Conseil National sur l'Europe
Motion adoptée | Paris, le 25 novembre 2018
POUR UNE EUROPE DES TERRITOIRES
L’Union européenne est passée en quelques années d’une grave crise financière qu’elle a su affronter à une grave crise économique et politique qu’elle peine à surmonter. La croissance des nationalistes en Hongrie, Pologne et Italie de même que l’essor général de partis prônant le repli sur les frontières nationales, menacent les valeurs civilisationnelles fondées sur la paix et la démocratie sur lesquelles s’est construite et organisée l’Europe.
L’aggravation des menaces venues d’extérieur (terrorisme international, radicalité islamique, conflits régionaux et sous-développement accroissant les divers types de pressions migratoires…), ou encore l’apparition de déséquilibres géopolitiques nouveaux (remise en cause du multilatéralisme, y compris dans le domaine de la sécurité collective par le Président américain, politique interventionniste de la Russie en Europe ou au Proche Orient, offensives hégémoniques de la Chine pour acquérir nos potentiels économiques et consolider ses capacités technologiques…) sont autant de sources d’inquiétude pour les citoyens européens.
Le Président de la République s’est érigé en défenseur du projet européen et il a bien fait. Il n’y a rien à négocier sur nos valeurs démocratiques et humanistes. Pour autant, Emmanuel Macron n’offre pas de réponse claire et concrète aux questions posées par un grand nombre de nos concitoyens, en particulier sur l’immigration et l’identité européenne.
Le moment n’est plus à vouloir fonder les États-Unis d’Europe. Nous le souhaiterions mais nous sommes réalistes. Rien ne pourra évoluer en ce domaine tant que l’Europe, dans sa forme actuelle, ne prouvera pas davantage sa capacité à faire face aux problèmes quotidiens vécus ou ressentis par les citoyens Européens. Il est temps que l’Europe soit en quelque sorte moins « naïve », plus pragmatique, plus efficace et surtout plus réactive afin d’apporter des réponses concrètes à ces problèmes.
Ce constat amène notre mouvement engagé depuis toujours dans la défense du projet européen et réuni ce dimanche 25 novembre 2018 en Conseil National, à mettre l’accent, en vue de ce nouveau scrutin, sur trois priorités : L’Europe ferme qui protège, l’Europe - Puissance, l’Europe des Territoires et de la Solidarité.
1 - POUR UNE EUROPE FERME QUI PROTEGE
Le premier domaine dans lequel l’Union européenne doit se montrer ferme est la protection des peuples au quotidien. L’immigration clandestine et illégale mine les sociétés européennes. Alors, comment répondre- en même temps - à l’origine des crises humanitaires, qui fait qu’au 21ème siècle, l’on meure encore en traversant la Méditerranée et à la nécessaire protection de nos frontières face aux défis d’aujourd’hui et de demain ?
L’Union européenne doit mieux maîtriser ses flux migratoires. Cela doit nécessairement passer par le renforcement du contrôle communautaire de ses frontières en donnant plus de moyens juridique et financier à Frontex, en harmonisant les conditions du droit d’asile des 27 pays européens et en instaurant le principe des quotas de filières professionnelles pour les migrants économiques, qui pourrait être voté et réévalué chaque année par les parlements nationaux puis validé par le Parlement européen.
Nous portons l’idée d’une politique migratoire choisie avec la création d’une Agence européenne de l’asile qui assurera le dialogue avec les États concernés. Il faut améliorer notre politique d’insertion des migrants, mais aussi mieux encadrer le retour des déboutés avec les pays de départ.
Mais la réponse structurelle aux questions de migration doit passer, avant tout, par une aide au développement de l’Afrique à travers une politique de croissance partagée Euro-Africaine aussi ambitieuse que l’a été le plan Marshall au sortir de la guerre. Aide à l’éducation et notamment à la formation, développement énergétique à l’image du plan Borloo, préservation des ressources en eau, amélioration des soins de santé figurent parmi les priorités d’action de cette aide. Ce partenariat pourrait être initié à partir d’une Union pour la Méditerranée « élargie » à l’ensemble du continent africain. Cela coûtera toujours moins cher à terme que l’immigration massive vers laquelle nous nous dirigeons tout droit dans quelques décennies.
