24.09.2014

Débat sur l'intervention des forces armées françaises en Irak : intervention de Philippe Vigier

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Mes chers collègues,

Depuis le mois de janvier 2014, un véritable drame se joue en Irak : 25.000 civils ont déjà été les victimes de la barbarie du groupe terroriste Daech, également connu sous le nom d’Etat Islamique. A ce jour, on ne dénombre pas moins de 8 500 morts.

Près de 2 millions de personnes ont été déplacées. Il y a seulement 72 heures, la ville de Kobane, située dans le territoire Kurde syrien, est tombée. Elle était assiégée par Daech depuis des semaines. Ce sont près de 130 000 kurdes de Syrie qui ont fui vers la Turquie.

Selon l’ONU, des centaines de milliers pourraient suivre.

Les pires scénarios sont désormais possibles. Ils doivent être envisagés.

Nous saluons, monsieur le Premier ministre, le ton, empreint de gravité, et l’esprit de responsabilité et d’unité qui a marqué votre discours.

Comme nous l’avons fait pour l’intervention au Mali mais également en Centrafrique, les députés du Groupe UDI ont apporté leur soutien au Président de la République et au Gouvernement dès les premières frappes françaises en Irak, vendredi dernier.

Nous renouvelons aujourd’hui notre soutien à cette opération, animés par un esprit de responsabilité et forts de la conviction qu’en cet instant, l’union nationale doit prévaloir sur toutes les autres considérations.

Au nom du Groupe UDI, je veux avant tout de saluer l’action des militaires français, qui servent leur pays avec courage et abnégation, qui s’engagent pour les valeurs que nous avons ici tous en partage, parfois au prix de leurs vies. Ils sont et font la fierté de la France.

Cet engagement de la France en Irak doit répondre à deux questions :

Première question : la France devait-elle intervenir ?

Oui, sans réserve car la ligne rouge a été franchie et l’immonde a été atteint avec la persécution des minorités. Je pense aux Yézidis mais également aux Kurdes, aux chrétiens d’Irak et plus récemment aux décapitations insupportables des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff et de l’humanitaire écossais David Haines. Je veux saluer leurs mémoires.

Oui, la France doit intervenir car le danger islamiste qui menace tant au plan national qu’au plan international, c’est l’affaire de tous. Il en va de notre sécurité.

La récente prise d’otage en Algérie de notre compatriote Hervé GOURDEL, par un groupe lié à l’Etat Islamique, démontre que nos démocraties sont en danger. Ces terroristes sont prêts à frapper partout dans le monde et la France est directement menacée.

Les évènements d’hier qui ont vus trois présumés djihadistes français revenir de Syrie sur notre territoire sans être inquiétés nous interroge sur la capacité de l’Etat français à protéger sa propre population.

Monsieur le Premier Ministres,

Nous le savons bien, la menace est réelle. Notre engagement est donc nécessaire.

Cet engagement, c’est l’expression de la voix singulière de la France qui résonne dans le monde, la voix d’un pays qui porte les droits de l’homme, d’un pays qui porte le progrès et les libertés en étendard et qui se lève chaque fois que ces valeurs sont mises en danger et qu’elles sont menacées par les extrémismes de toutes sortes.

Il faut donc lutter, avec nos partenaires, contre Daech comme nous le faisons au quotidien contre Al- Quaida car ne nous y trompons pas, si les deux mouvements divergent dans leurs tactiques militaires, leurs buts et leurs sombres desseins demeurent les mêmes.

Rappelons que Daech, c’est une armée de 20.000 à 30.000 djihadistes, dotée d’un trésor de guerre estimé à plus de 2 milliards de dollars.

Cet engagement de la France doit répondre à une seconde question : la France peut-elle intervenir ?

Oui, elle le peut mais le Gouvernement doit dire la vérité aux Français sur les réalités stratégiques que cette intervention implique et répondre directement aux nombreuses interrogations qu’elle soulève.

Combattre Daech, c’est une implication bien plus importante que quelques frappes car on n’éradiquera pas l’hydre Daech en frappant uniquement sa tête en Irak.

Daech veut construire un califat génocidaire dans la région, rassemblant les Sunnites de Syrie et d’Irak sur le territoire de ces deux pays.

N’oublions pas que c’est en Syrie que Daech puise ses ressources humaines et logistiques et qu’il est soutenu financièrement par plusieurs puissances de la région, de la même façon que les crises malienne et centrafricaine étaient nourries d’interaction avec des pays voisins.

Lundi dernier, il y a seulement 48 heures, cette guerre a changé d’échelle avec la mise en place d’une coalition composée des Etats-Unis et de cinq pays arabes.

Il y a donc bien, Monsieur le Premier ministre, une régionalisation du conflit.

