23.03.2009

Carrefour des Centres "Libertés sous surveillance" : Discours d'Hervé Morin

Mes Chers amis,

Après avoir débattu de l'Europe en septembre lors de notre premier carrefour des centres dans ma commune d'Epaignes ;

Après avoir réfléchi aux nouvelles solidarités le 9 février dernier à Drancy;

Nous voici aujourd'hui rassemblés à Cloyes-sur-le-Loir, cher Philippe Vigier, pour ce 3e Carrefour des Centres consacré aux libertés.

Avant d'évoquer le sujet qui nous réunit aujourd'hui, je voudrais d'abord rappeler brièvement pourquoi l'attachement aux libertés est au fondement de notre engagement politique.

Je veux que Les CENTRISTES soit le parti des libertés, de toutes les libertés.

Car la liberté ne se découpe pas. Nous militons pour une liberté déployée dans toutes ses dimensions : politique, économique et culturelle, collective et individuelle. La liberté ne se décrète pas une bonne fois pour toutes. Elle doit être sans cesse renforcée par la défense du pluralisme et fortifiée par une morale de la responsabilité.

Si la question des libertés est si centrale dans notre réflexion politique, c'est justement parce qu'elle se situe au carrefour des combats que nous menons pour une société plus juste, plus solidaire, plus humaniste, plus responsable et plus européenne.

La liberté, nous la chérissons parce qu'elle contribue à l'esprit de responsabilité. Face à la crise actuelle qui est la conséquence de tant de comportements irresponsables, il nous faut porter le flambeau de la liberté d'entreprendre au service d’un capitalisme responsable.

Une liberté d'entreprendre qui combine la réussite personnelle avec le progrès matériel de la collectivité tout entière.

Une liberté d'entreprendre qui fait vivre l’esprit d’initiative, qui encourage le risque dans sa dimension la plus positive, c’est-à-dire la création et l’innovation.

Une liberté d'entreprendre qui crée des richesses et permet ainsi la redistribution.

Cet esprit de responsabilité, nous devons également le décliner à l'échelon local. La réforme des collectivités territoriales doit donner davantage de libertés locales pour rendre nos territoires plus responsables. Mais ils le seront d'autant plus que la part des transferts financiers de l'Etat diminuera au profit de véritables ressources propres. Car seule l'autonomie fiscale peut pleinement garantir la responsabilité de la dépense, dans le respect du principe de péréquation.

Mais la liberté ne contribue pas seulement à l'esprit de responsabilité. Elle est également la mère des solidarités. Des solidarités tellement nécessaires, et qui seront d’autant plus actives que les libertés seront épanouies. Car c’est dans la vie associative, c’est dans le syndicalisme, c’est dans le mutualisme, c’est dans le secteur coopératif, c’est dans le bénévolat que sont les ressorts des solidarités de demain. Ce mariage des libertés avec les solidarités, c'est la garantie du respect de la dignité humaine.

La dignité humaine, rien ne peut justifier que l'on s'en détourne. Je pense en particulier aux droits les plus élémentaires des détenus, alors que le Parlement débat du projet de loi pénitentiaire. La privation de liberté ne doit pas être synonyme de privation de dignité.

 

Mes Chers amis,

J'en viens maintenant au sujet dont nous débattons aujourd'hui, à savoir ce 5e pouvoir qu'est devenu Internet et qui renouvelle si profondément la question des libertés

En quinze ans à peine, Internet a pris une place centrale dans notre vie quotidienne. Le web est notre compagnon de tous les jours: pour faire nos courses, pour nos démarches administratives, pour envoyer notre courrier, pour étudier, pour chercher du travail, pour nous cultiver. La révolution numérique, ce n’est pas une formule. Elle change nos vies. Elle est au 21e siècle ce que la révolution industrielle a été au 19e siècle.

Et comme toute révolution, elle a du bon et du mauvais. Internet est un nouveau Janus, un dieu aux deux visages.

D’un côté, Internet offre un espace de liberté inédit : sur les forums ou les chat, chacun peut exprimer ses opinions et les faire instantanément lire, voir ou écouter par des millions d’internautes. C’est un vrai forum au sens antique, un lieu démocratique où chacun peut s’exprimer librement.

L’ouverture au-delà des frontières, la capacité à mobiliser, à fédérer, la liberté d’informer, la liberté d’association, ce sont autant de libertés auxquelles la toile vient offrir de nouvelles perspectives.

Mais le revers de la médaille, ce sont les dangers potentiels d’Internet.

- Danger pour la sécurité nationale quand des attaques informatiques sont susceptibles de déstabiliser des Etats. C’est la « cyberguerre » évoquée lors de nos débats.

- Danger pour les individus qui confient leurs code de cartes bancaires et des données personnelles sans toujours savoir l’utilisation qui en sera faite.

- Danger pour nos enfants qui risquent d’y faire de mauvaises rencontres et d’accéder à des contenus pornographiques.

- Danger pour les droits fondamentaux, par les atteintes au respect de la vie privée, aux droits artistiques et culturels et au droit de propriété. Comment en effet accepter l’idée d’un pillage systématique de notre patrimoine ?

