Monsieur le Président,
Madame le Garde des Sceaux,
Mes chers collègues,
Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. Près d’un an après que le Président de la République ait estimé - devant le Parlement réuni en Congrès - que la burqa ne saurait être admise en France, près d’un an après la création au sein de notre assemblée d’une mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, c’est en nous apprêtant à inscrire cette courte phrase dans les lois de la République que nous abordons ce soir l’ultime étape d’un débat en tous points exemplaire : d’un débat où le Parlement aura été en mesure de jouer tout son rôle, d’un débat, aussi, qui aura laissé toute sa place au consensus républicain.
Y aurait-il eu, voici un an, une majorité dans notre assemblée pour adopter ce texte ? Une pratique au fond marginale, limitée sur notre territoire à quelques 1900 femmes, et par ailleurs difficile à appréhender dans sa globalité, méritait-elle ou justifiait-elle vraiment une réponse du législateur ? N’était-ce pas là stigmatiser inutilement, dans une société ébranlée par la crise économique, un grand nombre de nos concitoyens ? Nombreux aurions nous été, alors, sur tous les bancs de cette assemblée à exprimer nos doutes et nos réserves.
Pour autant, et en dépit de certaines apparences, ce débat ne fut pas une simple répétition de celui qui avait, voici à peine quelques années, accompagné l’adoption de la loi sur le port de signes religieux à l’école. Ce n’était pas un débat sur la laïcité, et l’intitulé du projet dont nous discutons en atteste.
Au fil des travaux conduits par nos collègues André Gérin et Eric Raoult, ce sont d’autres questions qui sont apparues : celle d’abord de la place et du rôle de la femme dans notre pays ; celle ensuite de ses droits dans la République ; mais également celle, tout aussi cruciale, de l’idéal de société qui sous-tend le projet républicain lui-même.
Grâce au débat, nous avons été nombreux à voir évoluer nos positions respectives. Voici quelques semaines, nous avons vu majorité et opposition s'accorder sur le diagnostic comme sur le sens de la réponse qu’il appartenait à la République d’adresser au développement de la pratique du port du voile intégral.
En adoptant à l’unanimité la résolution sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, nous avons choisi, ensemble, de proclamer cet idéal républicain, ces valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui nous rassemblent et s’opposent à ce que des femmes puissent, sur notre territoire, porter ou subir la loi du voile intégral.
Au-delà des opinions de chacun, ce sont les termes du débat qui ont eux-mêmes évolué, et il ne s’agit plus désormais de s’interroger sur l’opportunité d’une mesure d’interdiction mais bien plus sur ses modalités pratiques - interdiction générale ou non - ainsi que sur la viabilité juridique d’un tel instrument devant le Conseil constitutionnel ou devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans son avis rendu public en mars dernier, le Conseil d’Etat estimait ainsi qu’une interdiction du port du voile intégral ne pourrait trouver de fondement juridique incontestable. En d’autres termes, le fait de contraindre une femme à porter le voile intégral pouvait certes être élevé en infraction par le législateur, mais rien ne pouvait, au regard notamment des droits et libertés garantis par la Constitution, empêcher une femme de le porter de son plein gré.
Dès lors mes chers collègues, c’est une question bien plus fondamentale encore qui nous est posée ce soir et qui sera, tôt ou tard, posée au Conseil constitutionnel. Offrir à chacun la possibilité de reconnaitre celui ou celle avec qui il échange, discute ou entre en contact était jusqu’alors une convenance sociale tacitement admise par tous, en d'autres termes, un contrat social tacite qu’il n’était ainsi pas nécessaire de formaliser dans un texte de loi. Ce contrat social se trouvant remis en cause, la puissance publique peut-elle encore défendre et garantir, dans une société moderne, ce seuil minimal de valeurs partagées en deçà duquel des individus se trouvant sur un même territoire cessent de former une société ?
Tous ici, mes chers collègues, nous sommes attachés à ces principes intangibles qui veulent que l’Etat ne dispose pas sur ses citoyens d’un pouvoir sans limites : tous ici nous sommes attachés à la garantie - dans un état de droit - des libertés individuelles. Mais nous ne saurions - à peine de renoncer à tout projet de société, à peine de renoncer à tout idéal de fraternité - les confondre avec un quelconque droit à la souveraineté individuelle.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous estimons que le législateur est bel et bien légitime à garantir et protéger ces règles minimales qui fondent et structurent notre vivre-ensemble républicain ; et c’est à ce titre que les députés du Nouveau Centre apporteront leur soutien à ce projet de loi.
Il ne s’agit pas de déclarer ce soir brusquement hors-la-loi ces quelques 1900 femmes, de les bannir définitivement de l’espace public pour les condamner à une seconde mort sociale. Non seulement ce projet prévoit une période transitoire de médiation et d’explication, mais plus qu’une simple mesure d’interdiction, celui-ci constitue bien une réponse globale au problème du voile intégral, équilibrée entre les besoins de sanction, de prévention et de pédagogie.
Ainsi, si la peine sanctionnant le fait d’imposer, par menace, violence, contrainte, abus d’autorité, à une ou plusieurs personnes de dissimuler leur visage se veulent sévères et par là dissuasives - un an d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende et le double en cas de victime mineure - celle sanctionnant cette fois le fait de porter de son propre chef une tenue destinée à dissimuler son visage ne s’élève pour sa part qu’à 150 euros, un stage de citoyenneté pouvant être prescrit sur décision du juge, en complément voire en substitution de cette peine principale. Autrement dit, c’est le dialogue et la pédagogie qui primeront dans ce cas précis sur la sanction.
Mes chers collègues, cette loi en sera-t-elle pour autant applicable ? Ne risque-t-elle pas plutôt de révéler au grand jour de nouvelles zones de non-droit, celles où l’on ne se hasardera pas à faire appliquer cette interdiction ? Convenons-en, l’interdiction générale pose en réalité moins de difficultés que ne le ferait une interdiction partielle, mesure qui souffrirait par ailleurs d’un manque flagrant de cohérence : comment une pratique pourrait-elle être contraire à la dignité de la personne humaine et aux valeurs de la République dans certains lieux, et totalement neutre dans d’autres ?
Pour autant, mes chers collègues, l’application de cette loi ne sera pas aisée et nous ne négligeons en rien le poids de la mission dont nous chargeons nos forces de sécurité. L’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public passera avant tout par un important travail de dialogue et de médiation, et il appartiendra à ce titre au Ministère de l’Intérieur d’organiser en direction de ses agents des formations dédiées.
Mes chers collègues, ce débat ne prend pas fin ce soir, il ne cessera en réalité que lorsque cesseront ces pratiques radicales que nous nous accordons tous à condamner. Ce qui importe aujourd’hui, c’est qu’enfin valeurs et principes coïncident sur ce point avec les lois de notre République.
Je vous remercie.