Cette implication des pays de la Ligue arabe est essentielle car elle permet de démontrer que ce n’est pas l’occident qui cherche à imposer un modèle démocratique mais qu’il s’agit d’une lutte internationale contre le fondamentalisme.

Je voudrais dire un mot sur le rôle de l’Iran, qui pour différentes raisons, est par ailleurs sur le terrain aux côtés des Peshmergas kurdes pour stopper l’offensive de Daech.

La communauté internationale, et la France en particulier, redoute qu’un nouveau conflit se ravive au Liban, dont la situation politique et institutionnelle est fragile.

Lors de la conférence de Paris, le 15 septembre dernier, le Président de la République a écarté « toute implication » de la France – je le cite - pour des bombardements en Syrie.

Qu’en est-il maintenant ? La position de la France est-elle toujours la même ?

Le Président de la République, lors de la conférence de presse de vendredi dernier, s’est montré déterminé, évoquant autant la sécurité des populations Irakiennes que Françaises. Mais l’offensive de Daech fait courir un vrai risque d’extension du conflit aux pays voisins de l’Irak ce qui aurait pour conséquence de mettre en danger des populations au Liban ou en Jordanie, qui vient d’ailleurs de fermer sa frontière.

On sait également que l’Arabie Saoudite a renforcé ses positions militaires le long de sa frontière avec l’Irak.

Que serait alors l’attitude de la France eu égard à notre responsabilité particulière vis-à-vis du Liban ?

Mais une autre question est majeure : où est l’Europe alors que sa sécurité est aussi mise en péril comme le Président de la République l’a rappelé la semaine dernière ?

Comment est-il possible que l’Europe, comme lors des interventions au Mali et en Centrafrique, soit encore dramatiquement absente ?

De la même façon, la répartition des tâches entre Etats-Unis et Europe se pose. Rappelons que cette opération en Irak a été engagée sans nous et nous avons longtemps été exclus de sa préparation en amont.

En août dernier, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, demandait fort justement à ses 27 collègues européens de sortir de leur torpeur face au drame irakien.

Pourquoi alors ne pas les avoir réunis ces derniers jours pour les associer et proposer une initiative commune européenne, juste avant que la France ne démarre ses bombardements ?

Si le soutien humanitaire et financier de l’Europe est utile, il ne sera jamais à la hauteur des enjeux auxquels l’Europe est confrontée. Afin que l’Europe prenne toute sa place sur la scène internationale, une véritable Europe de la Défense doit être mise en place.

Et la France doit porter cette ambition en fédérant nos partenaires européens.

Nous devons être le moteur d’une Europe capable de parler d’une seule voix et d’agir comme un seul homme lorsque les enjeux sont si graves.

Une autre question majeure se pose : une telle intervention de la France serait-elle encore possible sur d’autres théâtres d’opération ? La France sera-t-elle en mesure de continuer à défendre ses valeurs fondamentales que sont la démocratie, la liberté et la lutte contre le terrorisme ?

Le dernier Libre Blanc de la Défense ainsi que les budgets pour 2013 et 2014 ont mis en lumière l’incohérence entre ambitions stratégiques et contraintes budgétaires.

Les opérations menées en Côte-d’Ivoire, en Libye, en Afghanistan, au Mali, en Centrafrique et maintenant en Irak, sont une preuve supplémentaire, si besoin en était, de la nécessité de maintenir le budget de la défense à un niveau suffisant pour les années 2015 et suivantes, sachant que les dépenses militaires ont augmenté de plus de 50 % dans le monde depuis 2001.

Nous vous posons également la question du budget consacré aux OPEX déjà dépassé pour 2014. Pouvez-vous, dès à présent, nous dire la vérité sur les efforts supplémentaires qui seront demandés aux autres départements ministériels pour financer ces nouvelles opérations ?

Le Groupe UDI le répète donc aujourd’hui solennellement : la Défense ne supportera une nouvelle diminution de son budget. Il en va non seulement de la sécurité de notre pays et de tous les français, mais aussi de la grandeur et de l’honneur de la France.

Monsieur le Premier Ministre,

Comme vous, nous sommes convaincus qu’une intervention aérienne de la France en Irak était nécessaire.

Aux côtés des Etats- Unis et de la France, une large coalition internationale doit désormais s’unir dans la lutte contre les terroristes de Daech. Chaque pays est concerné, puisque des combattants du monde entier, y compris venant de France, viennent grossir les rangs de Daech.

C’est une réponse globale qui doit être apportée, à la fois militaire mais également politique, pour que soit trouvée une solution durable là où est né ce mouvement terroriste, en Syrie.

Il est de la responsabilité de la France de mobiliser la communauté internationale autour d’initiatives diplomatiques. Il s’agit d’une exigence pour notre groupe, pour que l’intervention que nous soutenons aujourd’hui puisse être utile demain à la paix et la stabilité de cette région et du monde.

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