07.09.2018

Grand entretien de rentrée d'Hervé Morin dans Le Point

Hervé Morin, Président de Les Centristes, de la région Normandie et des Régions de France, a accordé un entretien au magazine Le Point. Il revient sur la politique hypercentralisatrice d'Emmanuel Macron et appelle ce dernier à un large rassemblement entre le pouvoir et les bonnes volontés, mais également entre l'État et les territoires. Entretien ci-dessous :

 

Hervé Morin : « Macron dirige le pays du haut de sa tour d'ivoire »

Le président de la région Normandie, Hervé Morin, par ailleurs élu à la tête de l'Association des régions de France, revient sur les difficultés du gouvernement. Sévère avec l'action de l'exécutif et Emmanuel Macron, qu'il juge « hypercentralisateur », il pointe du doigt la tentative d'affaiblissement du Parlement et la concentration des pouvoirs. Entretien.

 

Le Point.fr : N icolas Hulot est-il sincère quand il démissionne ?

Hervé Morin : Je le pense. C'est une évidence que l'environnement n'a pas été une priorité de ce gouvernement. Il suffit de constater l'abandon en Normandie de la filière hydrolienne pour laquelle Naval Group avait pourtant investi 250 millions d'euros à la demande de l'État. Plus généralement, sa démission incarne la difficulté à construire une écologie politique qui est sacrifiée sur l'hôtel de l'actualité, du coup politique et du temps court. L'effacement de l'avenir dans les arbitrages quotidiens n'est malheureusement pas propre à ce gouvernement. Être ministre, c'est aussi accepter le compromis et admettre qu'on ne peut être dans la pureté de l'exercice.

 

Une réaction à la nomination de François de Rugy pour le remplacer ?

L'opération de verrouillage continue ! Sortir François de Rugy du perchoir de l'Assemblée nationale en le nommant à ce ministère, c'est en effet une nouvelle manœuvre pour verrouiller encore plus le Parlement en y installant – selon toute vraisemblance – un très proche.

 

Cette démission est-elle un tournant du quinquennat ?

Totalement. Compte tenu de l'impopularité grandissante de l'exécutif, le chef de l'État doit procéder à un virage au risque d'être dans l'impuissance. Au bout de quinze mois d'exercice du pouvoir, Emmanuel Macron me fait penser au Jacques Chirac de 2002. Ce dernier avait été élu sur le rassemblement des Français face à Jean-Marie Le Pen. Il s'est immédiatement refermé sur son premier cercle et l'UMP.

Emmanuel Macron, lui, dirige le pays du haut de sa tour d'ivoire, entouré de la pensée unique de Bercy, de l'Inspection des finances et de La République en marche. Or il a oublié qu'il a fait 23 % au premier tour dans des circonstances absolument incroyables, puis qu'au second tour il a gagné face au Front national avec 4 millions de votes blancs et nuls et le niveau d'abstention le plus fort de ces cinquante dernières années. Ce qui a été confirmé au moment des élections législatives avec à peine plus de 40 % de participation, du jamais vu sous la Ve République ! Enfin, comme beaucoup de Français, je regrette qu'il se soit engagé dans une pratique du pouvoir hypercentralisatrice et sans faire preuve de suffisamment d'écoute !

 

Nicolas Sarkozy était lui aussi un hyperprésident.

C'est vrai, mais il a mené une réforme constitutionnelle où il accroissait les pouvoirs du Parlement ou créait l'exception d'inconstitutionnalité. Ce n'est pas ce qu'on voit dans celle portée par Emmanuel Macron avec une présidentialisation excessive de la Ve République. A-t-on vraiment besoin de cela pour réussir ?

 

L'affaire Benalla, les mauvais indicateurs économiques, le départ de Hulot… Y a-t-il une forme de désenchantement dans les premières notes de l'an II du quinquennat Macron ?

Depuis le début du quinquennat, il commet une double erreur : une erreur de méthode et une erreur de fond. L'erreur de méthode, c'est la concentration des pouvoirs qui apparaît par des décisions aussi dérisoires que celles d'étendre les nominations par le chef de l'État des consuls généraux, dont on sait à quel point ils sont stratégiques pour le pays… L'erreur de fond est d'avoir accumulé les décisions ou les déclarations qui amènent nombre de nos compatriotes à considérer que l'effort n'est pas partagé. Aujourd'hui, le constat fait par les Français est sévère : la morgue du pouvoir s'est exprimée à travers l'affaire Benalla et la nomination d'un ami au consulat général de Los Angeles rappelant les pratiques que le même exécutif dénonçait il y a à peine quelques mois.

Le prétendu « monde nouveau » a finalement rattrapé l'ancien ! La croissance française est la plus médiocre d'Europe. La balance commerciale s'est encore creusée. Les déficits publics repartent à la hausse, avec le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé des pays riches. Et le pouvoir d'achat des Français baisse. Enfin, on sait depuis longtemps que la théorie du ruissellement n'existe pas et n'est pas suffisante pour emmener un pays vers la confiance et la croissance. Pas plus qu'elle n'existe pour les territoires. Les grandes métropoles n'assurent pas le développement des territoires périphériques comme la France de la mondialisation heureuse ne suffit pas à tirer tout le monde vers le haut. La politique à l'égard des retraites est à cet égard caricaturale.

