« Le Front National est aux portes du pouvoir ».
Ces mots, ce sont les vôtres, Monsieur le Premier ministre. Nous les faisons nôtres, persuadés qu’ils résonnent en chacune des consciences des parlementaires, au-delà même de la question de confiance que vous posez aujourd’hui.
Ils dépeignent un peuple meurtri et réfugié dans la défiance ou l’indifférence, une République en laquelle on ne croit plus, une Nation inquiète pour son destin.
Oui, la France est rongée par la souffrance, celle de la dureté du quotidien.
Oui, la France est plongée dans la désespérance, celle de la peur du lendemain.
La France a aujourd’hui le visage des familles qui ont du mal à joindre les deux bouts, le visage de ces hommes et de ces femmes qui vivent dans la hantise de perdre leur emploi, le visage de ces ouvriers dont les vies ont été brisées par les licenciements sauvages, le visage de ces retraités pauvres, le visage d’une jeunesse inquiète pour son avenir.
Cette France a la gorge nouée de colère. Lors des dernières élections, elle a exprimé fortement sa frustration, son exaspération et sa détresse.
Elle a sanctionné les promesses non tenues sur la baisse du chômage, dénoncé la pression fiscale et la faiblesse du pouvoir d’achat.
Elle a dit sa peur de voir les piliers de la République s’effondrer un à un et la cohésion sociale voler en éclats. Elle a crié son angoisse de ne plus avoir de perspectives.
Comment, d’ailleurs, ne pas comprendre cette angoisse quand tous les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge et que les efforts immenses qui ont été demandés n’ont produit aucun effet ?
La croissance est nulle, le chômage atteint mois après mois des niveaux records, la dette explose et la réduction des déficits publics est sans cesse repoussée.
Le pacte social est fragilisé.
Ces échecs, dont vous devrez répondre, ont achevé de discréditer la parole publique.
Jamais, en réalité, le fossé n’aura été aussi grand entre l’importance donnée aux petites phrases, aux querelles politiciennes, à l’emballement médiatique et la réalité quotidienne que vivent les Français.
Jamais nos concitoyens n’auront tant souffert du sentiment que ceux qui leur demandent tant d’efforts s’accordent faveurs, largesses et privilèges.
Jamais notre légitimité à parler pour ceux que nous représentons n’a été autant contestée.
Monsieur le Premier Ministre,
Il y a aujourd’hui quelque chose de grave dans la question de confiance que vous posez à la représentation nationale.
L’ignorer reviendrait à passer à côté des enjeux essentiels que soulèvent ce vote de confiance.
Nous vous répondrons par conséquent avec la gravité et la responsabilité qu’exige, de vous comme de nous, la situation de la France.
Disons-le sans détours : ni vous, ni la majorité, ne portez seuls la responsabilité de la crise.
Vous êtes entré, monsieur le Premier ministre, en responsabilité après une première partie de quinquennat marquée par les erreurs et les errements.
Si nous jugeons durement l’action de la majorité, nous savons aussi que ses marges de manœuvres dépendent en partie des choix de ses prédécesseurs.
Pour autant, l’héritage, que vous invoquez sans cesse pour justifier vos absences de résultats ne saurait vous absoudre des fautes que vous avez commises et qui ont enlisé la France dans la crise.
Oui, François Hollande devra répondre des promesses mensongères et irréalistes du Bourget.
C’est votre majorité qui devra répondre de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires et de la suppression des allégements de charges que nous avions décidés.
Vous n’avez depuis cessé de courir après ces fautes économiques et sociales.
Vous n’avez pas su prendre les décisions courageuses pour réduire les dépenses publiques.
Vous avez asphyxié la France d’impôts et mis à l’arrêt l’ensemble des moteurs de l’économie en vous attaquant à des secteurs vitaux pour l’emploi.
Vous avez fragilisé durablement la confiance des entreprises et des ménages, en enterrant la promesse de pause fiscale et en échouant à inverser la courbe du chômage.
Nous ne nous sommes jamais livrés aux jeux des oppositions stériles et artificielles qui fatiguent la France, la maintiennent dans sa torpeur et l’interdise de travailler à la construction de son destin.
Nous ne le ferons pas plus aujourd’hui, car nous avons l’intime conviction que vos difficultés pourraient être les nôtres, que la crise morale qui fragilise nos institutions nous oblige à souhaiter votre réussite au service de la France.
La France vit à crédit depuis 40 ans parce que nous avons tous contribué à alourdir le fardeau de la dette, élections après élections, promesses après promesses.
Le chômage augmente car nous avons trop longtemps repoussé les décisions indispensables pour que nos entreprises et nos salariés puissent se confronter à la mondialisation, en saisir les opportunités, et se protéger de ses dérives.
La cohésion sociale se dégrade car le projet républicain ne fédère plus.
Regardons la réalité en face : nous n’avons pas su le faire vivre et lui donner du sens alors qu’une France nouvelle se dessinait sous nos yeux. La République ne protège plus.
