Hervé Morin a accordé un entretien à Valeurs Actuelles dans lequel il présente les dispositifs qu'il a lancés dans sa Région. Il revient également sur la gestion de cette crise sanitaire par le gouvernement.
En pleine crise du coronavirus, les collectivités territoriales se démènent pour faire face aux enjeux économiques, sanitaires et sociaux qui secouent l’hexagone. Hervé Morin, président de la région Normandie et anciennement ministre de la défense sous Nicolas Sarkozy, livre son plan d’action face au Covid-19…
Valeurs actuelles. En 2018, l’économie touristique représentait 6,4% du PIB normand, 37 700 emplois et 2,2% des richesses dégagées dans la région. Craignez-vous que la crise ait de graves répercussions sur ce secteur central de votre collectivité ?
Tout dépend du déconfinement et de ses conditions. Il est aujourd’hui crucial que le Premier ministre nous communique des scénarii possibles de sortie de crise, même si nous savons qu’il y a encore beaucoup d’inconnus. Pour le secteur du tourisme, des questions qui paraissent baroques sont en fait d’une grande importance. Par exemple : pourra-t-on se rendre sur les plages en juillet ?
Le problème dans le secteur des services, c’est que ce qui est perdu l’est définitivement. Dans l’industrie, il est toujours possible d’utiliser les stocks ou augmenter le temps de travail pour rattraper des retards. Si on ne loue pas une chambre d’hôtel en avril, on ne la louera pas deux fois en août ! Je ne vous parle même pas du secteur de la restauration, déjà en grave difficulté, surtout pour ceux qui ont acheté leurs commerces ces deux dernières années.
Comment comptez-vous pallier le problème de la baisse des flux touristiques ?
Au sortir de la crise, nous allons lancer une grande campagne d’attractivité pour inciter les français qui ne partiront pas à l’étranger à venir en Normandie. Pour cela, la Région fera appel à une agence de communication aux stratégies inventives et disruptives.
Le tourisme mis à part, de nombreux autres secteurs d’activités risquent d’être durablement touchés par le confinement. Quelles mesures avez-vous mises en place pour soutenir les PME durant cette crise sans précédent ?
En premier lieu, nous avons “raclé tous les fonds de tiroirs”. Ensuite, nous avons produit un long travail d’analyse des non-dépenses de la Région. Grâce à ces deux opérations, le conseil régional a pu ajouter 70 millions d’euros aux 100 millions annuellement alloués à l’accompagnement aux entreprises. Pour favoriser la relance, nous comptons également sur notre savoir-faire d’aide en matière d’accompagnement des entreprises en difficultés. Grâce à notre dispositif A.R.M.E - Anticipation Redressement Mutations Economiques - nous en avons sauvé plus de 500 avec plus 80% de survie à trois ans. Mais notre action ne s’arrête pas là. Nous allons également mettre en place un fond régional de soutien avec les intercommunalités de 25 millions d’euros pour soutenir les entreprises « oubliées » par le fonds de solidarité nationale, notamment les commerçants, certaines TPE et des indépendants.
Je m’inquiète aussi pour les entreprises qui étaient déjà en difficulté avant le confinement. Aujourd’hui, face à leurs appels à l’aide, les banques ne se montrent pas toujours très engageantes… Pour favoriser la reprise, la Région est aussi en train d’acheter des masques et du gel en quantité massive.
Pensez-vous que les collectivités locales bénéficient d’assez de compétences pour gérer la crise ?
J’aimerais que l’État nous “lâche la grappe”. Nous ne disposons pas d’une marge de manœuvre suffisante. Ainsi, les fonds de solidarité régionaux et intercommunaux chargés de combler « les trous dans la raquette » du fond de solidarité nationale doivent pouvoir être financés par l’emprunt compte tenu de la gravité de la crise. L’année 2021 risque d’être particulièrement difficile…
D’après certaines remontées des renseignements, la colère gronde parmi les français. A votre échelle, des citoyens normands vous ont-ils fait part de leur sentiment quant à la gestion de la crise ?
Les Français réclament l’unité nationale. Cependant, beaucoup d’entre eux se posent des questions… Comment se fait-il que nous n’ayons pas su anticiper la crise ? Pourquoi l’Allemagne s’en sort-elle mieux que nous ? Quid des masques et des tests ? Pourquoi n’avons-nous pas davantage protégé les Ehpads alors qu’il est évident que nous allons vers la catastrophe ? Faute de tests généralisés et de masques, nous n’avons pas su protéger nos anciens. Tant qu’on ne teste pas et que l’on n’isole pas, la France restera une cocotte-minute. Je me demande encore pourquoi les laboratoires vétérinaires, hautement équipés et prêts à soutenir l’effort médical, ont mis tant de temps à être réquisitionnés par l’État pour produire des dizaines de milliers de tests par jour.
Permettez-moi cette comparaison avec 2008, lors de la crise H1N1. Lors des réunions quasi quotidienne autour du chef de l’État, pour anticiper l’arrivée du virus, j’entends encore Nicolas Sarkozy dire à Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, de laisser parler ceux qui trouvent que le Gouvernement en faisait trop alors que « lorsqu’il s’agit de risques pandémiques aussi grave, on n’en fait jamais assez trop. »
Source : Valeurs Actuelles