La réponse européenne au besoin de protection passera également par la lutte contre le terrorisme (renforcer l'agence de renseignements européenne, instaurer une carte européenne biométrique) et par le renforcement de la cybersécurité.
Alors que les futurs conflits se joueront demain - pour beaucoup - dans l’espace cybernétique, l’Europe doit agir avec célérité et pérennité, pour garantir sa souveraineté numérique et pour se protéger des attaques dont elle fait régulièrement face depuis le milieu des années 2000. Ainsi, pour ne pas être dépendant d'une « extra-territorialité » numérique que nous impose l’ultra domination financière et technologique, aujourd'hui outre-atlantique, demain chinoise, l’Europe doit consolider sa base industrielle, technologique et de recherche dans le domaine numérique. Le renforcement de la cybersécurité impose ainsi autant la mise en exergue d’outils innovants visant à la protection individuelle que le renforcement et l’accélération des projets en cours avec certains de nos partenaires européens dans le domaine de la cyber-guerre et de la protection collective (à l’instar du projet italien de surveillance par ballon - European High Atmosphère Airship ; ou encore du Joint European Electronic Warfare). Dès lors, pour ne pas subir, le « tsunami technologique » à venir, l’Europe doit investir aujourd’hui pour maitriser son destin numérique, afin de ne pas le subir…
Par ailleurs une politique économique ambitieuse et réellement pro-européenne devra lutter contre le dumping social, mieux encadrer la prise de contrôle d’entreprises stratégiques par d’autres puissances et revoir le dispositif et la mise en œuvre de la politique de concurrence qui empêche l’émergence de champions européens. Elle doit notamment se fonder sur l’idée d’un patriotisme économique européen. Sur les 18 000 milliards de PIB globaux européens, une partie doit être fléchée « de manière incitative » vers l’achat de production « Made in Europe ».
2 - POUR UNE EUROPE-PUISSANCE
L‘Europe doit aussi se définir comme une vraie puissance. Créée pour faire la paix, la puissance n’est pas dans son ADN mais cela doit le devenir dans un monde devenu extrêmement instable.
L’Europe de la Défense sera intergouvernementale pour l’essentiel. Croire dans la possibilité d’une Europe de la Défense au niveau de l’Union européenne est illusoire à court terme. L’armée européenne n’a pas de sens tant que les politiques étrangères des Etats relèvent de la compétence nationale. Nous devons repenser une nouvelle architecture de sécurité européenne complémentaire des objectifs et des stratégies de l’OTAN qui doit intégrer les nouvelles organisations intergouvernementales émergentes en Asie, dans le Pacifique ou dans l’Océan Indien. L’Initiative européenne d’Intervention (IEI) qui vise à coordonner et mutualiser les capacités militaires de huit pays « volontaires » doit désormais permettre concrètement à l’Europe de gagner en autonomie, en capacité d’action et de résilience des forces armées européennes dans notre voisinage. Car c’est là que l’arc de crise nous oblige à investir dans notre défense, de manière collective et pérenne, avant tout entre citoyens européens.
L’Europe doit reprendre le leadership de la recherche scientifique. Pour bâtir l’Europe 4.0, elle doit investir dans l’économie digitale à l’aune de la révolution numérique et technologique qui s’annonce. A cet effet, le projet Horizon Europe, qui prévoit une enveloppe budgétaire de 100 milliards d’euros (2021-2027) devrait permettre l’émergence - tant attendue - des projets fédérateurs de l’Europe de demain (ITER - énergie née de la fusion) : Copernicus (surveillance des évolutions planétaires, notamment en matière d’impact environnemental), Galileo (système de géolocalisation et de surveillance de la terre), projet européen de recherche JEDI – Joint European Disruptive Initiative (autour des avions, tanks, canons de demain…). Cette enveloppe budgétaire de 100 milliards d’euros doit également permettre de renforcer des programmes de recherche et d’innovation en associant nos champions européens privés avec la puissance publique et en permettant l’émergence de grands pôles universitaires européens.