Elle produit et elle entretient des inégalités. Elle crée crispations, peurs et rejet.
Les Français ne croient plus en la politique car ils pensent que nous ne comprenons pas leurs souffrances, que nous ne pouvons plus incarner leur espérance, qu’ils ne peuvent plus nous faire confiance.
Au nom de cette responsabilité lourde que nous avons en partage, le Groupe UDI a toujours porté une opposition constructive.
Le 3 juillet 2012, en réponse au discours de politique générale de votre prédécesseur, Jean-Louis Borloo avait annoncé que notre groupe serait la vigie lucide, indépendante et exigeante de cette législature.
Jamais, depuis, nous n’avons manqué à cette triple exigence.
Nous avons ainsi dénoncé avec force les fautes, les erreurs et les errements commis par votre majorité. Nous vous avons alerté sans relâche sur les graves conséquences de décisions idéologiques.
Nous avons également soutenu certains projets de loi, aussi imparfaits soient-ils, lorsqu’ils allaient dans le sens de l’intérêt supérieur du pays.
Nous nous sommes enfin toujours employés à formuler des propositions constructives pour sortir de la crise.
Monsieur le Premier Ministre,
Vous promettiez ici même le 8 avril 2014, vérité, efficacité et confiance. Ces principes sont restés lettre morte.
Le pacte de responsabilité et de solidarité en est la triste illustration. Au nom de l’intérêt général, Jean-Louis Borloo avait pourtant annoncé que nous étions prêts à le soutenir, s’il constituait le sursaut économique et social tant attendu par la France.
Le groupe UDI avait exprimé la même bienveillance lors de votre discours de politique générale, ainsi que lors de la présentation du programme de stabilité, ce qui avait conduit à l’abstention d’une majorité d’entre nous.
Vous affirmiez être à l’écoute de l’opposition. Vous affirmiez également que la voie du dialogue serait toujours ouverte.
Malheureusement, il n’en a rien été.
Notre opposition constructive n’a rencontré aucun écho au sein d’une majorité fragilisée par ses divisions, prisonnière de son dogmatisme, majorité dont les membres ont préféré débattre des orientations de la gauche entre eux plutôt que de la France avec nous.
Vous avez refusé d’amplifier les baisses de charges. Vous avez refusé d’accélérer leur entrée en vigueur comme nous le proposions.
Annoncé le 31 décembre 2013, le pacte de responsabilité ne verra le jour que le 1er janvier 2015.
Une année de plus, la troisième de ce quinquennat, aura été perdue dans la bataille de l’emploi.
Aucune réponse à l’urgence, aucune réponse non plus pour préparer l’avenir comme l’a démontré la réforme des collectivités territoriales qui est devenue une nouvelle occasion manquée lorsque vous avez choisi de dessiner une carte en catastrophe, dans le secret du bureau du Président de la République.
Vous avez laissé cette réforme être confisquée par les partis, accaparée par les baronnies locales et étrillée par les conservatismes.
Enfin, vous avez encore fragilisé la justice sociale en gelant les prestations et en vous attaquant encore une fois aux petites retraites en annonçant leur non-revalorisation au 1er octobre. Cette décision s’ajoute à la longue liste des coups portés contre le pouvoir d’achat des plus modestes.
Oui, faute de courage, faute de majorité, vous n’avez pas su tenir les engagements du 8 avril 2014.
Vous avez perdu depuis une grande partie de la confiance que plaçaient en vous vos électeurs et votre majorité, suscitant chez elle une défiance grandissante.
La confiance ne peut résider que dans la capacité à tenir ses promesses et exige d’avoir les moyens de conduire la politique que l’on souhaite mettre en œuvre.
La confiance repose sur la recherche de la vérité, sur le fait de la formuler sans détours. Rien n’est pire que le mensonge et la dissimulation car l’idée même de confiance suppose de croire en l’intelligence collective du peuple et en sa capacité à surmonter les épreuves.
La confiance, c’est faire partager la conviction sincère que rien ne se mettra en travers de l’intérêt général du pays. Ni les desseins électoraux, ni les carrières, ni les clans, ni les intérêts particuliers.
La confiance, c’est raviver la flamme d’une conscience collective du pays, associer l’ensemble des forces vives à la prise en main de notre destin pour construire une France apaisée et unie.
Il ne peut pas, il ne peut plus y avoir deux France, celle qui a confisqué la parole et celle qui plie en silence sous le poids de l’ingratitude et du manque de reconnaissance.
La confiance passe par l’exemplarité des comportements, sinon les efforts demandés sont ressentis comme injustes.
La confiance repose sur la conformité entre les paroles et les actes, sur les résultats concrets, pas sur des paris incertains sur la courbe du chômage, qui, mois après mois, nourrissent la désespérance et la colère.