 

Mes Chers amis,

Cette face cachée d’Internet appelle à une prise de conscience collective et à une action politique.

L’été dernier, j’avais fait part de mes réserves sur le fichier Edvige, parce que ce fichier n’était pas nécessaire pour assurer la sécurité de nos compatriotes. Mais nos débats d’aujourd’hui l’on bien montré, la traçabilité sur Internet, c’est l’équivalent d’un fichier qui ne dit pas son nom, et que nous alimentons nous-mêmes par les traces que, volontairement ou non, nous laissons quotidiennement sur le web.

Nos concitoyens ont l’illusion qu’Internet est le paradis de la gratuité. Pourtant, cette gratuité se paie au prix fort. On troque désormais des libertés non plus contre des sécurités, mais contre des services à première vue gratuits. Or le prix de cette fausse gratuité, c’est la traçabilité et la marchandisation de chacun à son insu. Les « cookies » prennent possession de votre disque dur en toute clandestinité pour collecter des informations sur les sites que vous visitez. Internet permet ainsi de tout savoir sur vos allées et venues, sur vos habitudes, sur vos préférences, sur vos fantasmes, sur vos tocs et sur vos pêchés, qu’ils soient véniels ou mortels. Pour 150 euros, le site « flexispy.com » vous permet même de pister jour et nuit la victime de votre choix. Les techniques de géolocalisation permettent à n’importe qui de vous retrouver n’importe où. Votre téléphone portable est le mouchard qui vous suit partout.

Récemment, des journalistes ont fait une expérience qui m’a beaucoup frappé. Grâce aux informations trouvées sur Google, ils ont reconstitué de A à Z la vie de Marc L., ce jeune internaute nantais choisi au hasard. Marc L. a été pisté, en toute légalité. On a facilement retrouvé sa trace sur chacun des sites qu’il avait consultés, Facebook, Flickr, You Tube et tous les autres. Sa vie a ainsi été reconstituée comme un puzzle, comme un jeu d’enfant.

Dans les années 70 Michel Foucault dénonçait les risques d’un dispositif de surveillance. Il n’aurait pu imaginer les formes bien plus invasives et plus insidieuses que ce contrôle prendrait 40 ans plus tard.

 

 

Mes chers amis,

Prenons toutefois garde à ne pas diaboliser Internet. Nous devons au contraire en tirer le meilleur parti. Les nouvelles technologies peuvent être un outil formidable pour réduire les inégalités et diminuer la pauvreté dans nos sociétés modernes. A l’échelle de la planète, le numérique est un moyen extraordinaire pour accélérer le développement des pays les moins avancés.

Tirer le meilleur parti des nouvelles technologies, cela suppose d’encourager l’éducation à Internet pour faire évoluer nos comportements sur la toile.

Chaque jour, les Français téléchargent près de 450 000 films en toute illégalité. Les enquêtes indiquent que les plus gros pirates sont les 12-25 ans. Ils sont prêts à payer pour leur téléphone, prêts à payer pour leur Ipod, prêts à payer pour leur abonnement Internet. Mais ils ne sont pas prêts à payer pour ce qu’ils écoutent, ce qu’ils lisent ou ce qu’ils regardent. Pour eux, la culture ça doit être gratuit. Finalement, à force de se lamenter sur la marchandisation de la culture, on n’a même pas vu arriver sa démonétisation ! Or ce qui est en jeu, c’est la préservation de la diversité culturelle et l’avenir de la création.

Si l’on veut garantir un avenir à la culture et aux créateurs, il faut sanctionner ceux qui violent le droit d’auteur. Mais nous ne ferons pas l’économie d’une éducation à Internet. Cela commence dès l’école où il faudrait introduire des cours de sensibilisation à Internet. C’est comme cela, et par davantage de pédagogie – à l’égard des jeunes mais aussi de leurs parents – que nous lutterons plus efficacement contre le piratage informatique.

Par l’éducation, nous ferons des internautes responsables, respectueux de leurs devoirs mais aussi titulaires de véritables droits. Car la révolution numérique appelle en effet à proclamer les droits de l’Homme numérique.

De même que la révolution française a fait naître la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

De même que la seconde guerre mondiale a accouché de la déclaration universelle des droits de l’homme ;

La révolution numérique doit aujourd’hui donner naissance à un Habeas corpus numérique.

Cela a été rappelé ce matin, c’est la loi informatique et libertés de 1978 qui a inspiré l’ensemble de la législation européenne et même au-delà des frontières européennes. Cette loi, c’est Valéry Giscard d’Estaing qui l’a portée quand il était Président de la République.

C’est notre famille politique qui doit aujourd’hui porter les nouveaux droits qu’exige le développement d’Internet.

Nous devons donner un cadre juridique aux droits fondamentaux des internautes, car à notre identité moléculaire – comme le disait un intervenant ce matin – s’ajoute désormais une identité numérique. Cette identité numérique appelle à la reconnaissance de nouveaux droits.