Il convient de compléter ces projets par un véritable plan structurel autour de l’Intelligence Artificielle et les technologies liées à la physique quantique afin que les avancées en matière de recherche et développement que tous nos partenaires reconnaissent à l’Europe ne soient pas pillées.
Car l’Europe doit rapidement prendre en main son destin numérique ; en régulant son propre écosystème par une meilleure répartition de la valeur au profit des acteurs européens, aux moyens d’une régulation fiscale plus juste et de règles de concurrence équitables. Ce nouveau cadre doit s’accompagner d’une redéfinition du rôle des acteurs notamment en ce qui concerne la responsabilisation des hébergeurs et la protection des données. Sur le plan international, l’Union européenne doit se doter des moyens nécessaires pour peser davantage dans les instances mondiales de régulation et de certification du Net et imposer ses normes pour favoriser ses entreprises et contenir l’ingérence de puissances étrangères. Appuyée par une vraie stratégie industrielle offensive, maîtrisée et ambitieuse, et la création d'un certificat européen pour les objets connectés l’Union européenne cessera ainsi d’être une colonie du monde numérique face aux GAFAM et BATX et pourra recouvrer sa souveraineté. L’émergence de nouveaux champions industriels européens (à l’instar d’Airbus) recourant dans la mesure du possible à des partenariats public-privé (PPP) et en valorisant le droit civil européen, permettra à l’Europe de s’amender de l’extraterritorialité (monnaie, défense et technologie)
Promouvoir le rôle de monnaie de réserve de l'Euro capable de limiter l'influence commerciale du Dollar et par voie de conséquence l'impact des sanctions extraterritoriales appliquées par les États-Unis (cf. crise iranienne) reste à ce titre une de nos priorités. Au plan intérieur, tout en reconnaissant le rôle positif joué par la Banque centrale européenne, doter la zone Euro d'une gouvernance économique renforcée passant par une coordination des politiques budgétaires et une accélération des mesures de convergence fiscale, devient une nécessité. Elle devra très vite se doter d'un budget significatif destiné à accroître les actions favorisant la compétitivité de nos économies et à réduire les disparités de développement des pays qui en sont membres.
Être une puissance aujourd’hui, c’est aussi savoir placer 27 pays en position de répondre concrètement à des problématiques capitales et immédiates comme celle du changement climatique. Il est indispensable aussi bien en termes de valeurs que de protection d’inscrire l’action de l’Europe du 21ème siècle dans la prise en compte de l’adaptation de nos modes de vie, de nos modèles économiques, de la gouvernance face aux transitions écologiques et aux révolutions technologiques en cours. Un nouveau programme pour l’environnement à l’ambition de 2030 devra est lancé.
Pour cela, l’Union européenne devra flécher clairement l’investissement dans la transition vers des économies bas-carbone et inclusives mais aussi prioriser la recherche et le développement de solutions pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures, notamment dans les domaines clés des transports aérien, maritime et de la construction. L’investissement vert européen devra inclure la biologie, la chimie verte, la restauration des écosystèmes et exclure tout soutien aux projets non durables. La création d’un poste de Commissaire européen à l’impact climatique et à la biodiversité aura pour mission transversale de valider l’engagement de l’ensemble des programmes européens dans la transition écologique. L’UE devra se doter d’une diplomatie européenne technique et scientifique fondée sur la nécessaire mise en œuvre des résultats de la COP21 et faire ratifier la DDHu (Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité) par les États membres pour accélérer la justice climatique.
Une finance verte, une fiscalité environnementale européenne, un budget énergétique commun pour les États membres partageant les mêmes intérêts dans la conception et la mise en œuvre de leur mix énergétique et développant des stratégies communes, un investissement significatif dans l’économie circulaire et de fonctionnalité figurent parmi les grands axes de notre stratégie écologique européenne.
3 - POUR UNE EUROPE DES TERRITOIRES ET DE LA SOLIDARITE
L’Union européenne a déjà beaucoup fait dans les décennies passées pour la cohésion des territoires en redistribuant les contributions des Etats aux Régions qui en avaient le plus besoin leur permettant ainsi de favoriser leur croissance et de réduire les écarts de richesse entre elles
La priorité absolue doit être placée aujourd’hui sur la réduction des nombreuses fractures dont souffrent dans toute l’Europe les territoires ruraux et semi-urbains. Les fonds européens doivent être mieux orientés notamment vers des projets régionaux essentiels d’infrastructures, de sécurité, de formation, de santé et de bien-être social.
