À la veille du premier rassemblement des élus pour les libertés locales visant à secouer le Gouvernement qui applique une politique affreusement centralisatrice, à contre-courant du processus de décentralisation que l'on peut observer dans les autre pays, Hervé Morin, Président de la Région Normandie et des Régions de France, s'est entretenu avec le journal Le Figaro pour faire entendre la voix des territoires !
LE FIGARO : Vous mobilisez de nombreux élus locaux à Marseille. Quel est votre message et à qui l'adressez-vous ?
Hervé MORIN : Les territoires sont en colère. Chaque congrès des Régions de France rassemble environ 700 élus et ils étaient déjà 1400 inscrits la semaine dernière. Notre message est simple: adaptons l'action publique au monde moderne. Le redressement de la France passe par des politiques nationales portées par l'État mais aussi par les territoires, pour toutes les politiques de proximité. Ce message, nous l'adressons à celui qui concentre tous les pouvoirs: Emmanuel Macron.
Nous ne sommes pas en train de défendre nos propres pouvoirs ou de réclamer de l'argent, nous voulons simplement rappeler que ces politiques de proximité, au nom de l'efficacité et de la démocratie, doivent être gérées par des pouvoirs locaux responsables, réactifs et autonomes, comme cela est le cas dans tous les pays d'Europe. Nous dénonçons aussi l'absence de ligne stratégique de la France: il est absurde, après avoir créé des régions de taille européenne, en 2016, de leur retirer des compétences en 2018.
Quelle est votre légitimité politique pour poser cette exigence ?
Nous la tenons du suffrage universel et il y a eu au moins autant de participation aux élections régionales qu'aux législatives. Les présidents de région connaissent les territoires et leurs spécificités. Quand on veut s'adresser à nous, on sait où nous trouver alors qu'un fonctionnaire de Bercy est inatteignable. Aussi, qui peut penser que certaines politiques comme celles de l'apprentissage, du logement, du mixte énergétique ou de la transition écologique peuvent être décidées dans des bureaux à Paris ?
Tous les présidents de région sont-ils sur la même ligne ?
Oui. Tous signeront l'appel pour la défense des libertés locales que Dominique Bussereau, François Baroin et moi-même dévoilons à Marseille.
Édouard Philippe semble minimiser l'impact des associations d'élus, la ministre Jacqueline Gourault ne sent pas cette défiance sur le terrain et Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, critique votre gestion en Normandie… Que leur répondez-vous ?
Gérald Darmanin est télécommandé par Sébastien Lecornu (secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et ex-président du département de l'Eure, NDLR) dans la perspective des futures élections régionales. Ils sont très proches. C'est de la politique politicienne. Tous mes indicateurs régionaux sont meilleurs que la moyenne nationale alors que la Normandie avait toujours été dans les profondeurs des classements. Nous avons créé un écosystème favorable aux entreprises qui est salué par tous. M. Darmanin ferait mieux de se préoccuper de la dépense publique. On se souviendra de lui comme du ministre du Budget qui aura été à l'origine des prélèvements obligatoires les plus élevés de l'OCDE et de la baisse du pouvoir d'achat des Français… Quant aux autres, je les connais trop pour penser qu'ils seraient déconnectés de la réalité.
Pourquoi les relations entre l'État et les territoires sont-elles dans cet état ?
Il y a un faux-semblant d'écoute. Dès que l'on a le malheur d'apparaître désagréables à l'égard du gouvernement, immédiatement après l'on découvre des arbitrages défavorables. On nous traite comme des enfants dans une cour d'école. Aujourd'hui, le pouvoir est entre les mains d'une technocratie qui a échoué depuis trente ans. C'est la revanche de la technostructure qui n'a jamais supporté la décentralisation. Un exemple surréaliste en témoigne: la rumeur parle d'un retour entre les mains du ministère de l'Agriculture de la gestion du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), contrairement aux propos d'Emmanuel Macron, qui m'avait dit exactement le contraire lors du Salon de l'agriculture au printemps dernier. Si la France ne prend pas ce tournant de la décentralisation de la PAC comme l'Allemagne, toute politique régionale pour notre agriculture sera condamnée.
Le gouvernement semble inciter ses ministres à vous tendre la main. Que lui répondez-vous?
Nous ne sommes pas dans une posture politicienne. Le cauchemar que vit l'Italie, qui a basculé dans le nationalisme, nous guette. Nous, nous voulons la réussite de la France. Et, si nous sommes prêts à discuter, nous n'irons plus autour de la table pour rien.