Je souhaite que nous les portions dans le cadre d’un Habeas Corpus numérique, c’est-à-dire une Charte des droits fondamentaux de l’identité numérique.

Cette Charte, je vous propose qu’elle repose sur la garantie des droits suivants :

1. Le droit à la gratuité de son anonymat.

Rien ne justifie en effet de devoir payer pour être anonyme. Rien ne justifie selon moi le surcoût de 5 euros appliqué au passe Navigo anonyme pour les usagers des transports publics en Ile-de-France. J’ai écrit aux présidents de la RATP et du STIF pour leur demander la gratuité du passe Navigo « découverte ». Car la liberté d’aller et venir sans être pisté est un droit fondamental qui ne se monnaie pas.

2. Le droit de propriété de ses données personnelles.

Nos données personnelles, ce n’est pas parce que nous les diffusons sur Internet que nous devons en perdre la propriété. Nos données personnelles nous appartiennent et nous devons disposer d’un droit d’accès permanent à ces données.

Y accéder, c’est aussi pouvoir les modifier. Avec Internet, n’importe qui peut propager de fausses informations sur vous. Il faut pouvoir se protéger de la rumeur en disposant d’un droit d’accès et de rectification, comme il existe un droit de réponse en matière de presse écrite.

3. Le droit à l’oubli

Sur Internet, les données peuvent être stockées et rester disponibles sans limitation de durée, si bien que plus rien ne s’efface. Vos erreurs de jeunesses sont inscrites à jamais dans votre casier numérique comme dans un casier judiciaire. Or au moins dans un casier judiciaire, elles s’effacent au bout d’un certain temps. Devrions-nous renoncer à notre droit de changer d’avis ? Est-il acceptable qu’un recruteur puisse utiliser contre vous des prises de position dont vous avez-vous même oublié l’existence ?

4. Le droit à la confidentialité

La Charte que je vous propose devra garantir la confidentialité des correspondances en ligne, comme elle existe pour le courrier traditionnel.

De même, certaines données sensibles doivent rester confidentielles. Je pense notamment aux données médicales, fiscales et financières. Le respect de la confidentialité suppose de veiller au respect de l’interdiction de croisement des fichiers.

 

Mes Chers amis,

Nous ne devons pas en rester au stade des principes. Il nous faut réfléchir aux moyens de donner corps à ces droits. Comment s’assurer de leur existence ?

D’abord, nous devons en faire des principes à valeur constitutionnelle en inscrivant dans la Constitution le respect de l’identité numérique, le droit de propriété de nos données personnelles et, bien sûr, le droit au respect de notre vie privée.

Mais il n’y a pas que les grands principes juridiques ; nous devons aussi éduquer à Internet et faire évoluer les comportements. C’est vrai des plus jeunes, mais aussi de leurs parents. Cela passe d’abord par de la transparence : chaque internaute doit être réellement informé des conditions dans lesquelles il utilise le web. Les protections doivent être activées par défaut. Libre à l’internaute de les désactiver en connaissance de cause. Et non pas le principe contraire, comme c’est le cas aujourd’hui.

Aujourd’hui, la CNIL joue un rôle pédagogique essentiel. Mais nous devons également lui donner des moyens supplémentaires pour faire respecter les droits de l’identité numérique. Le secrétaire général de la CNIL l’évoquait ce matin : 130 personnes pour traiter 70 000 demandes d’enregistrement de bases informatiques. 220 fichiers contrôlés l’an dernier sur des centaines de milliers. La CNIL a été précurseur en Europe et dans le monde. Elle doit le rester. Donnons-nous lui les mêmes moyens que les autres pays européens.

 

Mes Chers amis,

Il n’est pas forcément besoin de légiférer sur tout. Les principes de l’Habeas Corpus numérique pourraient dès à présent préfigurer un code de bonne conduite que les propriétaires de sites et les hébergeurs internet pourraient s’engager à respecter.

L’adhésion à ce code serait visible par les internautes, grâce à une signalétique, comme cela existe pour les programmes de télévision. Là encore, nulle sanction, mais des incitations : aux associations de consommateurs de juger elles-mêmes les sites Internet selon leur respect des droits de cette Charte.

Internet ignorant les frontières, une telle Charte doit bien sûr se concevoir au mieux au niveau mondial, et au minimum à l’échelle européenne. Mettons à profit la campagne européenne qui s’ouvre pour porter cette idée.

La crise financière a révélé un immense besoin de régulation des marchés. N’attendons pas la crise d’Internet pour jeter les bases d’une régulation numérique globale. Les enjeux liés aux réseaux sont colossaux : ils sont économiques, culturels, sociaux, politiques et désormais géopolitiques. Quand le monde numérique rejoint le monde réel, le politique doit s’emparer du sujet.

Alors soyons les gardiens des libertés. Des gardiens ouverts aux évolutions de leur temps. Des gardiens qui éclairent les esprits autour d’eux. Des gardiens qui anticipent les changements pour proposer des solutions d’avenir. C’est ainsi que nous pourrons investir de nouveaux espaces et conquérir de nouvelles libertés.

Je vous remercie.

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