrat mondial » dont la légitimité résiderait dans un « nouveau cadre de grammaire du Bien commun » dans le cadre d’une mondialisation mal régulée ?

Depuis, la décision de s’associer aux Britanniques et aux Américains pour frapper la Syrie, le 7 avril dernier, en représailles à l’usage létal de l’arme chimique, dont les preuves prégnantes tardent à venir, ainsi que le « camouflet » induit par la décision unilatérale américaine de remettre en cause le plan d’action global sur le nucléaire iranien (JCPOA, signé à Vienne, le 14 juillet 2015), sont venus rappeler que les règles du jeu international semblent vouées à changer radicalement. Sans minorer, bien évidemment, la décision lourde de conséquences de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, qui va avoir le même effet que de jeter un bidon d’essence sur un brasier…

En effet, en remettant en cause la légalité du droit international, gagé sur un système onusien, certes imparfait, mais pierre angulaire - depuis sa création, en octobre 1945 - des relations internationales, le nouveau locataire de la Maison Blanche nous entraine inexorablement dans son sillon.

D’ailleurs, à ce jeu-là, c’est Moscou, sur le plan diplomatique, et Pékin, sur le plan économique, qui risquent de récolter le fruit de cette série d’incohérences stratégiques. Dans ce monde que d’aucuns perçoivent comme inexorablement « post-occidental », à l’instar de la description qu’en faisait, en février dernier, lors de la Conférence annuelle sur la sécurité de Munich, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, quelle marge de manœuvre reste-t-il encore à l’« ancien monde » auquel nous appartenons, n’en déplaise à notre président ?

Manichéisme américain. Pire, en changeant les fragiles équilibres stratégiques selon les caprices de Donald Trump, c’est davantage l’impatience et le manichéisme géopolitique américain, qui s’impose à nous, tout en contraignant significativement notre capacité de décision et d’action autonome, voire en obérant et fragilisant dangereusement le développement de notre diplomatie économique, qui devait pourtant constituer le pivot de notre nouvelle approche pragmatique des équilibres stratégiques.

Ce sont ainsi les entreprises françaises et européennes qui seront les premières victimes de la fin programmée de l’accord sur le nucléaire iranien, eu égard à l’injuste principe de l’extraterritorialité du droit américain, véritable épée de Damoclès, qui viendra sanctionner toute entreprise qui, en utilisant le dollar pour ses transactions, se mettrait sous les fourches caudines du trésor américain. Qui oserait tenter sa chance sur les marchés émergents iraniens aujourd’hui, peut-être très prochainement cubains, voire, syriens, eu égard à la reconstruction qui favorisera immanquablement les entreprises chinoises et russes ?

Pourtant, en 1966, le général de Gaulle, en prononçant, à Phnom-Penh, au Cambodge, son fameux discours posait durablement, les jalons du principe de l’équidistance stratégique plaçant Paris, à mi-chemin tant de Washington que de Moscou et de Pékin, que la France avait reconnu deux ans auparavant. Le choix courageux et le positionnement stratégique d’alors semble encore d’actualité, dans un contexte d’une nouvelle forme de « non-alignement » qui semble renaitre à travers l’émergence de nouveaux acteurs et lieux décisionnels.

Hélas, le dessein d’hier semble s’être lentement quoique sûrement étiolé au fur et à mesure des présidences successives de la Vème République. Le clientélisme économique, en nous ouvrant timidement des marchés hasardeux au Proche-Orient, tout en refermant d’autres quoique historiquement légitimes, à l’instar de l’Iran ou de la Turquie, a réduit à néant, notre capacité de médiateur fiable et fidèle à notre legs né des traités de paix issus de la Première guerre mondiale. Pourtant, la célébration du centenaire, nous laissait une chance inespérée de retrouver notre voix dans cet « Orient compliqué », que nous comprenions, malgré tout, mieux que nos alliés américains !

Il en va de même, avec un certain conditionnement idéologique qui a successivement amené nos présidents et de facto, notre pays à se placer souvent du mauvais côté. Hormis, la courageuse décision de ne pas suivre l’aventurisme militaire américain en Irak, en 2003, la politique étrangère française n’a eu de cesse de devoir composer avec les positions parfois difficilement conciliables de certains de ses partenaires otaniens et européens.

Dès les premières heures de sa présidence, en mai 2017, Emmanuel Macron indiquait pourtant sa noble ambition consistant à vouloir « franchir le Rubicon » et changer radicalement cette lente déchéance et léthargie diplomatique.

Besoin d’Europe. Un an après, force est de constater que parfois le verbe enflammé du locataire de l’Elysée a bien du mal à s’ancrer dans la réalité géopolitique. Pourtant, le Président français, ne cesse de mettre en scène ses velléités de réformer la gouvernance des relations internationales, au premier chef duquel, en Europe. Ne fut-il pas question devant les étudiants de la Sorbonne, le 26 septembre dernirer, sur la Colline de la Pnyx à Athènes – quelques jours avant -, devant les parlementaires européens, le 17 avril dernier, ou encore devant les récipiendaires du prestigieux Prix Charlemagne, dont il venait de se voir honorer il y a quelques jours, justement pour sa vision européenne ?

Certes, les mauvaises langues, qui bien souvent viennent d’Outre-Manche, quand il s’agit d’Europe, pourraient reprendre cette formule célèbre d’un ancien Premier ministre britannique, Harold Mac-Millan, qui parlait de Gaulle en ces termes : « il dit Europe, mais il pense France » !

Les choix sont multiples : à 19 dans le cadre de l’Eurozone, quand il s’agit de faire émerger l’UE comme la première économie mondiale avec un PIB cumulé de 18 200 milliards d’euros ; à 22, dans la configuration de l’espace Schenghen, quand il s’agit de concilier liberté de circulation des biens et personnes et sécurité de nos frontières ; à 23, dans le cadre de la nouvelle Coopération Structurée Permanente, jalon important vers une politique étrangère, de sécurité et de défense commune ; voire en considérant que lorsqu’il s’agit de promouvoir et valoriser notre base industrielle et technologique (BITD) c’est avec nos partenaires britanniques - au-delà donc du Brexit - que nous pourrons agir face à la concurrence des grands ensembles, notamment ceux qui se pensent et se réalisent à Moscou et Pékin, désormais dans une approche eurasienne.

Quoique soit le champ de vision du président français, gageons qu’il comprenne - enfin - l’intérêt et l’opportunité à profiter du hiatus - au moins sur le plan intellectuel - qui se creuse entre l’Europe et les Etats-Unis, et son imprévisible président. Car bien souvent, les intérêts américains, ne sont pas forcément les nôtres et vice-versa. Quel meilleur gage d’amitié que de pouvoir le dire, en toute franchise, sans craindre de représailles ?

La balle est donc désormais dans le camp d’Emmanuel Macron qui se déplace en Russie avant éventuellement d’aller en Iran d’ici la fin de l’année. Le chef de l’Etat pourrait rééquilibrer notre politique étrangère, de manière à retrouver et conserver notre spécificité, qui a garanti, peu ou prou notre rang dans le concert des Nations, depuis plus de 70 ans.

Bref, ancrer un « en même » temps diplomatique, qui, pour l’instant, tarde à montrer concrètement son efficacité.

Emmanuel DUPUY,
Président de l'IPSE (Institut Prospective et Sécurité de l'Europe).

Pour retrouver la tribune d'Emmanuel Dupuy dans l'Opinion, cliquez ici !

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