La confiance, c’est tout simplement la fin du sentiment de trahison ressenti par nos concitoyens depuis trop d’années, pour qu’enfin, ils se disent à nouveau que la politique est utile.
A travers le vote de confiance, se pose aussi la question de la capacité de la gauche à gouverner. Vous avez d’ailleurs vous-même posé la question à votre majorité sans détours.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Vous êtes encore prisonnier du mensonge sur lequel cette majorité s’est construite. Vous êtes lié par un contrat qui va à l’encontre des intérêts de la France.
Vous connaissez le chemin du redressement du pays, mais il vous est impossible de l’emprunter. Car nous ne doutons pas que vous obtiendrez aujourd’hui la confiance de votre majorité, même si celle- ci est fragile et de circonstance.
Vous êtes par conséquent condamné à l’impuissance, au décalage entre les paroles et les actes et pris dans la spirale de la défiance.
Comment sortir de cette spirale ? Comment mettre de nouveau la France en mouvement ? La question nous concerne tous.
Au Groupe UDI, nous n’avons cessé de répéter qu’il fallait d’abord répondre à l’urgence : baisser massivement et immédiatement les charges, libérer le travail, engager un plan d’ampleur en faveur de l’apprentissage, relancer le secteur du bâtiment et celui des services à la personne, amplifier le développement de l’économie numérique et accélérer la transition écologique.
Nous devons aussi préparer l’avenir avec la poursuite des grands projets, tel le Canal Seine-Nord ou les LGV, réformer en profondeur l’Etat, les collectivités territoriales, la protection sociale, la santé, le paritarisme... valoriser la ressource humaine de notre Nation. Tout autant de chantiers qu’il est urgent de lancer et sur lesquels votre majorité piétine depuis le début du quinquennat.
Il y a pourtant un préalable sans lequel tenter de mener ces réformes vitales serait vain : il est absolument essentiel de retisser le lien avec les Français.
La question politique ne doit plus être seulement l’affaire des partis politiques, mais doit associer et mobiliser la nation toute entière.
Pour atteindre cet objectif, une nouvelle méthode de gouvernance est indispensable :
Elle doit reposer sur un discours de vérité par lequel nous fédérerons les énergies plutôt que de les opposer.
Monsieur le Premier ministre, vous avez dit : « J’aime les entreprises ». Eh bien, nous aurions préféré vous entendre dire que vous aimez les entreprises mais aussi les salariés, car leurs intérêts se confondent dans la bataille pour l’emploi et le pouvoir d’achat.
Au groupe UDI, nous voulons privilégier le dialogue social, la consultation en amont, afin de tirer profit des expériences et des expertises, plutôt que la production à la hâte, sous le coup de l’émotion, de mesures bancales et imparfaites.
Nous nous appuierons sur l’écoute, le compromis, le rassemblement le plus large possible, en dépassant les considérations partisanes et corporatistes, pour engager les transformations profondes et en faire des mutations irréversibles.
Nous encourageons l’expérimentation territoriale et sectorielle, l’échange de bonnes pratiques, et préfèrerons le contrôle et l’évaluation à la multiplication des normes et des contraintes, qui paralysent les initiatives.
En un mot, nous libérerons les énergies.
Nous devons également redonner du sens à nos institutions, qui sont coupées des réalités quotidiennes des Français.
Instaurer une part de proportionnelle, revaloriser le rôle du Parlement, vivifier la démocratie et les libertés locales et faire enfin de la République exemplaire une réalité. Ce sont les priorités que le groupe UDI défend.
Monsieur le Premier ministre,
Autour de nous, en Europe, certains pays se sont engagés sur la voie du redressement et obtiennent des résultats : je pense à l’Italie, au Portugal, à l’Espagne, l’Angleterre ou encore l’Allemagne. Parce qu’ils ont pu s’appuyer sur un gouvernement de large rassemblement, seul capable de porter des réformes profondes.
Ce chemin est possible pour notre pays. Nous croyons en l’énergie formidable de la France, dans sa capacité éprouvée à sortir plus forte des épreuves, dans ses intelligences, ses talents et sa force de travail qui constituent la ressource la plus précieuse pour bâtir ensemble un avenir meilleur.
Pour autant, rien ne sera possible sans la confiance de nos concitoyens.
Oui, la confiance est la pierre angulaire de notre pacte républicain et de notre modèle social, l’axe autour duquel s’articulent tous nos repères dans un monde en pleine mutation.
Nous avons besoin d’une France attachée à ses valeurs républicaines, apaisée et réconciliée capable de faire entendre sa voix en Europe et dans le monde pour relever les défis immenses qui s’offrent à elle.
Cette France confiante, vous ne pouvez plus l’incarner.
Ce défi historique, vous n’êtes pas en capacité de le relever.
Vous ne disposez pas aujourd’hui des moyens nécessaires pour conduire cette mission au service de la France.
Dans ces conditions, le groupe UDI ne vous accordera donc pas sa confiance.