Pour cela les Régions doivent avoir un rôle de coordination de l’ensemble des aides affectées à leurs territoires pour assurer une meilleure cohérence dans la réduction de ces fractures.
L’Europe fondée sur le grand marché de l’union monétaire a été un facteur de progrès et de stabilité dans nos territoires, mais cette construction et son fonctionnement ne sont pas sans de graves insuffisances. Il faut mieux protéger nos acteurs économiques territoriaux en simplifiant les normes européennes et les règles qui concernent tous les travailleurs détachés de l’Union en imposant le principe de l’application des politiques salariales et sociales de chaque pays membre à tous ceux qui y travaillent, qu’ils soient détachés ou non.
L’objectif est de créer un salaire minimum dans chaque pays pour aller à terme vers une convergence à l’échelon européen afin de réduire le dumping social entre ces pays.
Il en est de même pour la convergence fiscale qui doit faire l’objet d’une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés (IS). Elle devra s’appliquer aux grandes entreprises étrangères et en particulier aux GAFAM afin d’éviter le dumping fiscal qui pénalise aujourd’hui certains territoires au profit d’autres, entraînant ainsi des pertes de ressources pour les budgets nationaux.
Le soutien aux revenus des agriculteurs et pêcheurs européens qui a été l’élément principal de la PAC aux cours des années passées n’est plus suffisant. Donnons aux agriculteurs les moyens de meilleures pratiques écologiques et repositionnons les productions sur les marchés les plus porteurs du point de vue des nouvelles habitudes des consommateurs nationaux. Il faut aussi veiller à répartir les aides aux producteurs et à leurs groupements de façon plus juste entre les territoires et à l’intérieur de ceux-ci, en favorisant notamment « les circuits courts ». Nous proposons que les Régions, qui financent déjà de façon significative l’investissement agricole, assurent directement la gestion, la certification et le paiement des fonds européens agricoles des 1er et 2ème piliers.
CONCLUSION
Pour que les élections européennes ne se résument pas à l’expression de peurs accumulées, ne cristallisent tous les maux de nos sociétés et pour éviter que le prochain scrutin ne débouche sur un « hiver européen », il nous appartient de rappeler ce que l’Europe fait déjà mais surtout de dire à nos concitoyens ce qu’elle est déterminée à faire au cours des prochaines législatures. Moins de discours et beaucoup plus d’actions concrètes.
Les mesures proposées dans cette motion nécessitent pour leur mise en œuvre un surcroît de volonté politique de la part des États membres qui en partagent les orientations avec les citoyens.
Certaines d’entre elles pourront s’appuyer sur les dispositifs communautaires existants en recourant si nécessaire aux procédures (coopération renforcée ou coopération structurée permanente) qui permettent de progresser sans attendre l’implication de la totalité des États membres.
Mais les traités actuels ne couvrent pas tous les champs d’intervention qu’appellent les défis nouveaux auxquels les citoyens de l’Europe sont aujourd’hui confrontés.
Proposons donc, une approche concertée avec les pays qui partagent la même volonté d’action pour que l’Europe se dote de politiques publiques touchant sa cohésion interne, sa sécurité intérieure ainsi que sa capacité à réagir aux offensives des autres grandes puissances cherchant à s’approprier certains de ses secteurs d’activité. Cela peut passer par des accords intergouvernementaux qui resteraient ouverts aux pays qui n’y adhèreraient pas au départ voire, en cas d’adhésion suffisamment élargie, par la proposition d’un traité qui, sans remettre en cause l’acquis, complèterait ou amenderait les traités existants.
C’est cette vision volontariste et ambitieuse qui suppose un engagement résolu dans la voie de l’Europe politique que notre Mouvement propose dans la perspective de la prochaine législature. Ces cinq prochaines années seront en effet décisives pour la sauvegarde de notre avenir commun.
Paris, le 25 novembre 2018