Retrouvez ci-dessous la tribune parue dans l'Opinion d'Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe et délégué général Les Centristes en charge des relations internationales sur la situation géopolitique dans la région du Golfe !
Nous n’en avons pas encore fini avec la crise du Golfe, qui oppose depuis une quinzaine de mois l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn au Qatar.
L’hostilité et la méfiance restent de mise entre les différents protagonistes de cette affaire, comme l’illustrent les dernières révélations du New York Times : Abou Dhabi a missionné une société de cyber-espionnage israélienne, NSO, pour mettre sur écoute une série de personnalités qataries, dont l’Emir lui-même.
Mais surtout, les recompositions géopolitiques en cours dans la région, avec la convergence, toujours plus étroite, entre Moscou, Téhéran et Ankara sur le dossier syrien, pourraient bien rebattre les cartes. Car Doha, mise à l’index par ses voisins proches, les pays du blocus, semble de plus en plus vouloir se rapprocher de ce bloc.
En décidant de doubler les tarifs sur les exportations d’acier et d’aluminium en provenance de Turquie (une décision qui a fait dévisser la livre turque) et en décidant de couper les fonds accordés à l’agence onusienne pour l’accueil des réfugiés palestiniens (UNRWA), le président américain Donald Trump a déstabilisé l’équilibre régional, pensant faire le jeu de ses deux partenaires saoudiens et israéliens.
L’Arabie Saoudite lui a emboîté le pas en s’attaquant de nouveau au Qatar. Certains prêtent même à Riyad le secret espoir de « changer la géographie » en creusant un canal le long de 60 km à la frontière entre le Qatar et l’Arabie Saoudite (entre Salwa et Khawr Al-Udayd), pour transformer le Qatar en île !
Dans ce jeu subtil fait de rumeurs et de critiques à peine voilées, c’est pourtant l’Arabie Saoudite qui a le plus à perdre, car la donne stratégique est en train de changer.
Le Qatar - comme la plupart des Etats du Golfe et la Turquie - avait soutenu financièrement et militairement la rébellion engagée pour faire chuter Bachar el-Assad en 2011, en Syrie. Nonobstant les sommes mirifiques dépensées par Ankara et Doha en Syrie - on évoque la somme de trois milliards de dollars engagée par chacun depuis 2013 - la Realpolitik semble s’être imposée dans un scénario alors un peu trop bien huilé par ceux qui, à l’instar de MBS, souhaitaient présenter à la nouvelle administration Trump l’image d’un « front uni » pour contrer la politique mortifère menée par le pouvoir syrien et imposer un changement de régime à Téhéran.
Désormais, l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Russie réunissent leurs Etats-majors pour envisager des coopérations opérationnelles en matière de lutte anti-terroriste. Les mêmes, peu ou prou, auxquels s’ajoutent la Turquie, « envisagent » la réconciliation et la reconstruction en Syrie, conjointement à Astana, au Kazakhstan, plutôt qu’à travers le seul « prisme » onusien, qui a, du reste, montré ses limites, en Syrie, en Libye et vis-à-vis de la crise dans le Golfe persique.
Dans cette « guerre par procuration » caractérisée par la recherche d’une certaine forme de « profondeur » diplomatique via intermédiaires (Proxies) au Yémen, en Syrie, au Liban ou en Irak, le Qatar semble se rapprocher des positions de Moscou, Ankara et Téhéran. Doha a ainsi promis d’investir 15 milliards de dollars pour soutenir l’économie et la devise turque.
Choix évidemment guidé par la géographie et l’économie - notamment sur le plan énergétique - mais également mû par un vrai pari « stratégique », qui vise à considérer que le renforcement de la relation américano-qatarie des derniers mois, sur le plan économique et sécuritaire ne suffira pas sortir Doha de « l’ornière » dans laquelle l’Arabie Saoudite veut pousser le Qatar au sens propre comme au figuré.