 

Le désenchantement s'est vu chez la plupart de ses prédécesseurs.

C'est aussi le défaut de notre Constitution qui construit un modèle autour d'un homme dit providentiel. Chaque fois, c'est vrai, on assiste à cet emballement pendant l'élection présidentielle qui feint d'entraîner le plus grand nombre pour finalement provoquer une désillusion chaque fois plus forte. Tout ne peut pas reposer sur des exercices de communication et d'excellents discours. Le chef de l'État avait théorisé la rareté de la parole présidentielle, il est finalement éminemment bavard. Je crains que nous nous exposions à vivre le phénomène que connaît l'Italie qui a élu Matteo Salvini, le populiste, après avoir cru en Matteo Renzi, le réformateur.

 

Parmi les plus critiques de l'action d'Emmanuel Macron, il y a les territoires. Sont-ils les grands oubliés de ce début de quinquennat ?

J'ai entendu le discours décentralisateur et girondin qu'il a tenu lors du congrès de l'Association des maires de France (AMF) l'an dernier. J'y ai cru. Dans les faits, il ne se traduit pas. Le chef de l'État doit, comme le demandent les associations d'élus, sortir du spectre de la recentralisation, source d'inefficacité. Il doit écouter les grands élus qui connaissent les territoires, bâtir un pacte de confiance avec eux, voilà ce dont nous avons besoin. Tous les pays européens qui laissent une large place aux pouvoirs locaux en misant sur la décentralisation ou le fédéralisme sont ceux qui réussissent le mieux ! La modernité, c'est des pouvoirs proches, capables d'innover, d'expérimenter et de répondre rapidement en conduisant des politiques différenciées selon les territoires, ce que l'État par essence ne peut pas et ne sait pas faire.

À la suite des réductions d'effectifs de l'administration de l'État dans les territoires, l'État déconcentré est désormais faible et souvent démotivé alors qu'il devrait être fort sur les questions régaliennes et passer la main aux collectivités sur les politiques de proximité telles que la formation professionnelle, les transports, les ports, les politiques agricoles du second pilier de la PAC ou l'emploi, etc. Sur ces sujets-là, Emmanuel Macron n'a fait aucun progrès. Aujourd'hui, nous avons un État qui empêche de faire. J'ai par exemple voulu créer un fonds d'investissement afin de permettre aux pêcheurs normands d'acheter des bateaux neufs. Pour cela, j'ai construit une ingénierie financière détaillée et qui fonctionnait. Pendant treize mois, l'État m'a dit que c'était impossible de mener ce projet parce que ça ne se faisait nulle part ailleurs en France. Le mois dernier, j'ai reçu un courrier de la Commission européenne m'assurant que c'était parfaitement réalisable. C'est la vie quotidienne des élus !

 

Deux cents euros de moins pour un permis de chasse, n'est-ce pas un signe en direction des territoires ruraux ?

Je suis chasseur. Si le chef de l'État croit que c'est avec un chèque de 200 euros qu'il va se réconcilier avec les territoires ruraux, il est clairement à côté du sujet. Et ceux qui viennent chasser en Sologne seront heureux de payer leur permis deux fois moins cher… Et surtout si on voulait une caricature de la centralisation excessive du pouvoir, avec cet exemple, nous l'avons ! Vous croyez que c'est au président de fixer le prix du permis de chasser ?

 

Ce début de deuxième année difficile, n'est-ce pas l'occasion pour les oppositions de bomber le torse ?

Je considère par exemple que sur le champ du soutien aux entreprises, Emmanuel Macron a porté un message et des mesures positives. Sa politique en faveur de l'investissement est bonne. Il a également su redresser l'image du pays à l'étranger après le quinquennat Hollande. Aujourd'hui, le pouvoir a besoin de tous les relais et de toutes les bonnes volontés pour faire réussir la France. J'appelle donc Emmanuel Macron à un vaste mouvement de rassemblement. C'est le seul moyen d'entraîner notre pays, nos territoires et nos compatriotes dans une dynamique positive. Emmanuel Macron se trompe quand il reproche aux Français d'être conservateurs et de refuser les réformes. En réalité, ils ont accepté énormément de changements.

Je pense à l'agriculteur qui a transformé ses conditions de production en 30 ans et qui continuera à le faire dans les prochaines années, à l'ouvrier de chez Renault qui a accepté d'importantes concessions sur ses conditions de travail pour sauver son entreprise, aux facteurs qui acceptent de diversifier leur activité en proposant de nouveaux services ou encore au patron de PME qui n'a d'autre choix que d'intégrer le digital s'il ne veut pas mettre la clef sous la porte. En Normandie, je pense aux fonctionnaires qui ont porté avec moi la fusion des deux anciennes régions et aux 700 d'entre eux qui ont accepté de changer de métier. Enfin, si les Français étaient si réfractaires au changement, pourquoi les embauche-t-on autant dans le cœur du libéralisme pur et dur que représentent Londres ou la Silicon Valley ? La réalité, c'est que seul l'État refuse de se réformer ! Sur ce sujet, Emmanuel Macron se laisse bercer par le chant des sirènes de la technocratie régnant dans les cabinets ministériels et à Bercy.

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